Loutch Profile picture
May 17 22 tweets 7 min read Read on X
Printemps 1946, vers Abda, en Hongrie, des paysans exhument les cadavres d'une fosse commune pour trouver de l'or sur les corps. Parmi les morts, un homme est découvert avec un carnet dans la poche de son manteau émietté. Il s'appelle Miklós Radnóti. ⬇️ Image
Le petit carnet est mis au sec, réfrechi. Bientôt, on le lit. Dix poèmes y figurent qui racontent la marche qui destina le poète sous la terre où il gisait. Image
Radnóti est né en 1909. Son frère jumeau mort-né et sa mère décédée des suites de l'accouchement, à 28 ans, le poursuivent toute sa vie. Il écrit, après avoir atteint le dernier âge de sa mère, le poème "vingt-huit ans". Image
Très tôt militant antifasciste, très tôt amoureux de Fanny Gyamarti, il écrit des poèmes remarqués par les cercles littéraires hongrois. La censure l'empêche de publier ce qu'il désire, sa judéité l'interdit d'être professeur. Image
Il vivote par la France, écrit, notamment, sur la guerre d'Espagne, sur Lorca, puis sur l'occupation, les temps noirs. Ces mêmes temps noirs qui le rattraperont définitivement à compter du plan d'exécution massif des Juifs de Hongrie, dit aussi double plan Eichmann-Höss. Image
Sans droits civiques depuis 40, appelé deux fois aux travaux forcés, il a pu rejoindre Budapest. En mai 44, il est rappelé à Bor, en actuelle Serbie, pour travailler dans les mines de cuivre. Il a quelques habits et un carnet.

Dix jours avant sa déportation, il écrit : Image
Radnóti arrive au camp d'Heidenau aux alentours de Bor. Il travaille aux routes. Il écrit, aussi : Image
L'avancée de l'armée rouge à l'Est de la mine, les partisans serbes qui remontent vers l'Ouest, forcent les autorités à déplacer une partie des prisonniers. 3000 d'entre eux restent sur place, 3000 autres s'en vont vers le Nord, à pied, "escortés" par des enrôlés hongrois. Image
Les premiers seront libérés par les partisans, les autres, dont Radnóti est, montent vers Belgrade. Cinq jours de marche et des morts, déjà.

Avant le départ, Radnóti écrit dans son carnet : Image
Le Danube est atteint un peu plus tard, puis Pancsova, vers la frontière hongroise, où des SS rejoignent l'escorte et tirent à vue sur les retardataires et torturent au hasard. Le 6 octobre, les marcheurs escalent à Cservanka, où ils dorment dans une briqueterie. Image
Le convoi est divisé à nouveau : 1500 hommes repartent le lendemain. Près de 500 restés sur place seront abattus par les SS.
Radnóti pense à sa femme. Image
Le 8 novembre, après deux mois de marche, Radnóti est sanglant, incapable de marcher un peu plus. Entassés dans un petit village proche de Gyor, on propose aux plus meurtris de continuer le voyage dans des charrettes. Radnóti y monte. Image
Abda est une petite ville de Hongrie où ce jour, on emmena Radnóti et vingt-et-un autres aux bords d'une rivière où leur fut demandé de creuser une fosse qui serait leur tombe. Alignés, chacun fut assassiné d'une balle dans la nuque avant de reposer. Image
Une témoin, quelques années plus tard, indiqua avoir vu un homme attendre, décharné, un petit carnet dans la main, en train d'écrire. Il s'agissait de Miklós Radnóti. Image
Dans ce même carnet fut retrouvé un des poèmes les plus bouleversants qui soient, écrit au début de la marche de la mort. Image
C'est Fanny Gyamarti qui fit identifier son corps et travailla à la publication de ces derniers poèmes. Image
Que le nom de Miklós Radnóti soit une bénédiction.
Addenda, il écrit ça : Image
Parmi les poèmes retrouvés, Radnóti en avait recopié six avant de les confier à un de ses amis, Sándor Szalai, rescapé. Ce dernier le pensait vivant en 45 et rendit, à son tour, les poèmes. L'espoir de revoir Radnóti s'aviva chez ses proches.
Radnóti mourut quelques jours après l'écriture de son ultime poème, qui contait la mort, un mois plus tôt, de Miklós Lorsi, musicien, mort dans ses bras, assassiné d'une balle dans le front. Image
L'œuvre de Radnóti fut en partie traduite par Jean-Luc Moreau et éditée chez Phébus. Image

