Le 8 mai 1945 au camp de Terezin, en République Tchèque, Eric Schwab, photographe détaché avec l'armée américaine pour le compte de l'AFP, est à l'avant de sa Jeep aux côtés d'une femme âgée qui s'occupait des enfants du camp. Elle s'appelle Elsbeth Bieber. ⬇️
Schwab, originaire d'Allemagne, a été, jusqu'à la déclaration de guerre, photographe de mode à Paris. Après un périple harassant pendant la débâcle, il entre dans la Résistance intérieure.
En octobre 1944, suite à la libération quasi-intégrale de la France, Schwab est engagé par l'AFP pour suivre l'avancée des troupes américaines en Europe.
Il accompagne un journaliste de presse écrite, Meyer Levin, dont les armes journalistiques ne sont plus à faire. L'aventure des deux comparses est relatée dans le livre d'Annette Wieviorka, La découverte.
Si Schwab et Levin connaissent l'existence de camps, ils n'en supposent pas la réalité. Le 4 avril 45 , à Gotha, alors qu'ils traversent la ville en voiture, ils sont interpellés par des individus déguenillés, étiques, "Mu, mais sans la vie".
Il est acquis, aujourd'hui, que les pouvoirs occidentaux savaient. Toutefois, les journalistes et militaires partis vers l'est n'ont aucune idée de l'abîme qui les attend, ou, pour le dire vraiment, ne les attend plus.
Les personnes qui interpellent les dix journalistes sont des échappés du camp d'Ohrdruf. Ces deniers ne comprennent pas tout.
Le lendemain, l'armée américaine pénètre le camp. Levin et Schwab sont mutiques.
Schwab photographie ce qu'il reste de visages. Schwab photographie ce qu'il reste de rien. Les Allemands sont partis et ont laissé le camp sous la meurtrissure.
Schwab devient, au fur et à mesure de "la découverte", un documentaliste des camps. Nombre de ses photographies nous obligent :
Ici, au camp de Leipzig-Thekla
Ici, au petit camp de Buchenwald
Ici à Dachau, où des prisonniers résistants français chantent la Marseillaise.
Ici, en avril 45, à Buchenwald.
Du 5 avril, à Ohrdruf, au 8 mai, à Terezin, Schwab, en plus de sa mission historique, a un espoir caché. Il rêve de retrouver sa mère, déportée depuis Berlin en 43.
À chaque camp, il demande au registre, si jamais.
Le 8 mai, à Terezin, Levin répète la demande à l'administration. La réponse est toujours la même. L'odyssée arrive à sa fin et Schwab ne retrouvera certainement jamais sa mère.
En revenant vers la Jeep après avoir fait le tour du camp, il trouve Éric Schwab accompagné d'une femme sur le siège avant. Elle est maigre, ses yeux sont creux, elle s'appelle Elsbeth Bieber. C'est la mère d'Éric Schwab.
Schwab était parti par le camp, cherchant quiconque pourrait lui ressembler de près ou de loin. Une femme en tenue d'infirmière croisa son regard. Elle s'occupait des enfants. Et ils surent.
Schwab, après-guerre, emmena sa mère vivre à New-York, où il poursuivit sa carrière de photographe, notamment dans le milieu du jazz.
Schwab laissa libre de droit l'ensemble de ses photographies. Elles sont aujourd'hui parmi les plus essentiels documents mémoriels sur la Shoah.
Ce jour-là, il avait retrouvé sa mère.
Que le nom d'Eric Schwab soit une bénédiction.
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Il y a 81 ans, le 7 mars 1944, la police vichyste entra chez Benjamin Fondane et l'emmena avec sa sœur, Line. Sur la table du salon, il laissa un petit message, "Viève, voilà", à l'adresse de sa femme. Ce fut la prison puis le camp de Drancy. ⬇️
Fondane était de la génération des poètes juifs de l'exil, qui fuit les pogroms à l'est de l'Europe. Lui était roumain et comme beaucoup d'autres, il avait vu en Paris un refuge fantasmé, le salut par la ville des arts.
Arrivé en France en 1923, il rencontre quelques mois plus tard Léon Chestov, philosophe russe qui bouleversa son existence. Avec lui, il revoit entièrement sa conception de la littérature et s’initie à la pensée.
"Les Juifs portaient l'étoile jaune dans les années 30" alors que le bonhomme vient de dire qu'en tant que professeur d'histoire-géographie il était sidéré par l'ignorance des jeunes gens.
L'étoile jaune n'apparaît qu'en 41. Il enseigne l'histoire.
Beaucoup diront que c'est une erreur commune, et en effet c'en est une, qui ne pose pas de problème. Ça n'en pose pas en soi, mais un enseignant en histoire devrait savoir que c'est une erreur qui s'ancre dans le sillage des théories intentionnalistes, et que bon...
Printemps 1946, vers Abda, en Hongrie, des paysans exhument les cadavres d'une fosse commune pour trouver de l'or sur les corps. Parmi les morts, un homme est découvert avec un carnet dans la poche de son manteau émietté. Il s'appelle Miklós Radnóti. ⬇️
Le petit carnet est mis au sec, réfrechi. Bientôt, on le lit. Dix poèmes y figurent qui racontent la marche qui destina le poète sous la terre où il gisait.
Radnóti est né en 1909. Son frère jumeau mort-né et sa mère décédée des suites de l'accouchement, à 28 ans, le poursuivent toute sa vie. Il écrit, après avoir atteint le dernier âge de sa mère, le poème "vingt-huit ans".
Désolé, mais dire que la Shoah a donné tort à l'antisionisme du Bund, les rend naïfs devant l'Histoire ou, pire, en fait des Juifs serviles, c'est, quel que soit le degré de la position, cracher à la gueule des victimes des nazies.
Dans le Ghetto de Varsovie, rêver Jérusalem ou une nouvelle Pologne ne change absolument rien.
Et ça rejoint, de près ou de loin, le rhétorique selon lequel les Juifs d'Europe ont rejoint l'abattoir dans la résignation.
Sur l’île de Jersey, la Gestapo passa le seuil de leur porte alors que Marcel Moore et Claude Cahun dînaient. Les deux savaient depuis quelques temps le couperet proche. Lorsque les Nazis entrèrent, Claude Cahun leur dit :
« Trop tard, l'Allemagne a perdu la guerre. » ⬇️
Claude Cahun était née Lucy Schwob, nièce du célèbre écrivain Marcel du même nom, en 1894, à Nantes. Marcel Moore était Suzanne Malherbe, en 1892, à Nantes également. Elles s'étaient rencontrées à l'adolescence et n'avaient cessé de s'aimer depuis.
À Paris, où elles firent le plus important de leur carrière artistique, elles gravitaient autour des avant-gardes, sans jamais y adhérer pleinement. Moore dessinait, Cahun écrivait et dansait. Il y avait la photographie, aussi.
Il y a 80 ans, le 7 mars 1944, la police vichyste entra chez Benjamin Fondane et l'emmena avec sa sœur, Line. Il laissa un mot sur la table à l'adresse de Geneviève, sa femme : « Viève, voilà ». Après un passage en prison, il fut enfermé au camp de Drancy. ⬇️
Fondane fut de la génération des poètes juifs de l'exil, qui œuvra en fuyant les pogroms à l'est de l'Europe. Lui était roumain, et comme beaucoup d'autres, il avait vu en Paris le salut par la ville des arts, un refuge fantasmé.
Arrivé en France en 1923, il rencontre quelques mois plus tard Léon Chestov, philosophe russe qui bouleversa son existence. Avec lui, il revoit entièrement sa conception de la littérature et s’initie à la pensée.