Drone ukrainien AQ-400 Schyte : ce que cela nous dit de l'économie de guerre et de l'innovation par le bas. Une réalité très éloignée des processus occidentaux actuels... 1/
L'Ukraine est un conflit dans lequel on innove par le bas : c'est à dire qu'on y développe des matériels et des équipements moins chers, plus faciles à produire en masse, dont le rapport performance/prix évolue vers le bas. C'est assez normal pendant les conflits prolongés. 2/
Exemple classique : le pistolet-mitrailleur STEN conçu au Royaume Uni après Dunkerque, pour faire face rapidement à la pénurie d'armes automatiques. Simplifié à l'extrême, embouti. Efficace. Pas parfait, pas exempt de défaut, mais un optimum à produire vite, facilement. 3/
Même les États-Unis, pourtant dominants sur le plan industriel, auront cette démarche avec le PM M3 : facile à produire et efficace, beaucoup plus simple que le PM Thompson, trop couteux et compliqué. 4/
L'innovation par le bas est indissociable de la guerre industrielle et d'une "vraie" économie de guerre. C'est lorsqu'elle apparait qu'on sait qu'on est vraiment en guerre. Pas quand on accroit la production d'armes couteuses. Pas quand on mobilise les industriels de l'armement.5
On sait qu'on est en guerre lorsque les industriels "civils" sont mobilisés. Comme Louis Renault en 1914.
le AQ-400 résume tout ça : une MTO très rustique et simple à produire en grand nombre pour frapper dans la profondeur. 6/
On est aux antipodes des drones MALE occidentaux. Petit moteur thermique, roues de brouette, fuselage conçu avec du contreplaqué issu d'une usine d’ameublement. Pourquoi ? Parce que c'est encore moins cher et plus simple que la fibre de verre. 7/
Et qu'on peut ainsi mobiliser des industriels qui ne sont pas sur le chemin critique des hautes technologies. Qu'on n’abandonne pas. Mais il faut de la masse "en plus" et pas "à la place" du high tech. 7/
A l'image des corvettes anti-sous-marines anglaises de la classe "Flower" (dont fit partie l'Aconit FFL) : des navires qui ne remplaçaient pas les destroyers, mais qui venaient "en plus". 8/
Une innovation "par le bas" bien décrite dans le roman "La mer cruelle". Le minimum : un canon ancien récupéré, un canon antiaérien, un sonar, un radar, une machine à vapeur rustique, une hélice, quelques grenades ASM, un équipage de réservistes et engagés. 9/
l'AQ-400 c'est un peu ça : la charge pyrotechnique peut être composée de deux obus de 122mm. Pourquoi ? Parce que l'Ukraine en a encore en stock et manque de tubes d'artillerie de 122mm. On sait donc par abaque que certains obus ne seront pas tirés. Autant les valoriser. 10/
L'économie de guerre, c'est ça : faire feu de tout bois, mobiliser sous contrôle de l’État chaque branche de l'économie pour qu'elle puisse apporter un "petit quelque chose" au moins au front, tout en sanctuarisant les besoins primordiaux de la population. 11/
L'AQ-400 c'est plusieurs centaines de km de portée. Peu de détails sur les moyens de guidage mais il semble pouvoir emporter une boucle FPV optique en option. Il a sans doute une navigation inertielle "sur étagère". 12/
L'innovation iranienne du Shahed avait montré la voie : des centrales inertielles civiles peu précises, on en trouve une pour quelques centaines d'euros sur les marketplaces. Achetez-en 10, couplées à un calculateur qui fait la moyenne et élimine les résultats aberrants... 13/
Et voilà. Vous obtiendrez un moyen assez précis à quelques dizaines de mères près, suffisant pour ne pas rater un immeuble ou un pont. Pour peu qu'un récepteur GPS/Glonass bon marché permette de se recaler si un peu de signal passe... 14/
Bref : vous l'aurez compris, ce genre de système est exactement celui qui fait défaut à nos cycles d’acquisition de matériel. Simplification des spécifications, réutilisation de composants issus du monde civil, boucle de retex très courte, esprit "jetable". 15/
Cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner le Rafale, la dissuasion, les obus de 155, les missiles Aster ou SCALP, mais qu'on a besoin de ça "en plus". C'est comme ça qu'on gagne les guerres industrielles. 16/
L'AQ-400 c'est une production d'une centaine d'unités par mois, avec une cible à 1000. De quoi largement saturer les défense antiaériennes russes avec une portée jusqu'à Moscou.
