Memorial France Profile picture
Feb 26 ‱ 101 tweets ‱ 14 min read ‱ Read on X
🔮 LIVE : Dans quelques minutes dĂ©bute la troisiĂšme audience dans le nouveau procĂšs contre Oleg Orlov, co-prĂ©sident du Centre de dĂ©fense des droits humains "Memorial", @hrcmemorial au tribunal Golovinsky de Moscou.
Cette audience sera consacrée au réquisitoire et aux plaidoiries de la défense, puis Oleg Orlov prononcera son "dernier mot". Puis, selon toute vraisemblance, sera pronocé le verdict
Rappelons qu'Oleg Orlov est poursuivi pour « discrédit répété des forces armées russes » de l'armée pour avoir publié un article contre la guerre dans @Mediapart . Le 11 octobre dernier, le tribunal l'avait condamné à une amende de 150 000 roubles.
En appel, le 14 dĂ©cembre, ce jugement a Ă©tĂ© annulĂ© et renvoyĂ© pour complĂ©ment d’enquĂȘte. Aujourd’hui dĂ©bute donc un nouveau procĂšs, avec des charges renforcĂ©es par de prĂ©tendues circonstances aggravantes.
Selon l’accusation, les actes d’Orlov auraient Ă©tĂ© motivĂ©s par une « hostilitĂ© idĂ©ologique aux valeurs traditionnelles spirituelles, patriotiques et morales de la Russie », et par une haine envers le groupe social des « soldats des forces armĂ©es de la FĂ©dĂ©ration de Russie ».
Oleg Orlov est à nouveau menacé de trois ans de prison.
Lors des deux premiÚres audience, Oleg Orlov a fait part de sa décision d'interdire à son avocate, Katerina Tertukhina, de faire appeler des témoins.
Il a également déclaré qu'il garderait le silence dans un procÚs politique dont l'issue est déterminée à l'avance. Tout au long des débats il a démonstrativement lu "Le ProcÚs" de Frantz Kafka.
Il y a beaucoup de monde aux abords du tribunal, nombreux sont ceux qui sont venus soutenir Oleg Orlov.
Image
Image
L’audience a dĂ©butĂ© Ă  10:30. Une partie du public n’a pas pu entrer dans la salle, faute de place.

C’est la reprĂ©sentante du procureur Vorobyeva qui prend la parole la premiĂšre.
Vorobyeva : Orlov n'a pas reconnu sa culpabilité, a exercé son droit au silence en vertu de l'article 51 de la Constitution et a expliqué qu'il ne comprenait pas l'essence des accusations.
Son tĂ©moignage lors de l'enquĂȘte prĂ©liminaire a Ă©tĂ© lu au tribunal, poursuit Mme Vorobyeva.
Il a reconnu avoir écrit l'article et y avoir exprimé son opinion.
Je crois qu'Orlov est un homme qui a fait des Ă©tudes supĂ©rieures, il avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© poursuivi pour discrĂ©dit de l'armĂ©e. Mais il a tout de mĂȘme publiĂ© cet article.
Orlov Ă©tait conscient de "la signification de la phrase" "Ils voulaient le fascisme, ils l'ont eu". Ils l'ont eu".

Elle rappelle les témoignages des témoins du mouvement des Vétérans de Russie et les conclusions des expertises.
Pendant tout ce temps, le témoin de l'accusation Mironenko ne quitte pas Oleg Orlov des yeux.

Lors de la derniÚre audience, ce dernier avait déclaré que le défenseur des droits humains avait "le sang des enfants de Beslan et de Nord-Ost" sur les mains.
Le ministĂšre public n'a trouvĂ© aucune indication sur le dĂ©sir des tĂ©moins d’incriminer Ă  tord Orlov ou sur leur possibilitĂ© de le faire, a dĂ©clarĂ© Mme Vorobyeva.

Et elle qualifie l'expertise de scientifiquement étayée
Vorobieva suggÚre "d'adopter un point de vue critique" sur les arguments de la défense selon lesquels Orlov aurait donné son opinion, droit qui lui est garanti par la Constitution.
Elle rappelle la phrase "Ils voulaient le fascisme, ils l'ont eu".

