Cette vidéo de @RaveaudGilles sur @blast_france suscite de nombreuses critiques, notamment de la part des libéraux. Si certaines sont justifiées, il importe de revenir sur l’histoire du libre-échange, qui comme l’a montré Paul Bairoch, est obscurcie par bien des mythes. 1/25
Dans cette vidéo, Gilles Raveaud revient sur la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo : chaque pays aurait intérêt à se spécialiser dans une production et à échanger librement avec les autres, spécialisés dans d’autres productions. 2/25
Cette théorie est exposée dans l’ouvrage «Les principes de l’économie politique et de l’impôt», publié en 1817. Or à cette époque, le Royaume-Uni est protectionniste. En 1815, une «loi céréalière» («corn law») est votée pour protéger l’agriculture nationale des importations. 3/25
Les landlords, propriétaires terriens, défendent ardemment cette loi, car elle permet de stabiliser les prix à un niveau assez élevé. Au contraire, une grande partie de la population y est opposée, de même que les industriels, hostiles au protectionnisme en général. 4/25
En effet, le Royaume-Uni est alors la première puissance industrielle du monde : en 1830, la production industrielle par habitant est de 250 % supérieure à celle du reste de l’Europe. Les industriels ont donc intérêt au libre-échange pour écouler leurs marchandises. 5/25
Une partie d’entre eux, dont Richard Cobden, ont formé un groupe de pression pour pousser le gouvernement à abandonner le protectionnisme : l’Anti-Corn Law League (ACLL). En 1842, celui-ci obtient du gouvernement Robert Peel l’autorisation des exportations de machines. 6/25
En 1846, la corn law est abolie, moins en raison du militantisme de l’ACLL qu’à cause de la récolte désastreuse de l’année précédente (la maladie de la pomme de terre fait des ravages). En tout cas, le rapport de force entre les industriels et les landlords s’est inversé. 7/25
Vers le milieu du XIXe siècle, les partisans du libre-échange ont désormais un argument qui semble solide : le pays le plus puissant sur le plan économique est aussi le plus libre-échangiste. C’est ce qu’affirme l’économiste français Frédéric Bastiat. 8/25
Cependant, cet argument est fallacieux : ce n’est pas en raison du libre-échange que le Royaume-Uni a dépassé les autres nations dans la course économique, mais précisément parce que pendant des décennies, ses industries ont bénéficié de protections douanières. 9/25
C’est le principe des «industries dans l’enfance», formulé en 1841 par l’économiste Friedrich List dans son «Système national d’économie politique» : pour qu’un pays puisse s’industrialiser, il a d’abord besoin de se prémunir de la concurrence des pays plus avancés. 10/25
Ce principe a été appliqué aux États-Unis, sous l’influence d’Alexander Hamilton, ministre des Finances de 1789 à 1795. Malgré l’opposition des États du sud, exportateurs de biens agricoles, le pays reste protectionniste jusqu’en 1945. 11/25
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis n’a plus à craindre la concurrence étrangère, et comme le Royaume-Uni un siècle auparavant, ils deviennent libre-échangistes. Ulysses Grant, président américain de 1869 à 1877, l’avait prophétisé :
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Tout cela étant dit, on peut se demander si le libre-échange a été une bonne politique. Pour les très grandes puissances comme le Royaume-Uni au XIXe siècle, et les États-Unis au XXe, il a indéniablement accru leur poids dans l’économie mondiale. 13/25
Ainsi, ces puissances ont influencé d’autres pays. En 1860, la France signe un traité de libre-échange avec le Royaume-Uni, et l’année suivante avec la Belgique. Jusqu’en 1866, écrit Paul Bairoch, «pratiquement tous les pays européens» libéralisent leur commerce. 14/25
Quels en furent les résultats ? Le libre-échange n’a pas empêché les pays européens de connaître une période de stagnation économique, dans les années 1873-1896. Cette stagnation a pour origine une crise bancaire, après l’éclatement d’une bulle spéculative. 15/25
Les mouvements de capitaux, facilités par l’ouverture des frontières, accélèrent la diffusion de la crise. Les difficultés économiques sont particulièrement fortes dans le monde rural, qui subit la concurrence des céréales américaines et russes. 16/25
En réaction, la plupart des pays d’Europe prennent à nouveau des mesures protectionnistes : d’abord l’Allemagne en 1879, puis en France en 1881. Seuls le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suisse et le Danemark gardent leurs frontières ouvertes à la fin du siècle. 17/25
Ce retour aux barrières douanières s’est accompagné, paradoxalement, d’un accroissement du commerce extérieur. Les échanges commerciaux des pays protectionnistes sont même plus importants que ceux du Royaume-Uni, resté libre-échangiste. 18/25
Pour Paul Bairoch, cela s’explique par le fait que le protectionnisme favorise la croissance économique, qui elle-même nourrit le commerce. Cette relation n’est pas automatique, mais elle montre que le protectionnisme n’est pas forcément synonyme de repli. 19/25
À la charnière des XIXe et XXe siècles, des intellectuels et des hommes politiques britanniques l’ont compris. En 1881, ils défendent les protections douanières au sein de la Fair Trade League, puis, à partir de 1903, dans la Tariff Reform League. 20/25
D’après les membres de ces associations, l’heure n’est plus au libre-échange, le Royaume-Uni étant rattrapé par de nouvelles puissances, en particulier l’Allemagne et les États-Unis.