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Loutch

Loutch Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @Loutxch

May 9
Désolé, mais dire que la Shoah a donné tort à l'antisionisme du Bund, les rend naïfs devant l'Histoire ou, pire, en fait des Juifs serviles, c'est, quel que soit le degré de la position, cracher à la gueule des victimes des nazies.
Dans le Ghetto de Varsovie, rêver Jérusalem ou une nouvelle Pologne ne change absolument rien.
Et ça rejoint, de près ou de loin, le rhétorique selon lequel les Juifs d'Europe ont rejoint l'abattoir dans la résignation.
Read 6 tweets
Mar 18
Le 8 mai 1945 au camp de Terezin, en République Tchèque, Eric Schwab, photographe détaché avec l'armée américaine pour le compte de l'AFP, est à l'avant de sa Jeep aux côtés d'une femme âgée qui s'occupait des enfants du camp. Elle s'appelle Elsbeth Bieber. ⬇️ Image
Schwab, originaire d'Allemagne, a été, jusqu'à la déclaration de guerre, photographe de mode à Paris. Après un périple harassant pendant la débâcle, il entre dans la Résistance intérieure. Image
En octobre 1944, suite à la libération quasi-intégrale de la France, Schwab est engagé par l'AFP pour suivre l'avancée des troupes américaines en Europe.
Read 19 tweets
Mar 17
Sur l’île de Jersey, la Gestapo passa le seuil de leur porte alors que Marcel Moore et Claude Cahun dînaient. Les deux savaient depuis quelques temps le couperet proche. Lorsque les Nazis entrèrent, Claude Cahun leur dit :

« Trop tard, l'Allemagne a perdu la guerre. » ⬇️ Image
Claude Cahun était née Lucy Schwob, nièce du célèbre écrivain Marcel du même nom, en 1894, à Nantes. Marcel Moore était Suzanne Malherbe, en 1892, à Nantes également. Elles s'étaient rencontrées à l'adolescence et n'avaient cessé de s'aimer depuis. Image
À Paris, où elles firent le plus important de leur carrière artistique, elles gravitaient autour des avant-gardes, sans jamais y adhérer pleinement. Moore dessinait, Cahun écrivait et dansait. Il y avait la photographie, aussi.

Portrait de Cahun en collage, par Moore : Image
Read 28 tweets
Mar 7
Il y a 80 ans, le 7 mars 1944, la police vichyste entra chez Benjamin Fondane et l'emmena avec sa sœur, Line. Il laissa un mot sur la table à l'adresse de Geneviève, sa femme : « Viève, voilà ». Après un passage en prison, il fut enfermé au camp de Drancy. ⬇️ Image
Fondane fut de la génération des poètes juifs de l'exil, qui œuvra en fuyant les pogroms à l'est de l'Europe. Lui était roumain, et comme beaucoup d'autres, il avait vu en Paris le salut par la ville des arts, un refuge fantasmé. Image
Arrivé en France en 1923, il rencontre quelques mois plus tard Léon Chestov, philosophe russe qui bouleversa son existence. Avec lui, il revoit entièrement sa conception de la littérature et s’initie à la pensée. Image
Read 24 tweets
May 18, 2023
Le fait que mes impôts servent à payer les bafres de Christian Clavier me rend insomniaque.
Le financement du luxe et des trains de vie de salonnards macchabés poudrés au Ruinart, qui vivent sur une rente mixte de TVA et d'impôt sur le revenu pour produire cent comédies par an destinées à nourrir Kad Merad et Sandrine Kiberlain, j'en réclame l'abolition.
Et tous les réalisateurs qui réitèrent ce scénario jacté mille fois, où une quarantenaire au couple démoralisé prend conscience qu'une vie l'attend dans le Morbihan avec ce jeune pêcheur analphabète mais si tendre, vrai, d'empathie rehaussé.
Read 8 tweets
Apr 18, 2023
Oyneg Shabes signifie joie du Shabbat en yiddish. Oyneg Shabes fut une organisation clandestine qui se donna pour mission la création et la conservation d’archives au sein du ghetto de Varsovie. ⬇️ Image
Son fondateur, Emanuel Ringelblum, était un historien privilégiant une perspective par la quotidienneté. Fort de sa formation, il regroupa, en réponse à l’invasion nazie, intellectuels et membres d’association dès septembre 1939, pour préparer le témoignage après-guerre. Image
Le dessein d’Oyneg Shabes, en effet, fut d’anticiper la mémoire en recueillant le souvenir. Pour ce faire, les membres, réunis tous les samedis, discutaient des moyens pour œuvrer à la constitution d’une chronique historique et générale de la vie juive sous l’occupation. Image
Read 26 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Don't want to be a Premium member but still want to support us?

Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal

Or Donate anonymously using crypto!

Ethereum

0xfe58350B80634f60Fa6Dc149a72b4DFbc17D341E copy

Bitcoin

3ATGMxNzCUFzxpMCHL5sWSt4DVtS8UqXpi copy

Thank you for your support!

Follow Us!

:(