Selon Mme Vorobieva, la publication d'Orlov affecte les intĂ©rĂȘts "d'un groupe social aussi important que les militaires" et des citoyens russes en gĂ©nĂ©ral.
❗ C’est pourquoi le ministĂšre public requiert deux ans et onze mois d'emprisonnement Ă  l'encontre d'Orlov.
Vorobieva suggÚre de prendre en compte les données relatives à la personnalité d'Orlov, qui n'a pas fait l'objet de condamnations antérieures, n'est pas fiché, n'a pas reconnu sa culpabilité et n'a fait l'objet d'aucune plainte au lieu d'enregistrement.
Toutefois, le ministÚre public estime que la circonstance aggravante a été confirmée - à savoir un motif d'hostilité et de haine idéologique.

Aucune mesure autre que l'emprisonnement ne peut permettre d'atteindre les objectifs de la sanction, a déclaré Mme Vorobyova.
Orlov doit donc ĂȘtre envoyĂ© dans une colonie de rĂ©gime gĂ©nĂ©ral.

Le ministÚre public demande la mise en détention d'Orlov dans la salle d'audience
La juge propose à Orlov de s'exprimer au cours du débat. Ce dernier refuse - comme il l'a dit, le défenseur des droits humains ne prononcera que son "dernier mot".
C’est dĂ©sormais Ă  Katerina Tertukhina de plaidoyer en faveur d’Oleg Orlov.
Tertukhina : Je persiste Ă  dire qu'Oleg Petrovich Orlov est innocent, que les poursuites pĂ©nales dont il fait l'objet sont contraires Ă  la Constitution de la Russie et que l'enquĂȘte et les procĂ©dures judiciaires ont Ă©tĂ© menĂ©es en violation flagrante de la loi.
PremiĂšrement : des violations flagrantes de la loi au cours de l'enquĂȘte et de la procĂ©dure devant les tribunaux

Tertukhina parle du droit de se défendre avec l'aide de défenseurs de son choix.
DeuxiÚmement : Le droit de la défense à se familiariser avec les documents de l'affaire a été illégalement restreint.

"Nous devons faire vite !". Cette phrase a été entendue à chaque étape de la procédure pénale.
La rapiditĂ© de la nomination des experts par l'enquĂȘteur - sans que la dĂ©fense en soit informĂ©e, la rapiditĂ© de l'annulation de ces dĂ©cisions - sans que la dĂ©fense en soit informĂ©e, la rapiditĂ© de la nomination et de la "production" d'une nouvelle expertise,
la prise de connaissance de cette nouvelle expertise le jour de la fin de l'enquĂȘte, la prise de connaissance du dossier et le transfert de l'affaire au tribunal, la rapiditĂ© de la nomination des audiences par le tribunal, et la rapiditĂ© de l'examen de l'affaire par le tribunal.
Cette "rapidité" a non seulement limité les droits de la défense d'Orlov, mais a également violé dans certains cas les normes du code de procédure pénale.
TroisiĂšmement, l'enquĂȘteur a illĂ©galement compensĂ© le caractĂšre incomplet de l'enquĂȘte prĂ©liminaire.

QuatriÚmement, les conclusions de l'acte d'accusation ne correspondent pas aux circonstances réelles de l'affaire pénale.
Tertukhina : les questions de l'accusĂ© et de la dĂ©fense restent sans rĂ©ponse. Si l'on ne vous rĂ©pond pas sur les faits pour lesquels vous ĂȘtes jugĂ©, comment dĂ©terminer l'objet de la preuve et les limites de la dĂ©fense ? Que reste-t-il Ă  faire dans cette situation ? Lire Kafka ?
Mais je suis avocate, je dĂ©fendrai les droits et libertĂ©s d'Orlov mĂȘme dans ces conditions.
SixiĂšmement, le droit d'exprimer ses opinions et ses idĂ©es sans crainte, mĂȘme si elles contredisent celles de autoritĂ©s ou une partie importante de l'opinion publique, ou si elles dĂ©rangent ou choquent, est reflĂ©tĂ© dans la pratique du ComitĂ© des droits humains de l'ONU.
ĐšĐŸĐœŃŃ‚ĐžŃ‚ŃƒŃ†ĐžŃ ĐłĐ°Ń€Đ°ĐœŃ‚ĐžŃ€ŃƒĐ”Ń‚ ĐșĐ°Đ¶ĐŽĐŸĐŒŃƒ сĐČĐŸĐ±ĐŸĐŽŃƒ ŃĐŸĐČДстО.
Tertukhina poursuit sa plaidoirie : L'accusation d'Orlov est discriminatoire.
Toute l'accusation est basée sur des preuves irrecevables et sur des "témoignages" clairement biaisés.

