Encore un qui n'a pas très bien du lire Jaurès dans le texte. Pourtant : "Et si, malgré son effort et sa volonté de paix, elle est attaquée, comment porter au plus haut les chances de salut, les moyens de victoire ?" (l'Armée Nouvelle - 1911) 1/
Jaurès était pacifiste, mais ne refusait pas la défense nationale. Au contraire. C'est exactement la situation de l'Ukraine aujourd'hui. N'en déplaise à ceux qui l'instrumentalisent pour prêcher l'abandon à Poutine, je suis persuadé que Jaurès aurait soutenu l'Ukraine. 2/
Au delà de ce constat d'incompréhension, il y a dans cette forme de pacifisme une naïveté tragique, qui consiste à croire qu'il "suffit" de vouloir la paix pour l'obtenir, qu'il "suffit" de refuser le combat pour conjurer toute tragédie. 3/
Passons l'hypothèse "séide de Moscou" : à mon avis, A. Caron est d'avantage l'héritier de cette tradition naïve plutôt qu'un agent prêt à vendre des rillettes (vegan) sur la Place Rouge. 4/
Il y a, sans doute, un retour d'influence du Calvinisme dans tout ça : ce côté "si je me tiens éloigné du Mal, c'est que je suis destiné au bien". Au fond, c'est le triomphe d'une médiocre éthique de conviction contre l'éthique de responsabilité. 5/
Mais alors, "est-ce que la paix c'est mieux que la guerre ?" Oui, personne ne dit le contraire. Mais "est-ce qu'on peut refuser une guerre d'invasion quand on est envahi ?" Oui... Mais en capitulant. Les mécanismes internationaux post-1945 espéraient créer un mécanisme...6/
...de sécurité collective reposant sur le Conseil de Sécurité pour défendre les faibles. Mais quand un de ses membres viole le droit international, ce mécanisme est paralysé. On en revient - on peut le déplorer - à la "bonne vieille légitime défense". 7/
Et à ce "jeu", refuser toute implication, espérer que l'arrêt de la fourniture d'armes "tarira le conflit par hypoxie" ne fait jamais qu'aider le plus fort, l'agresseur.
Faut-il faire des démarches pour la paix ? Oui, sans doute. Mais comment ? 8/
La première chose à faire, pour avoir la paix, c'est de mettre en échec l'agression. Parce que si on ne le fait pas, on n'aura pas une "paix", mais une "domination du plus fort". Est-ce la paix ? Sur le plan international, oui. Sur le plan national, non, c'est l'injustice. 9/
(notons au passage que, du traité de Versailles à la déclaration de Philadelphie, on avait bien compris qu'il n'y avait pas de paix durable sans justice sociale - cela passe par, à minima, l’absence d'invasion). 10/
Mettre en échec l'agression russe est donc le préliminaire à toute discussion valable. Donner à l'Ukraine les moyens de choisir SA paix est le préalable à toute négociation franche. A moins d'assumer qu'on lui impose une paix. 11/
Pas très "émancipateur" cette idée que des grands pays imposeraient une paix à des petits. Ces idées de "hiérarchie des nations" et de "zones d'influence" sont des concepts du XIXe siècle, un peu rances, mais trop souvent agités par certains "pacifistes progressistes" 12/
Une fois l'agression mise en échec (c'est à dire les Russes repoussés et le territoire ukrainien sanctuarisé ou les Russes épuisés), il sera possible de négocier. Sans aller à Moscou, sans détruire la Russie. 13/
Et, pour nous, au delà de la menace évidente que représente un triomphe russe en Ukraine pour notre sécurité continentale, le principe de non annexion des territoires par la force mérite d'être défendu. 15/
Quels qu'aient été les tords de certaines interventions occidentales depuis une trentaine d'années, on n'annexe plus de territoires par la force depuis 1945. Les Etats-Unis n'ont rien annexé en Irak ou en Afghanistan par exemple. 16/
Modifier les frontières reconnues par la force est un poison violent des relations internationales, un moteur de guerre, une idée qui rend la guerre "rentable" dans l'esprit de l'agresseur, surtout dans un monde où les ressources énergétiques ou agricoles sont en tension. 17/
Et cela génère aussi des logiques mondiales de course aux armements : si mes frontières peuvent être remises en cause, je suis incité à m'armer. Si je pense qu'il y a une solution militaire à un contentieux territorial, je suis incité à la rechercher... 18/
J'ai précisé frontières "reconnues" pour les whataboutistes, afin de leur rappeler que, dans la question Israël/Palestine, il n'y a jamais eu consensus sur une situation frontalière depuis 1948 - c'est un terrible échec collectif qui empoisonne le système international... 19/
...je rappelle aussi que nous ne reconnaissons pas l'annexion du Golan par Israël, pas plus que nous n'avions reconnue l'annexion de la Cisjordanie par la Jordanie après 1948 (un fait... "un peu oublié" par certains). 20/
Bref : beaucoup d'arguments militent pour un "pacifisme de la raison" qui implique de défendre le faible contre l'agression du fort, de refuser de cautionner l'usage de la force et, oui, parfois, de combattre pour certains principes de droit. 21/
L'idée que "les actions non militaires" suffisent résultait d'une alliance baroque entre pacifistes et libéraux modernes, qui pensaient qu'en jouant sur l'arme économique on ferait reculer l'agresseur. Mais d'une part la rationalité de l'agresseur n'est pas la notre... 22/
Et d'autre part, les interdépendances ne se résument plus à l'Occident sur le plan économique. Les sanctions internationales comme alternative à la guerre... Désolé, ça ne marche pas. 23/
Être pacifiste, aujourd'hui, cela devrait donc être "soutenir la défense de l'Ukraine face à l'agression russe". Pas la lâcher en rase campagne. Parce que ce serait faire preuve d'inhumanité, un sentiment qui devrait être à la base du pacifisme. FIN
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Encore un "super bingo" du n'importe quoi sur la dissuasion... *soupir*.
