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Jan 17, 2024 22 tweets 6 min read Read on X
Drone ukrainien AQ-400 Schyte : ce que cela nous dit de l'économie de guerre et de l'innovation par le bas. Une réalité très éloignée des processus occidentaux actuels... 1/ Image
L'Ukraine est un conflit dans lequel on innove par le bas : c'est à dire qu'on y développe des matériels et des équipements moins chers, plus faciles à produire en masse, dont le rapport performance/prix évolue vers le bas. C'est assez normal pendant les conflits prolongés. 2/
Exemple classique : le pistolet-mitrailleur STEN conçu au Royaume Uni après Dunkerque, pour faire face rapidement à la pénurie d'armes automatiques. Simplifié à l'extrême, embouti. Efficace. Pas parfait, pas exempt de défaut, mais un optimum à produire vite, facilement. 3/ Image
Même les États-Unis, pourtant dominants sur le plan industriel, auront cette démarche avec le PM M3 : facile à produire et efficace, beaucoup plus simple que le PM Thompson, trop couteux et compliqué. 4/ Image
L'innovation par le bas est indissociable de la guerre industrielle et d'une "vraie" économie de guerre. C'est lorsqu'elle apparait qu'on sait qu'on est vraiment en guerre. Pas quand on accroit la production d'armes couteuses. Pas quand on mobilise les industriels de l'armement.5
On sait qu'on est en guerre lorsque les industriels "civils" sont mobilisés. Comme Louis Renault en 1914.
le AQ-400 résume tout ça : une MTO très rustique et simple à produire en grand nombre pour frapper dans la profondeur. 6/
On est aux antipodes des drones MALE occidentaux. Petit moteur thermique, roues de brouette, fuselage conçu avec du contreplaqué issu d'une usine d’ameublement. Pourquoi ? Parce que c'est encore moins cher et plus simple que la fibre de verre. 7/ Image
Et qu'on peut ainsi mobiliser des industriels qui ne sont pas sur le chemin critique des hautes technologies. Qu'on n’abandonne pas. Mais il faut de la masse "en plus" et pas "à la place" du high tech. 7/ Image
A l'image des corvettes anti-sous-marines anglaises de la classe "Flower" (dont fit partie l'Aconit FFL) : des navires qui ne remplaçaient pas les destroyers, mais qui venaient "en plus". 8/ Image
Une innovation "par le bas" bien décrite dans le roman "La mer cruelle". Le minimum : un canon ancien récupéré, un canon antiaérien, un sonar, un radar, une machine à vapeur rustique, une hélice, quelques grenades ASM, un équipage de réservistes et engagés. 9/
l'AQ-400 c'est un peu ça : la charge pyrotechnique peut être composée de deux obus de 122mm. Pourquoi ? Parce que l'Ukraine en a encore en stock et manque de tubes d'artillerie de 122mm. On sait donc par abaque que certains obus ne seront pas tirés. Autant les valoriser. 10/ Image
L'économie de guerre, c'est ça : faire feu de tout bois, mobiliser sous contrôle de l’État chaque branche de l'économie pour qu'elle puisse apporter un "petit quelque chose" au moins au front, tout en sanctuarisant les besoins primordiaux de la population. 11/
L'AQ-400 c'est plusieurs centaines de km de portée. Peu de détails sur les moyens de guidage mais il semble pouvoir emporter une boucle FPV optique en option. Il a sans doute une navigation inertielle "sur étagère". 12/ Image
L'innovation iranienne du Shahed avait montré la voie : des centrales inertielles civiles peu précises, on en trouve une pour quelques centaines d'euros sur les marketplaces. Achetez-en 10, couplées à un calculateur qui fait la moyenne et élimine les résultats aberrants... 13/
Et voilà. Vous obtiendrez un moyen assez précis à quelques dizaines de mères près, suffisant pour ne pas rater un immeuble ou un pont. Pour peu qu'un récepteur GPS/Glonass bon marché permette de se recaler si un peu de signal passe... 14/
Bref : vous l'aurez compris, ce genre de système est exactement celui qui fait défaut à nos cycles d’acquisition de matériel. Simplification des spécifications, réutilisation de composants issus du monde civil, boucle de retex très courte, esprit "jetable". 15/
Cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner le Rafale, la dissuasion, les obus de 155, les missiles Aster ou SCALP, mais qu'on a besoin de ça "en plus". C'est comme ça qu'on gagne les guerres industrielles. 16/
L'AQ-400 c'est une production d'une centaine d'unités par mois, avec une cible à 1000. De quoi largement saturer les défense antiaériennes russes avec une portée jusqu'à Moscou.
Avec, bien entendu, une conséquence énorme pour nous. 17/
Les groupes terroristes mettront la main sur ce genre de matériel, c'est une question de temps, à l'image des Houthis. le territoire européen sera vulnérable. L'Italie, la France, l'Espagne, nos bases en Afrique... 18/
Des solutions de défense tout aussi "low cost" doivent être trouvées, pour s'ajouter aux solutions "haut du spectre"' qu'il faut bien entendu garder. La guerre moderne augmente en profondeur et en intensité. Sur le plan militaire, mais aussi économique. 19/
La diffusion de hautes technologies, la profusion manufacturière, la diffusion mondiale par les flux commerciaux... Tout ça permet des innovations par le bas à un rythme accru, auxquelles on ne répondra ni par des programmes high tech, ni par le "réarmement moral". 20/
Bref : le AQ-400 est le symbole de cette économie de guerre qu'on ne veut pas trop voir advenir en France, parce qu'elle bouscule fondamentalement tout l'écosystème militaire mis en place depuis la chute du mur de Berlin. FIN Image

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Sep 30
Un "mur de drones", c'est vraiment une bonne idée ? Franchement, je suis un peu dubitatif...