Bien sûr, l'accusation a également présenté deux témoins, Mironenko et Bohonko
Qu’est-ce qu’un tĂ©moin ? C’est une personne qui a connaissance de toute circonstance pertinente pour l'affaire. Les personnes susmentionnĂ©es sont tĂ©moins de quoi ? Quel est leur rapport avec cette affaire ? Comment se sont-elles prĂ©sentĂ©es et de quels faits tĂ©moignent-elles ?
Devant la cour, ils ont confirmé qu'ils ne connaissaient pas personnellement Orlov. Et ils ne le connaissent plus aujourd'hui, s'ils osent l'accuser d'avoir "le sang des enfants de Beslan sur les mains".
Qu'est-ce, sinon une aversion manifeste pour l'accusé et ses activités ?
A présent, l'avocate de la défense parle de la personnalité d'Oleg Orlov.
Tertukhina : Qui veulent-ils amener à la responsabilité pénale si fortement et si rapidement ?
Elle revient longtemps sur la personnalitĂ© d’Orlov et sur les Ă©tapes de son engagement militant.
Oleg Petrovich s’est opposĂ© Ă  toutes les guerres, Ă  commencer par l'Afghanistan. Il a vu de ses propres yeux la TchĂ©tchĂ©nie et de nombreux conflits armĂ©s. Depuis 2014, tant que cela a Ă©tĂ© possible, il a Ă©galement travaillĂ© dans la zone de conflit armĂ© dans l'est de l'Ukraine.
La chose la plus importante dans sa vie a toujours été, est et reste la défense des droits de l'homme et des libertés. Toutes ses activités n'ont eu d'autre but que celui-là. AprÚs le 24 février 2022, il devait manifester. Il ne pouvait pas ne pas écrire et publier son article.
Tertukhina : Pouvait-il ne pas Ă©crire d'article ? Non !