Non, la doctrine française n'a jamais été "aucune attaque n'est acceptable". Jamais, à aucun moment, la France ou un de ses présidents, depuis que nous avons l'arme nucléaire, n'a dit ça. Jamais. 1/
La vérité est qu'il y a forcément, comme pour toute capacité militaire, un seuil d'emploi. Que ce seuil soit ambigu, secret, voire variable en fonction des circonstances, c'est une évidence. 2/
Certains des intérêts vitaux sont bien entendu évidents : la survie même de la Nation, du territoire et des populations contre une attaque nucléaire majeure. D'autres intérêts vitaux peuvent être plus compliqués à évaluer... 3/
Quelques rappels utiles : le marché international de l'armement, c'est une niche à l'échelle mondiale, pas grand chose. Une grosse centaine de milliards $ / an, à comparer aux 20 000 milliards du commerce international. Environ 0,5%. 2/
C'est aussi environ 5% des budgets militaires mondiaux (un peu plus de 2200 milliards). Est-ce que c'est important sur le plan stratégique ? Oui, clairement. Est-ce que c'est vital pour notre industrie de défense ? Oui, et on peut ajouter "hélas" parce que c'est fragile. 3/
Cela fait un certain temps que je suis sur cette ligne : je pense aussi que la Russie peut "continuer comme ça" au moins trois à cinq ans, avec une production d'armes et de munitions "inefficacement à la hausse"...
Un fil pour parler économie de guerre. 1/ 🧶
Le chiffre de trois millions d'obus produits par an circulent beaucoup à propos de la production russe. Cela fait un potentiel de plus de 8000 obus par jour. 2/ edition.cnn.com/2024/03/10/pol…
Même en considérant qu'ils gardent des stocks stratégiques et n'en utilisent "que" 6000 par jour en Ukraine, c'est toujours au moins le double de ce que reçoivent les Ukrainiens 3/ politico.eu/article/eu-to-…
Alors non, la France n'a pas de "capacités nucléaires tactiques". La FATAC, c'est fini. Le tandem Rafale/ASMPA de l'AAE est le cœur des "Forces aériennes stratégiques", les FAS, qui comme leur nom l'indique n'ont aucune dimension "tactique". Et la FANu, pareil.
Un fil ☢️1/
Le fait d'avoir deux composantes (enfin 2,5) apporte plus de souplesse, plus de résilience, nous met à l'abri d'une mauvaise "surprise stratégique" (oblitérer l'île longue et couler le sous-marin en patrouille ne suffit pas) 2/
Mais ni la doctrine ni surtout les vecteurs et les armes ne sont pensés pour un usage sur le champ de bataille (on peut sans doute spéculer sur l'intérêt possible de l'ASMPA en tactique naval extrême à la limite, mais c'est marginal). 3/ usni.org/magazines/proc…
A bien des égards, la déclaration du président français est un "non évènement". Il ne fait que traduire en mots simples une évidence : "non, on ne peut pas tout accepter vis à vis de l'Ukraine de la part de la Russie". 1/
C'est le retour à une forme d’ambiguïté dans le discours stratégique. De flou dans la notion de limite, qui complique le calcul stratégique adverse et inhibe sa capacité d'action de l'adversaire "sous le seuil" (puisque le seuil... Bin on sait pas où il est). 2/
Chose que les Occidentaux (à commencer par les Américains) n'avaient pas fait avant février 2022. En étant clair sur le fait que les Etats-Unis n'enverraient pas de troupes au sol, on traçait une ligne rouge (beurk), qui disait en substance "l'invasion ? Vous pouvez y aller". 3/
On en revient quand même à une question cruciale : la soutenabilité du machin. Donner des avions, c'est bien. Encore faut-il les faire voler, dans la durée. Des bases, des personnels formés, au sol comme au pilotage, des pièces, un maintien en condition opérationnelle. 1/
Le tout, intégré dans une chaine de commandement, fourni en munitions et avec suffisamment d'effectifs pour encaisser de l'attrition. C'est pour ça que le F16 est pertinent et prioritaire. On en a plein en Europe, c'est un avion rôdé, versatile, qu'on peut entretenir en nombre.2/
le M2000 est certainement un excellent chasseur, mais cela imposerait à l'Ukraine de doubler ses chaines de maintenance, de former des personnels à deux matériels radicalement différents, du simple mécano au contrôleur opérationnel. 3/