L'idée d'une trop grande dépendance à la Chine pour approvisionnement des linters de coton qui servent à faire la poudre propulsive des charges d'artillerie (et non les obus) revient souvent. Mais... Mais... 1/
Bon, de quoi on parle, déjà ? Pas des obus, mais de la charge propulsive qui pousse l'obus hors du canon. Cette charge est constituée d'une poudre, généralement un dérivé de nitrocellulose. 2/
Descendante lointaine des poudres "sans fumée" qui ont remplacé la poudre noire au tournant XIXe-XXe siècle, il s'agit d'un composé qui, pour faire simple, repose sur un traitement aux acides de fibres de cellulose très pures, issues du coton. 3/
Déjà, en 2022, une petite musique venait d'Allemagne : "ahlala on n'y arrive pas, la Chine domine le marché du linter de coton" (les petites fibres). 4/ bulgarianmilitary.com/2022/12/08/ger…
Alors les chiffres de 2021 montrent que la Chine était "le premier exportateur", mais que le pays n'était pas "écrasant" en matière de domination : 5/ wits.worldbank.org/trade/comtrade…
Il faut garder à l'esprit que par rapport à tous les usages mondiaux "civils", l'utilisation du linter de coton pour la production des poudres est un marché de niche (bon ok, la niche grandit ces derniers temps).
(au passage big up pour les infographies du @FinancialTimes ) 6/
Et donc, dans le même article du FT, même musique : "ahlalala on n'y arrive pas, la Chine vend à la Russie en préférence"... Ce qui montre surtout que oui, la Chine ne respecte pas "le libre marché". BIG SURPRISE. 7/
Alors, quoi ? Du bidon de la part des industriels ? Pas seulement. On touche aux limites du modèle actuel européen de production d'armes. Un modèle qui repose sur des commandes publiques (faibles) et une liberté industrielle pour s'organiser dans un marché mondial. 8/
Au passage, notons quand même que les entreprises bougent. Mais pas très vite. A la vitesse de leur modèle d'entreprise. Rheinmetall a racheté l'Espagnol Expal et monte une usine en Allemagne. Saab (re)construit une usine pour produire des linters à partir du bois... 9/
Autant de choses abandonnées en Europe parce que 1) c'était peu rentable et 2) trop encadré par des normes tracassières (bin oui, les explosifs... C'est dangereux et le foncier c'est cher en Europe). 10/
Il y a aussi des pénuries d'acides (il faut de l'acide sulfurique et de l'acide nitrique). Mais, là encore, même causes, même conséquences : désindustrialisation, laissez-faire et lenteurs publiques pour remédier au problème, les acteurs privés faisant ce qu'ils peuvent. 11/
Notons que du coton, en Europe, un en produit un peu. En Espagne et en Grèce. Mais le fond du problème est qu'on n'a toujours compris (enfin qu'on ne veut pas comprendre) comment fonctionne une économie de guerre. 12/
L'économie de guerre c'est "commande publique + organisation publique de la production + pilotage de la consommation". En clair, on commence par faire un chèque pour acheter des armes. Oui, il faut D'ABORD mettre la main à la poche et faire un GROS chèque. 13/
Ensuite, expérience des deux guerres mondiales, l'industriel dit "ahlala je ne peux pas faire dans les délais". Là, on "organise publiquement la production" : on rationne la consommation et on réquisitionne la production. Cela veut dire, de fait, "casser le libre marché". 14/
Alors cela n'a jamais fait ni des Etats-Unis ni du Royaume Uni (ni de la France de 1915) d'odieuses dictatures communistes. Mais c'est comme ça que ça marche : il faut réquisitionner les matières nécessaires, bloquer certains prix, forcer certains achats. 15/
Rationner la consommation aussi. Typiquement, on pourrait imaginer que l'UE "bloque" son coton pour les usages stratégiques. Espagne et Grèce en produisent sans doute assez "juste pour les poudres". Mais cela suppose une organisation qui va bien au delà du modèle actuel. 16/
Cela supposerait, en fait, de mettre sur pause le marché unique, la libre circulation des biens et marchandises, la libre relation producteur / consommateur. Pour toutes les étapes de la production d'armes. 17/
Avouons simplement qu'on ne souhaite plus revenir à une telle situation, connue en France de 1915 à 1918, et dans les démocraties anglo-saxonnes pendant les deux guerres mondiales. Pas encore dirons-nous. 18/
C'est le problème du conflit en Ukraine. Intellectuellement, les dirigeants européens veulent bien admettre que "oui, il est existentiel pour l'Europe" et faire des chèques ou vider les placards. Mais pas au point de remettre en cause le cœur du logiciel européen. 19/
Alors même que la destruction du modèle européen est au cœur du projet de Vladimir Poutine et que, comme pour la pandémie, il faut parfois mettre un modèle en pause temporaire pour assurer son salut de long terme. 20/
Donc... Eh bien on se repose sur le modèle actuel : des petits chèques à court terme, sans trop de visibilité, aux seuls industriels de la défense. Des menaces de réquisition un peu floues. Et le marché pour s'organiser sans réquisition ni rationnement. 21/
Est-ce que ça marchera pour l'Ukraine ? J'en doute. La production augmente en Europe, mais à un train de président du Sénat après le déjeuner. Et nous n'avons encore pas bougé pour les véhicules de combat et les chars... 22/
On se repose sur l'espoir du déblocage de l'aide américaine, les "stocks mystères" d'obus trouvés par les Baltes et les Tchèques et sur un genre de "miracle de la Marne sur le Dnipro". Cela ne veut pas dire qu'on ne fait "rien". Mais ce n'est ni assez ni assez vite. 23/
Donc, eh bien... "C'est les Chinois qui ne vendent qu'aux Russes".