Ses convictions anti-guerre étaient telles, toute l'expérience de la vie d'Oleg Petrovich Orlov était telle qu'il était tout simplement impossible de s'attendre à d'autres actions de sa part à ce moment-là.
MĂȘme si nous supposons que, dans la Russie d’aujourd’hui, la responsabilitĂ© pĂ©nale est engagĂ©e pour de tels actes, il n'avait pas d'autre possibilitĂ©. Toute Personne a le droit d’agir en cas d’extrĂȘme nĂ©cessitĂ©, et pas seulement si elle est menacĂ©e d'un danger.
Au moment oĂč les soi-disant "actions illĂ©gales" ont Ă©tĂ© commises, il existait un risque rĂ©el de prĂ©judice pour les intĂ©rĂȘts garantis par la loi - des combats Ă©taient en cours. De nombreuses vies humaines Ă©taient en danger
Les actes d'Orlov avaient pour but d'éliminer ce danger, et il ne disposait d'aucun autre moyen légal pour l'éviter.
Pour reconnaĂźtre un acte commis dans un Ă©tat d'extrĂȘme nĂ©cessitĂ© du point de vue du droit pĂ©nal, il n'est absolument pas nĂ©cessaire de reconnaĂźtre la culpabilitĂ©.
Tertukhina lit l'art. 18 de la Constitution :
"Les droits et libertés de l'homme et du citoyen sont d'application directe. Ils déterminent le sens, le contenu et l'application des lois, l'activité des pouvoirs législatif et exécutif, celle des autorités locales et sont garantis par la justice"
Tertukhina : N'est-ce pas la douleur causée par la violation des droits de l'homme qui imprÚgne l'ensemble de l'article d'Orlov ? Les actions d'Orlov sont l'expression pacifique d'une opinion, visant à préserver et à protéger les droits de l'homme et les libertés.
L'antimilitarisme et la condamnation des violations des droits de l'homme ne sont pas interdits par les lois russes actuelles. Jusqu'à présent, toutes les lois russes considÚrent les appels à la guerre ou à la violation des droits de l'homme comme de l'extrémisme.
Orlov, compte tenu de son expérience de vie, parle dans son article et dans les affiches avec lesquelles il a fait des piquets de la Russie, de la patrie, de son pays. Il critique les autorités, il critique la violation des droits humains, dans son pays comme dans tout autre.
Il fait des analogies historiques, il partage ses pensées et ses expériences, il soulÚve une discussion.
Je ne vous rappellerai pas les comparaisons historiques contenues dans l’article.
Je me contenterai de signaler que d'Ă©minents historiens russes et Ă©trangers ont Ă©crit une lettre Ă  l'appui des comparaisons historiques qu'Oleg Orlov cite dans son article.
Tertukhina : En fait, le motif des déclarations d'Orlov était manifestement différent : il s'agissait d'un désaccord avec les autorités. Cela exclut tout motif de haine idéologique.
Tertukhina Ă©numĂšre les normes qui consacrent le droit d'exprimer une opinion critique.
Tertukhina : Au cours de l'interrogatoire, Orlov a rĂ©pondu directement Ă  la question de l'enquĂȘteur sur ses motifs :
"Je voudrais préciser que ce n'est pas un sentiment de haine idéologique ou politique qui m'a poussé à écrire l'article et à manifestater, mais un sentiment de honte pour mon pays, un sentiment de compassion pour les gens qui meurent sous les bombes, les missiles et les obus.
Mes déclarations étaient exclusivement pacifiques. Je n'ai pas appelé à la haine, je n'ai pas appelé à la violence. J'ai vu à maintes reprises les terribles conséquences de la guerre et, pour cela, je ne souhaitais pas de telles souffrances, ni à la Russie, ni à l'Ukraine.
Je me suis toujours considĂ©rĂ© comme un patriote, j'aime mon pays. C'est pourquoi, par mes actions, j'ai voulu empĂȘcher un mal encore plus grand pour elle. J'espĂ©rais influencer mes citoyens dans l'espoir que nos actions pacifiques et lĂ©gales puissent amĂ©liorer la situation.
Tertukhina : Ce tĂ©moignage a Ă©tĂ© tout simplement ignorĂ© par l'enquĂȘte et par l'accusation.

