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Jan 17 22 tweets 6 min read Read on X
Drone ukrainien AQ-400 Schyte : ce que cela nous dit de l'économie de guerre et de l'innovation par le bas. Une réalité très éloignée des processus occidentaux actuels... 1/ Image
L'Ukraine est un conflit dans lequel on innove par le bas : c'est à dire qu'on y développe des matériels et des équipements moins chers, plus faciles à produire en masse, dont le rapport performance/prix évolue vers le bas. C'est assez normal pendant les conflits prolongés. 2/
Exemple classique : le pistolet-mitrailleur STEN conçu au Royaume Uni après Dunkerque, pour faire face rapidement à la pénurie d'armes automatiques. Simplifié à l'extrême, embouti. Efficace. Pas parfait, pas exempt de défaut, mais un optimum à produire vite, facilement. 3/ Image
Même les États-Unis, pourtant dominants sur le plan industriel, auront cette démarche avec le PM M3 : facile à produire et efficace, beaucoup plus simple que le PM Thompson, trop couteux et compliqué. 4/ Image
L'innovation par le bas est indissociable de la guerre industrielle et d'une "vraie" économie de guerre. C'est lorsqu'elle apparait qu'on sait qu'on est vraiment en guerre. Pas quand on accroit la production d'armes couteuses. Pas quand on mobilise les industriels de l'armement.5
On sait qu'on est en guerre lorsque les industriels "civils" sont mobilisés. Comme Louis Renault en 1914.
le AQ-400 résume tout ça : une MTO très rustique et simple à produire en grand nombre pour frapper dans la profondeur. 6/
On est aux antipodes des drones MALE occidentaux. Petit moteur thermique, roues de brouette, fuselage conçu avec du contreplaqué issu d'une usine d’ameublement. Pourquoi ? Parce que c'est encore moins cher et plus simple que la fibre de verre. 7/ Image
Et qu'on peut ainsi mobiliser des industriels qui ne sont pas sur le chemin critique des hautes technologies. Qu'on n’abandonne pas. Mais il faut de la masse "en plus" et pas "à la place" du high tech. 7/ Image
A l'image des corvettes anti-sous-marines anglaises de la classe "Flower" (dont fit partie l'Aconit FFL) : des navires qui ne remplaçaient pas les destroyers, mais qui venaient "en plus". 8/ Image
Une innovation "par le bas" bien décrite dans le roman "La mer cruelle". Le minimum : un canon ancien récupéré, un canon antiaérien, un sonar, un radar, une machine à vapeur rustique, une hélice, quelques grenades ASM, un équipage de réservistes et engagés. 9/
l'AQ-400 c'est un peu ça : la charge pyrotechnique peut être composée de deux obus de 122mm. Pourquoi ? Parce que l'Ukraine en a encore en stock et manque de tubes d'artillerie de 122mm. On sait donc par abaque que certains obus ne seront pas tirés. Autant les valoriser. 10/ Image
L'économie de guerre, c'est ça : faire feu de tout bois, mobiliser sous contrôle de l’État chaque branche de l'économie pour qu'elle puisse apporter un "petit quelque chose" au moins au front, tout en sanctuarisant les besoins primordiaux de la population. 11/
L'AQ-400 c'est plusieurs centaines de km de portée. Peu de détails sur les moyens de guidage mais il semble pouvoir emporter une boucle FPV optique en option. Il a sans doute une navigation inertielle "sur étagère". 12/ Image
L'innovation iranienne du Shahed avait montré la voie : des centrales inertielles civiles peu précises, on en trouve une pour quelques centaines d'euros sur les marketplaces. Achetez-en 10, couplées à un calculateur qui fait la moyenne et élimine les résultats aberrants... 13/
Et voilà. Vous obtiendrez un moyen assez précis à quelques dizaines de mères près, suffisant pour ne pas rater un immeuble ou un pont. Pour peu qu'un récepteur GPS/Glonass bon marché permette de se recaler si un peu de signal passe... 14/
Bref : vous l'aurez compris, ce genre de système est exactement celui qui fait défaut à nos cycles d’acquisition de matériel. Simplification des spécifications, réutilisation de composants issus du monde civil, boucle de retex très courte, esprit "jetable". 15/
Cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner le Rafale, la dissuasion, les obus de 155, les missiles Aster ou SCALP, mais qu'on a besoin de ça "en plus". C'est comme ça qu'on gagne les guerres industrielles. 16/
L'AQ-400 c'est une production d'une centaine d'unités par mois, avec une cible à 1000. De quoi largement saturer les défense antiaériennes russes avec une portée jusqu'à Moscou.
Avec, bien entendu, une conséquence énorme pour nous. 17/
Les groupes terroristes mettront la main sur ce genre de matériel, c'est une question de temps, à l'image des Houthis. le territoire européen sera vulnérable. L'Italie, la France, l'Espagne, nos bases en Afrique... 18/
Des solutions de défense tout aussi "low cost" doivent être trouvées, pour s'ajouter aux solutions "haut du spectre"' qu'il faut bien entendu garder. La guerre moderne augmente en profondeur et en intensité. Sur le plan militaire, mais aussi économique. 19/
La diffusion de hautes technologies, la profusion manufacturière, la diffusion mondiale par les flux commerciaux... Tout ça permet des innovations par le bas à un rythme accru, auxquelles on ne répondra ni par des programmes high tech, ni par le "réarmement moral". 20/
Bref : le AQ-400 est le symbole de cette économie de guerre qu'on ne veut pas trop voir advenir en France, parce qu'elle bouscule fondamentalement tout l'écosystème militaire mis en place depuis la chute du mur de Berlin. FIN Image

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Apr 25
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Il est frappant de voir que l'évolution du conflit ukrainien semble entrainer un recul des chars de combat dans leur utilisation "habituelle" (si tant est qu'elle ne le fut jamais). En tous cas, les besoins évoluent, le char est à repenser 1/ Image
Les usages du char en Ukraine sont de plus en plus ceux vus dans certains conflits précédents (Yémen, Syrie) : un rôle de pièce d'artillerie mobile, soit pour le tir d'appui direct, soit pour le tir indirect. Les formations blindées de rupture/exploitation s'effacent. 2/ Image
Plusieurs raisons : d'abord le manque de savoir faire, l'usage de formations blindées en interarmes demandant des compétences pointues, un haut niveau d’entrainement et de coordination, depuis l'opérateur jusqu'à l'état-major. Niveau inconnu des levées en cours de conflit. 3/
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Soit une salve dans les 250 millions de dollars. Sachant que les vieux missiles Ghadr-110 sont payés depuis longtemps... Autant les tirer que d'avoir à payer pour les entretenir. Le parc se renouvelle de toute façon.
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A minima, l'attaque iranienne modifie la façon dont se vivent les rapports du conflit irano-israélien depuis... Presque depuis 1979 en fait. L'Iran armait et entrainait des groupes de proxies plus ou moins contrôlés (Hamas, Hezbollah, Houthis), qui frappaient Israël... 1/
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