Simplement, la partie adverse, avec ses limites, sa corruption, fait ce qu'on devrait faire, depuis 2 ans : des gros chèques, une réquisition de la production, un peu de rationnement. C'est tout. FIN
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh
Même si la progression russe se fait à un coût matériel et humain considérable, l'armée russe reste à l'initiative.
Pourquoi une telle alerte maintenant alors que cette détérioration est connue ? Plusieurs hypothèses : 2/
1) mettre la pression sur les Européens, qui "regardent ailleurs", entre conflits au Proche orient, élections européennes, questions internes et lassitude. Il faut que les Européens accélèrent le soutien, ce qui pour l'heure patine en Europe occidentale... 3/
Israël - Iran : "une soirée à 1,5 milliards".
La révélation d'une estimation du cout des interception met en exergue la disparité des coûts de la frappe iranienne - 5 à 6 fois moins couteuse je pense. 1/ defencesecurityasia.com/en/in-just-one…
La frappe iranienne n'a pas couté ce prix là, loin de là. L'Iran a donc tiré :
- environ 130 drones Shahed 136, ~20k$/pièce
- 30 missiles de croisière (Paveh ? Soumar ?) ~1M$/pièce (?)
- 110 missiles balistiques (surtout du Ghadr-110, un peu de Emad ?) ~2-3M$/pièce ? 2/
Soit une salve dans les 250 millions de dollars. Sachant que les vieux missiles Ghadr-110 sont payés depuis longtemps... Autant les tirer que d'avoir à payer pour les entretenir. Le parc se renouvelle de toute façon.
6 fois plus cher donc de défendre Israël que de l'attaquer. 3/
Cette question revient depuis hier : "les Américains, Français et Britanniques ont abattu des drones et missiles iraniens pour défendre Israël, pourquoi pas au profit de l'Ukraine" ? Alors... "c'est compliqué" 1/
D'abord, le soutien "officiel" : depuis 1968, Israël bénéficie, à défaut de traité, d'un 'engagement de soutien militaire' assez fort de la part des Etats-Unis (sans aller en 1973 jusqu'à participer, mais sans doute pas de beaucoup). 2/
Donc le soutien américain, sans avoir valeur de traité, s'inscrit quand même dans une tradition politique bien ancrée. Rien de tel n'existe vis à vis de l'Ukraine (même si les Etats-Unis pourraient sans doute invoquer - un peu tard - leur engagement dans le mémo de Budapest). 3/
A minima, l'attaque iranienne modifie la façon dont se vivent les rapports du conflit irano-israélien depuis... Presque depuis 1979 en fait. L'Iran armait et entrainait des groupes de proxies plus ou moins contrôlés (Hamas, Hezbollah, Houthis), qui frappaient Israël... 1/
L'Iran interceptait aussi des navires dan le Golfe, soutenait le régime syrien et les milices en Irak, et maintenait une rhétorique anti-israélienne, mais sans frapper directement le sol israélien. 2/
En "échange", Israël frappait les groupes armés qui le menaçaient et des cibles liées à leur action, notamment en Syrie. La frappe sur le consulat iranien s'inscrivait dans ce type de rapports de conflictualité "indirecte". 3/
Merci à @stefsiohan d'alerter sur les risques de collapsus du réseau électrique ukrainien. Je rappelle qu'un réseau électrique ne diminue pas de manière linéaire sous les attaques. Il lui faut un certain volume de production face à la consommation... 1/
Les risques de collapsus du réseau existent. Alors bien entendu, l'Ukraine est raccordée au réseau de l'Europe occidentale. Mais si sa production devient trop insuffisante, on ne pourra pas maintenir le raccordement. Il faudra délester, massivement. 2/
L'an dernier, le pays a acheté beaucoup de générateurs, et on lui en a donné aussi beaucoup. Mais cela ne suffit pas : c'est utile pour les hôpitaux, pour le résidentiel, mais on ne fait pas tourner un pays avec des générateurs. 3/
Je sais que l'approche américaine qui demande à l'Ukraine de ne pas frapper les raffineries russes fait beaucoup réagir. Elle est plus rationnelle et moins cynique qu'on ne veut bien le lire (ce qui ne veut pas dire que je suis d'accord avec tout). 1/
Oui, les Etats-Unis sont plutôt hostiles aux frappes sur les raffineries de pétrole. Pour eux, c'est une frappe systémique contre l’État russe, qui n'arrange pas à court terme la situation sur le champ de bataille. 2/
Quand Lloyd Austin, le secrétaire à la défense, propose de plutôt frapper des objectifs "tactiques et opératifs", il renvoie à l'idée que l'urgence est de casser le dispositif militaire russe, pas d'affaiblir l’État russe sur le plan stratégique. 3/