Elle conclut : C’est pourquoi Oleg Petrovich Orlov n'est pas coupable.
OLEG ORLOV prend la parole pour prononcer « son dernier mot »
Le jour oĂč ce procĂšs s’est ouvert, la Russie et le monde ont Ă©tĂ© Ă©branlĂ©s par la terrible nouvelle de la mort d’AlexeĂŻ Navalny. Moi aussi, j’ai Ă©tĂ© Ă©branlĂ©. J’ai mĂȘme envisagĂ© de renoncer Ă  prononcer mon dernier mot :
comment pourrais-je dire quoi que ce soit aujourd’hui, alors que nous sommes encore sous le choc de la nouvelle ? Puis je me suis dit que tout cela n’était que les maillons d’une mĂȘme chaĂźne : la mort, ou plutĂŽt l’assassinat d’AlexeĂŻ,
les reprĂ©sailles judiciaires contre d’autres critiques du rĂ©gime, y compris moi-mĂȘme, l’étranglement de la libertĂ© dans le pays, et l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes. Et j’ai dĂ©cidĂ© de m’exprimer quand mĂȘme.
Je n’ai commis aucun crime. Je suis jugĂ© pour un article de presse dans lequel j’ai qualifiĂ© le rĂ©gime politique Ă©tabli en Russie de totalitaire et de fasciste. Cet article a Ă©tĂ© Ă©crit il y a plus d’un an. À l’époque, certaines de mes connaissances pensaient que j’exagĂ©rais.
Aujourd’hui, il est Ă©vident que je n’exagĂ©rais pas. Dans le pays, l’État contrĂŽle Ă  nouveau non seulement la vie sociale, politique et Ă©conomique, mais il revendique aussi un contrĂŽle total sur la culture, la pensĂ©e scientifique et envahit la vie privĂ©e. Il devient omniprĂ©sent.
Je vais Ă©numĂ©rer un certain nombre d’évĂ©nements disparates, diffĂ©rents Ă  la fois par leur ampleur et leur caractĂšre tragique :
- les livres d’un certain nombre d’écrivains russes contemporains sont interdits en Russie ;
- le mouvement LGBTI+, qui n’existe pas, a Ă©tĂ© interdit, ce qui signifie en pratique une ingĂ©rence flagrante de l’État dans la vie privĂ©e des citoyens ;
- Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences Ă©conomiques, il est interdit aux candidats de citer des « agents de l’étranger ».
DĂ©sormais, les candidats et les Ă©tudiants doivent Ă©tudier et mĂ©moriser la liste des agents de l’étranger avant d’étudier leur matiĂšre ;
- Boris Kagarlitsky, chercheur en sciences sociales et publiciste de gauche bien connu, a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  cinq ans de prison pour quelques mots sur la guerre en Ukraine qui s’écartent de la position officielle ;
- un homme que les propagandistes appellent « leader national », parlant du dĂ©clenchement de la Seconde Guerre mondiale, a dĂ©clarĂ© publiquement ce qui suit : « AprĂšs tout, les Polonais ONT FORCÉ A LES ATTAQUER,
ils ont jouĂ© et ONT FORCÉ Hitler Ă  dĂ©clencher la Seconde Guerre mondiale prĂ©cisĂ©ment contre eux. Pourquoi la guerre a-t-elle commencĂ© en Pologne ? Il s’est avĂ©rĂ© INTRANSIGEANTE. Hitler N’AVAIT PAS D’AUTRE CHOIX pour rĂ©aliser ses plans que de commencer par attaquer la Pologne ».
Comment devrions-nous appeler le systĂšme politique sous lequel toutes les choses que j’ai Ă©numĂ©rĂ©es se produisent ? À mon avis, la rĂ©ponse ne fait aucun doute. Et malheureusement, j’avais raison dans mon article.
Non seulement la critique publique est interdite, mais aussi tout jugement indĂ©pendant. Des sanctions peuvent ĂȘtre prises pour des actions apparemment sans rapport avec la politique ou la critique de l’autoritĂ©.