Le drone s'impose comme un objet quasi mystique pour certains décideurs. Il semble être la solution à tous les problèmes. Comme souvent, on pose l'objet avant la réflexion doctrinale. 1/
Le fait est que la dronisation, et plus largement la robotisation, offrent aux "perturbateurs" une liberté d'action à bas cout assez inédite, pour secouer les vieux systèmes de forces. C'est ainsi que les Houthis, l'Iran, la Russie mais aussi l'Ukraine en tirent parti. 2/
Mais si le drone est indéniablement efficace pour "frapper à bas coût", l'est-il aussi dans une logique défensive ? Rien n'est moins certain. D'abord parce qu'on n'a toujours pas de modèle économique en temps de paix pour la production et l'acquisition en masse. 3/
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Sep 2
On parle beaucoup ces derniers jours de l'évolution du ciblage ukrainien dans la profondeur. Comme si le choix des cibles n'était au fond qu'une question "intellectuelle". Je pense qu'on a un peu perdu de vue la stratégie des moyens, quand ils sont chichement comptés. 1/
Les Occidentaux ont pris, au moins depuis 1991, de mauvaises habitudes : face à des adversaires de taille modeste (Irak, Serbie) et dans un contexte de domination aérienne, on pouvait se vanter d'avoir une approche "systémique", "sérieuse", "intégrale", "complète"... 2/
...mais au final, cela se résumait par "on peut casser le système militaire adverse en le bombardant" - communications, ponts, gares, aérodromes, dépôts, bunkers... L'U.S. Air Force était là, en masse, et faisait le job (avec quelques soutiens). 3/
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Aug 19
Je suis très réservé sur ce genre de communication et sur la méthode britannique qui consiste, globalement, à faire de la prospective par produit en croix . Cela induit un sentiment de fausse sécurité vis à vis de la situation de l'armée ukrainienne. 1/
L'érosion de l'armée ukrainienne est, depuis plus d'un an, bien réelle en valeur absolue (effectifs). Certes les Ukrainiens maintiennent une défense acharnée, mais le "taux d'échange" en pertes humaines (notion sordide mais indispensable) n'est pas en faveur de l'Ukraine. 2/
Cela veut dire que se produiront, tôt ou tard, des effets systémiques (des "ruptures"). C'est même sans doute ce que recherchent les Russes, qui visent autant sinon d'avantage la destruction de la force adverse que la conquête territoriale méthodique. 3/
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Aug 19
Au final je pense que Zelensky est soulagé d'avoir été entouré. Vance a été silencieux, Trump aimable... Mais bien entendu, tout ça n'a pas avancé d'un millimètre vis à vis de Moscou. Grosses interrogations sur la "disponibilité américaine" pour les garanties de sécurité. 1/ Image
2 points majeurs en suspens : d'une part, Moscou a toujours refusé que l'Ukraine puisse bénéficier de garanties de sécurité "réelles", au delà de vagues déclarations d'intention. Et d'autre part, l'administration Trump a signalé de longue date sa volonté de repli hors Europe. 2/
Un plan de retrait de troupes américaines d'Europe est en cours d'élaboration aux Etats-Unis, qui verrait partir les 10000 hommes envoyés en renfort depuis Obama en 2009... 3/ nbcnews.com/politics/natio…
Read 14 tweets
Aug 17
Un point important sur les "garanties de sécurité" à l'Ukraine. Garantir la sécurité d'un pays signifie, à la fin des fins une seule et unique chose : être prêt à se battre le cas échéant pour le sauver. C'est aussi simple que ça. Et c'est ce qui coince pour les Européens. 1/
Dans une Europe qui a délégué une grande partie de sa sécurité à des croyances plus qu'à des armes, sous la bienveillance d'une Amérique qu'on pensait à la fois éternelle et intemporelle, l'idée de s'engager à se battre est un repoussoir absolu. 2/
Or, c'est bien de cela qu'il s'agit et de rien d'autre. Alors bien entendu, on peut s'engager à condamner, s'engager à envoyer de l'aide militaire, s'engager à fournir de l'argent... Bref tout ce qu'on fait depuis le début. C'est un soutien. Pas une garantie de sécurité. 3/
Read 20 tweets
Aug 14
Rappelons que la "British Army Of the Rhine" (BAOR) pendant la Guerre froide comptait entre 45 000 et 55 000 hommes, déployés en permanence en Allemagne face au Pacte de Varsovie. En 2025, le RU semble incapable d'envisager 30 000 hommes en Ukraine. 1/
Aux moments les plus intenses de la Guerre froide, les Forces Françaises en Allemagne étaient du même ordre en effectifs. Mais il semble qu'il soit devenu impensable pour les Européens de s'engager en Ukraine au sol, même pour "maintenir la paix". 2/
Sachant que les Américains ne le feront pas, si l'Ukraine est contrainte d'accepter une paix sous la pression d'un accord russo-américain et que PERSONNE n'est prêt à s'y déployer, ce sera une pause avant son anéantissement. 3/
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