Avec, bien entendu, une conséquence énorme pour nous. 17/
Les groupes terroristes mettront la main sur ce genre de matériel, c'est une question de temps, à l'image des Houthis. le territoire européen sera vulnérable. L'Italie, la France, l'Espagne, nos bases en Afrique... 18/
Des solutions de défense tout aussi "low cost" doivent être trouvées, pour s'ajouter aux solutions "haut du spectre"' qu'il faut bien entendu garder. La guerre moderne augmente en profondeur et en intensité. Sur le plan militaire, mais aussi économique. 19/
La diffusion de hautes technologies, la profusion manufacturière, la diffusion mondiale par les flux commerciaux... Tout ça permet des innovations par le bas à un rythme accru, auxquelles on ne répondra ni par des programmes high tech, ni par le "réarmement moral". 20/
Bref : le AQ-400 est le symbole de cette économie de guerre qu'on ne veut pas trop voir advenir en France, parce qu'elle bouscule fondamentalement tout l'écosystème militaire mis en place depuis la chute du mur de Berlin. FIN
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Ces vidéos d'attaque par des drones de surface ukrainiens contre un pétrolier de la flotte fantôme russe battant pavillon comorien en Mer Noire sont très intéressantes pour évaluer les modes d'action, depuis les aspects techniques jusqu'aux aspects doctrinaux et politiques. 1/ 🧶
Sur le plan tactique, les drones employés sont relativement petits (quelques mètres) et opèrent manifestement en groupe (3 ou 4 engins ?) Ils transmettent de la vidéo en temps réel (puisqu'on la reçoit jusqu'à l'explosion). Ce qui veut dire qu'ils sont à portée de télécontrôle.2/
Le comportement ne semble pas régit par une IA, mais bien par un téléopérateur, situé "ailleurs" (en Ukraine probablement, mais aussi possiblement sur un navire en Mer Noire). Si le contrôle se fait via Starlink le brouillage lointain est difficile... 3/
Rapidement, mes deux cents sur la stratégie nationale de sécurité américaine que tout le monde commente : 1) je crois que @GerardAraud a raison de rappeler que certaines opinions qui sont dans ce document sont très anciennes et qu'elles représentent une tendance importante... 1/
...importante mais pas unique de la pensée américaine en matière de relations extérieures. L'implication américaine en Europe est récente à l'échelle de l'histoire : ils sont en Asie de manière continue depuis 1898 (Philippines), en Europe depuis 1917 et en permanence depuis 1949
Ils se sont impliqués dans la résolution de la guerre russo-japonaise de 1905, pas dans celle des Balkans de 1912... On pourrait multiplier les exemples. L'Asie a été au cœur de la politique étrangère américaine depuis le milieu du XIXe siècle, l'Europe, non. 3/
Oui. Je l'ai vu comme élu local et je le vis comme habitant d'une zone rurale : le recrutement de la fonction publique territoriale est hors de contrôle. Il sert à faire vivre les "baronnies de province", au détriment des vrais services publics. 1/
Chaque fois qu'une communauté de commune récupère une nouvelle "tâche à faire", c'est l'occasion de nouveaux recrutements. C'est une véritable pyramide de Ponzi qui aspire les "chargés de mission", avec toute une verticale du contrôle et du management inefficace. 2/
Les écoles primaires "tournent" avec des personnels de l'éducation nationale en sous effectifs, sous payés et avec trop peu de moyens. Et "à côté", les collectivités ont des chargés de mission bien plus nombreux pour le périscolaire au sens large. 3/
Il ne faut pas sous-estimer l'impact que ce conflit aura sur l'avenir des études stratégiques en France. Qu'un chercheur aussi respecté jadis que BB en vienne à se positionner aussi frontalement et avec autant d'assurance et constance en opposition au consensus de l'OSINT...1/
...montre que la compromission avec le narratif de Moscou infuse profondément le monde académique (et, au delà, une partie de l'administration, soyons lucides). Il ne s'agit pas d'ailleurs de dire que l'armée ukrainienne ne souffre pas. Mais ce que colporte BB est autre. 2/
On est dans le narratif de la "fascination pour la grande armée rouge". Cette idée, qu'il reprend dans certains de ses ouvrages, que seuls les Russes ont "compris" la guerre moderne sur terre, qu'ils apprennent toujours plus vite que les autres... 3/
Grosse, mais alors très grosses foutaises que ces réactions outrées aux propos du @CEMAT_FR devant les maires de France.
La stratégie de défense a été définie par les autorités politiques. Conformément à la Constitution. C'est dans la Revue Nationale Stratégique. 1/
Le CEMA ne dit rien de plus que ce qui est dans la RNS : la Russie nous est hostile, elle agresse déjà le continent européen. 2/ sgdsn.gouv.fr/files/2025-08/…
Et le fait que la Russie soit la principale menace des années à venir est déjà identifié. Pas "d'invention" ou "d'usurpation" de la part du CEMA, mais une analyse produite par le SGDSN, le Minarm, le MEAE et validée par le gouvernement et le PR, puis présentée le 14 juillet 2025
Rafale en Ukraine : "oui, mais"...
L'annonce de la signature d'une lettre d'intention pour ouvrir la négociation d'achat du Rafale par l'Ukraine, avec une cible pouvant aller jusqu'à 100 appareils est une excellente nouvelle. Elle est logique, mais comporte de nombreux défis.🧶1/
Elle succède à une même annonce pour 150 avions suédois "Gripen". Pourquoi ?
En fait, l'Ukraine prépare l'après-guerre. Dans 1 ou 2 ans (le plus tôt sera le mieux), une fois le pays sinon en paix au moins sécurisé, il faudra reconstruire et rationaliser l'armée ukrainienne. 2/
Aujourd'hui, au sol ou dans les airs, l'Ukraine se bat avec le parc qu'on lui a donné et celui qu'elle avait en 2022, ce qui donne des chiffres pléthoriques, des matériels très hétérogènes et des qualités très variables. Cela ne peut pas être un modèle de temps de paix. 3/