Il n’y a plus de domaine artistique oĂč la libre expression soit possible, plus de sciences humaines acadĂ©miques libres, plus de vie privĂ©e.
Permettez-moi maintenant de dire quelques mots sur la nature des accusations portĂ©es contre moi et sur celles qui ont Ă©tĂ© formulĂ©es dans de nombreux procĂšs similaires contre ceux qui, comme moi, s’opposent Ă  la guerre.
A l’ouverture de mon procĂšs, j’ai refusĂ© toute participation, ce qui m’a permis de lire le roman de Franz Kafka Le ProcĂšs pendant les dĂ©bats.
De fait, notre situation et celle dans laquelle se trouve le personnage de Kafka ont des points communs : l’absurditĂ© et l’arbitraire dĂ©guisĂ©s en respect formel de certaines procĂ©dures pseudo-juridiques.
On nous accuse de discrĂ©dit sans expliquer ce que cela signifie et en quoi cela diffĂšre d’une critique lĂ©gitime. On nous accuse de diffuser des informations dĂ©libĂ©rĂ©ment fausses sans prendre la peine de prouver leur faussetĂ©.
Et nos tentatives de prouver la vĂ©racitĂ© de ces informations deviennent des dĂ©lits. Nous sommes accusĂ©s de ne pas soutenir le systĂšme d’opinions et de visions du monde proclamĂ© par les dirigeants du pays, malgrĂ© le fait qu’il ne devrait pas y avoir d’idĂ©ologie d’État en Russie.
Nous sommes condamnĂ©s pour avoir doutĂ© qu’une attaque contre un État voisin vise Ă  maintenir la paix et la sĂ©curitĂ© internationales.
Le hĂ©ros de Kafka ne sait mĂȘme pas, jusqu’à la fin du roman, de quoi il est accusĂ©, mais il est malgrĂ© tout condamnĂ© et exĂ©cutĂ©. En Russie, l’accusation nous est formellement notifiĂ©e, mais il est impossible de la comprendre tout en restant dans les normes du droit.
Le hĂ©ros de Kafka ne sait mĂȘme pas, jusqu’à la fin du roman, de quoi il est accusĂ©, mais il est malgrĂ© tout condamnĂ© et exĂ©cutĂ©. En Russie, l’accusation nous est formellement notifiĂ©e, mais il est impossible de la comprendre tout en restant dans les normes du droit.
Les dĂ©putĂ©s, les enquĂȘteurs, les procureurs et les juges ne le disent pas ouvertement. Ils le cachent sous les formulations absurdes et illogiques de leurs soi-disant nouvelles lois, leurs nouveaux actes d’accusation et leurs nouvelles peines. Mais c’est ainsi.
Aujourd’hui, AlexeĂŻ Gorinov, Alexandra Skochilenko, Igor Baryshnikov, Vladimir Kara-Murza et bien d’autres sont lentement tuĂ©s dans les colonies et les prisons.
Ils sont tuĂ©s pour avoir protestĂ© contre l’effusion de sang en Ukraine, pour avoir voulu que la Russie devienne un État dĂ©mocratique et prospĂšre qui ne constitue pas une menace pour le monde extĂ©rieur.
Ces derniers jours, des personnes ont Ă©tĂ© interpellĂ©es, punies et mĂȘme emprisonnĂ©es simplement parce qu’elles s’étaient rendues devant les monuments dĂ©diĂ©s aux victimes de la rĂ©pression politique pour honorer la mĂ©moire d’AlexeĂŻ Navalny,
un homme remarquable, courageux, honnĂȘte, et qui, dans des conditions incroyablement difficiles et spĂ©cialement crĂ©Ă©es pour lui, n’a pas perdu son optimisme et sa foi en l’avenir de notre pays. Car il s’agit d’un meurtre, quelles que soient les circonstances exactes de son dĂ©cĂšs.
Les autoritĂ©s sont en guerre contre Navalny, mĂȘme mort, et dĂ©truisent les monuments crĂ©Ă©s spontanĂ©ment Ă  sa mĂ©moire. Elles le craignent mĂȘme mort et Ă  juste titre.
Ceux qui agissent ainsi espÚrent pouvoir démoraliser la partie de la société russe qui continue à se sentir responsable de son pays.