De fait, il apparaît que le libre-échange est avant tout l’arme des forts. 21/25
Un dernier exemple permet de l’illustrer : l’imposition du libre-échange aux pays soumis à l’impérialisme occidental. Dans les colonies britanniques, tous les produits peuvent entrer librement, avec un avantage pour les produits de la métropole. 22/25
Les pays officiellement indépendants, comme la Chine ou la Thaïlande, sont contraints de signer des traités inégaux. Loin du mythe du doux commerce, les puissances impérialistes font la guerre au nom du libre-échange. 23/25
Ainsi, les guerres de l’opium, en 1839-1842 puis en 1856-1860, ont eu pour résultat l’ouverture du territoire chinois au commerce occidental. D’après Paul Bairoch, il est évident que c’est ce libre-échange brutal qui a appauvri les nations du «sud». 24/25
Bref, en matière de politique commerciale, l’histoire nous enseigne qu’il n’y a pas de lois économiques absolues. Le libre-échange et le protectionnisme ont des avantages et des inconvénients, selon les objectifs visés. Ce serait une profonde erreur d’en faire des dogmes. 25/25
(Fil qui peut intéresser @DjmbLe @cynikalif @pierre_jacquel2 @DroitardFragile @PHactNeutre...)
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Le nazisme est un mélange d’extrême réaction – racisme, primat de l’instinct sur la discussion rationnelle – et d’extrême modernité – industrialisme et technolâtrie. C’est cette synthèse qu’analyse l’historien Jeffrey Herf dans son ouvrage «Le modernisme réactionnaire». 1/25
Comme l’auteur le rappelle, l’idéologie nazie s’est développée dans un contexte tout à fait particulier : l’Allemagne de la République de Weimar, un pays meurtrie par la défaite de 1918 et marquée par une très grande instabilité politique et économique. 2/25
À cela s’ajoute une tension inhérente à société allemande : depuis le dernier tiers du XIXe siècle, l’industrialisation et l’urbanisation du pays se sont fortement accélérées, alors que les structures de la société sont largement restées traditionnelles et illibérales. 3/25
Oui, l'École est un cadre qui peut être violent et humiliant, notamment à l'égard des plus fragiles. Les enseignants le savent bien. Cependant, que propose François Bégaudeau pour résoudre ce problème ? Un remède pire que le mal. 1/8
Ce qu'il souhaite, c'est l'abolition de l'École, ou du moins de l'obligation scolaire. Dès lors, comment les enfants apprendront à lire, à écrire, à réfléchir ? Il n'en dit rien et parle, de manière vague, de "bons environnements de vie".
(2h02'27''). 2/8
Il est pourtant évident que la fin de l'obligation scolaire aurait pour conséquence l'explosion des inégalités culturelles, et donc sociales. En effet, les enfants de la bourgeoisie, la classe à laquelle François Bégaudeau appartient, auront toujours accès au savoir. 3/8
On peut définir la science comme étant l’ensemble des connaissances dont la véracité est établie par des méthodologies spécifiques et éprouvées. Elle aurait émergé aux XVIe et XVIIe siècles, grâce aux travaux de Copernic, Galilée, Kepler et bien sûr Newton. 1/25
Cependant, l’historien Guillaume Carnino montre qu’en France, cette définition et cette filiation se sont construites au XIXe siècle.
C’est en effet durant cette période que le mot de «science» change de signification. 2/25
Traditionnellement, «science» est un synonyme de «savoir» ou d’«érudition». La science de quelque chose, c’est la connaissance approfondie de cette chose. Il y aurait donc une «science du maître confiseur», une «science du crucifix» ou encore une «science de l’homme de mer». 3/25
Avec la parution de son nouveau livre, Emmanuel Todd fait à nouveau parler de lui. Ce dernier se présente notamment comme historien et anthropologue. Dans ce fil, j’aimerais donc revenir, de manière critique, sur la vision toddienne de l’histoire. 1/25
Emmanuel Todd lie effectivement de manière étroite l’histoire et l’anthropologie, en particulier l’anthropologie des systèmes familiaux. Sa thèse de doctorat, soutenu à l’université de Cambridge en 1976, portait déjà (en partie) sur ce sujet. 2/25
Sa pensée est très influencée par «l’école de Cambridge», en particulier par Peter Laslett, qui fut son directeur de thèse. Celui-ci est l’auteur de l’ouvrage «The World We Have Lost : England Before the Industrial Age», paru en 1965. 3/25
Le 16 mars 1968 a lieu le pire massacre de la guerre du Vietnam. Ce jour-là, 120 soldats américains tuent des centaines de civils, hommes, femmes et enfants dans la localité de My Lai. Des actes de barbarie ignobles sont également documentées. 1/25
Le bilan est effroyable : 504 morts civiles selon l’État vietnamien, 345 selon l’armée américaine. La plaque commémorative du mémorial de My Lai, qui reprend le chiffre de 504 tués, précise que 50 victimes ont moins de 3 ans et 210 moins de 12 ans. 2/25
Quand l’événement est dévoilé au grand public par le journaliste Seymour Hersh, le 12 novembre 1969, le choc est immense dans une grande partie de l’opinion. Ce n’est certes pas le seul massacre commis par l’armée américaine au Vietnam, mais celui-ci a été très médiatisé. 3/25
Le nazisme et l’écologie auraient des racines communes : c’est l’un des arguments favoris des défenseurs du statu quo en matière environnementale. Or, c’est un argument fallacieux et pseudo-historique.
FIL 🧵 et VIDÉO @Fdhistoire 📹
( LIEN dans le tweet suivant 🔥🔥🔥)
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(Le fil n’est qu’un petit aperçu du contenu de la vidéo).
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Outre Géraldine Woessner, rédactrice en chef du Point, l’argument de l’écologie nazie a été utilisé par Pascal Bruckner et surtout par Luc Ferry dans son livre «Le nouvel ordre écologique». Leur raisonnement est le suivant :