Qu’ils espùrent en vain.
Souvenons-nous, il disait : « N’abandonnez-pas ». J’ajouterais : ne perdez pas courage, ne perdez pas confiance ! AprĂšs tout, la vĂ©ritĂ© est de notre cĂŽtĂ©. Ceux qui ont conduit notre pays dans le gouffre oĂč il se trouve aujourd’hui reprĂ©sentent ce qui est vieux, dĂ©crĂ©pit, dĂ©passĂ©.
Ils n’ont aucune vision de l’avenir – seulement de fausses images du passĂ©, des mirages de la « grandeur impĂ©riale ». Ils font reculer la Russie, la ramĂšnent dans la dystopie dĂ©crite par Vladimir Sorokine dans La journĂ©e d’un Opritchnik.
Mais nous vivons au XXIe siĂšcle, le prĂ©sent et l’avenir sont derriĂšre nous et notre victoire est inĂ©vitable.
En conclusion de ma dĂ©claration, je voudrais m’adresser – peut-ĂȘtre de maniĂšre inattendue pour beaucoup – Ă  ceux qui, par leur travail, font avancer le rouleau compresseur de la rĂ©pression. Aux fonctionnaires, aux agents de la force publique, aux juges, aux procureurs.
Vous comprenez bien ce qui se passe. Et vous n’ĂȘtes pas tous des partisans convaincus des rĂ©pressions politiques. Parfois, vous regrettez ce que vous devez faire, mais vous vous dites : « Que puis-je faire ? Je ne fais que suivre les ordres des supĂ©rieurs. La loi est la loi ».
Je m’adresse à vous, Madame la juge, et à l’accusation. N’avez-vous pas peur ? N’avez-vous pas peur de voir ce que notre pays, que vous aimez probablement vous aussi, est en train de devenir ?
N’avez-vous pas peur que non seulement vous et vos enfants, mais aussi, Ă  Dieu ne plaise, vos petits-enfants, aient Ă  vivre dans cette absurditĂ©, cette anti-utopie ?
N’est-il pas Ă©vident que le rouleau compresseur de la rĂ©pression finira tĂŽt ou tard par s’abattre sur ceux qui l’ont dĂ©clenchĂ© et poussĂ© ? Cela s’est produit Ă  maintes reprises dans l’histoire.
Je rĂ©pĂ©terai donc ce que j’ai dit lors du prĂ©cĂ©dent procĂšs.
Oui, la loi est la loi.
Mais je me souviens qu’en 1935, en Allemagne, ont Ă©tĂ© adoptĂ©es les lois de Nuremberg. Et puis, aprĂšs la victoire en 1945, les auteurs de ces lois ont Ă©tĂ© jugĂ©s pour les avoir appliquĂ©es.
Je ne suis pas convaincu que les créateurs et les exécutants actuels des lois russes anti-juridiques et anticonstitutionnelles seront tenus pour responsables devant les tribunaux. Mais le chùtiment sera inévitable.
Leurs enfants ainsi que leurs petits-enfants auront honte de parler de leur pùre, de leur mùre, de leur grand-pùre ou de leur grand-mùre et de ce qu’ils ont fait dans le cadre de leur fonction.
Il en ira de mĂȘme pour ceux qui commettent aujourd’hui des crimes en Ukraine en exĂ©cutant les ordres qui leur ont Ă©tĂ© donnĂ©s. À mon avis, il s’agit de la plus terrible des punitions. Et elle est inĂ©vitable.
En ce qui me concerne, le chĂątiment est Ă©galement inĂ©vitable, car dans les circonstances actuelles, l’acquittement pour de telles accusations est impossible.
Nous verrons bien quel sera le verdict.

Mais je ne regrette rien et ne me repens de rien.
Le public applaudit et crie "bravo".

L'huissier menace le public en l’accusant de « hooliganismea»

Le juge annonce que le verdict sera rendu demain, 27 février, à 12h (heure de Moscou), 10h, heure française.

Oleg Orlov ressort libre et souriant de la salle d’audience Image
@threadreaderapp pls unroll

‱ ‱ ‱

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Memorial France

Memorial France Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @france_memorial

Feb 21
🔮 LIVE : Dans quelques minutes dĂ©bute la deuxiĂšme audience dans le nouveau procĂšs contre Oleg Orlov, co-prĂ©sident du @hrc_memorial Centre de dĂ©fense des droits humains "Memorial", au tribunal Golovinsky de Moscou. Oleg Orlov est Ă  nouveau menacĂ© de 3 ans de prison. Image
Rappelons qu'Oleg Orlov est poursuivi pour « discrédit répété des forces armées russes » de l'armée pour avoir publié un article contre la guerre dans @Mediapart . Le 11 octobre dernier, le tribunal l'avait condamné à une amende de 150 000 roubles.
En appel, le 14 dĂ©cembre, ce jugement a Ă©tĂ© annulĂ© et renvoyĂ© pour complĂ©ment d’enquĂȘte. Aujourd’hui dĂ©bute donc un nouveau procĂšs, avec des charges renforcĂ©es par de prĂ©tendues circonstances aggravantes.
Read 125 tweets
Feb 16
🔮 LIVE : Aujourd'hui, 16 fĂ©vrier, dans quelques minutes, dĂ©butera le nouveau procĂšs contre Oleg Orlov, co-prĂ©sident du Centre de dĂ©fense des droits humains "Memorial", au tribunal Golovinsky de Moscou.
Rappelons qu'Oleg Orlov est poursuivi pour « discrédit répété des forces armées russes » de l'armée pour avoir publié un article contre la guerre dans @Mediapart . Le 11 octobre dernier, le tribunal l'avait condamné à une amende de 150 000 roubles.
En appel, le 14 dĂ©cembre, ce jugement a Ă©tĂ© annulĂ© et renvoyĂ© pour complĂ©ment d’enquĂȘte. Aujourd’hui dĂ©bute donc un nouveau procĂšs, avec des charges renforcĂ©es par de prĂ©tendues circonstances aggravantes.
Read 100 tweets
Dec 14, 2023
🚹 Aujourd'hui, 14 dĂ©cembre, dans quelques minutes, dĂ©butera le procĂšs en appel d'Oleg Orlov, co-prĂ©sident du Centre "Memorial", au tribunal municipal de Moscou.
Rappelons qu'Oleg Orlov est poursuivi en vertu de l'article sur le "discrédit répété" de l'armée pour avoir publié un article contre la guerre. Le 11 octobre, le tribunal Golovinsky l'a condamné à une amende de 150 000 roubles.
Orlov et la dĂ©fense font appel. Le mĂȘme jour, on a appris que le bureau du procureur avait Ă©galement fait appel du verdict et demandĂ© qu'Orlov soit condamnĂ© Ă  trois ans d'emprisonnement ferme.
Read 109 tweets
Oct 11, 2023
🚹 LIVE : Aujourd’hui, Ă  Moscou a lieu la 7e audience dans le procĂšs contre Oleg Orlov de @hrc_memorial. Oleg Orlov est accusĂ© de « discrĂ©dit rĂ©pĂ©té » de l’armĂ©e et risque jusqu’à 3 ans de prison pour un article dans @Mediapart « ils voulaient le fascisme, ils l’ont eu ».
L'avocate rappele l'article 39 du code pĂ©nal, qui stipule que ce n'est pas un crime de porter atteinte aux intĂ©rĂȘts protĂ©gĂ©s par le droit pĂ©nal dans un Ă©tat d'extrĂȘme nĂ©cessitĂ© :
- pour Ă©liminer un danger pour la personne et les droits, les intĂ©rĂȘts de la sociĂ©tĂ© ou de l'État, si ce danger ne peut pas ĂȘtre Ă©liminĂ© par d'autres moyens et qu'il n'y a pas de dĂ©passement des limites de l'Ă©tat d'extrĂȘme nĂ©cessitĂ©.
Read 92 tweets
Sep 22, 2023
Aujourd’hui, Ă  Moscou a eu lieu une nouvelle audience (la 6e) dans le procĂšs contre Oleg Orlov de @hrc_memorial. Oleg Orlov est accusĂ© de « discrĂ©dit rĂ©pĂ©té » de l’armĂ©e et risque jusqu’à 3 ans de prison pour un article dans @Mediapart « ils voulaient le fascisme, ils l’ont eu ». Image
En voici les temps forts :
L’audience a Ă©tĂ© ouverte dĂšs l’arrivĂ©e de la juge. Cette fois-ci, de nombreuses personnes n'ont pas pu entrer dans la salle et sont restĂ©es dans le couloir. Image
L'avocate Katerina Tertukhina demande la parole et rappelle que le tribunal n'avait pas statuĂ© sur l’exclusion de l'expertise de Kryukova et Tarasov. La juge dĂ©clare qu'elle ne peut pas prendre de dĂ©cision maintenant. Ce report est contraire Ă  la loi, note Mme Tertukhina
Read 86 tweets
Sep 15, 2023
🔔 La 5e audience dans le procĂšs contre Oleg Orlov de @hrc_memorial vient de se terminer. Elle Ă©tait consacrĂ©e Ă  la poursuite de l’audition des tĂ©moins de La dĂ©fense.
Rappelons qu’Oleg Orlov est accusĂ© de « discrĂ©dit rĂ©pĂ©té » de l’armĂ©e russe (partie 1 de l’article 280.3 du code pĂ©nal) et risque jusqu’à 3 ans de prison pour un article dans @Mediapart « ils voulaient le fascisme, ils l’ont eu ».
Orlov, les avocats de la défense et les journalistes entrent dans la salle. Ils font entrer le public tant qu'il reste des places libres dans la salle. Le juge entre dans la salle et l'audience commence.
Read 86 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Don't want to be a Premium member but still want to support us?

Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal

Or Donate anonymously using crypto!

Ethereum

0xfe58350B80634f60Fa6Dc149a72b4DFbc17D341E copy

Bitcoin

3ATGMxNzCUFzxpMCHL5sWSt4DVtS8UqXpi copy

Thank you for your support!

Follow Us!

:(