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May 25 25 tweets 5 min read Read on X
Aujourd’hui, je vous propose une présentation de la “Métaphysique des mœurs” de Kant.

Dans cet ouvrage majeur, il développe les différents principes du juste et de l’éthique auquel on aboutit en appliquant ce qu'il appelle la "loi fondamentale" de la raison.

Allons-y !
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La "loi fondamentale" de la raison dont parle Kant peut être vue comme une formulation un peu plus précise de principes que l’on utilise souvent dans la vie courante ; par exemple on dit « si tout le monde faisait comme toi… » (on ne finit pas la phrase généralement)
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Ou encore : « est-ce que ça te plairait que tout le monde fasse la même chose que toi ? ». Et, en effet, au nom de quoi aurions-nous le droit de faire une exception pour nous-même ? Je ne vais pas ici m’étendre sur cette loi fondamentale en elle-même,
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je mentionne simplement sa formulation par Kant : "Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté [=la règle que tu suis dans ton action] puisse toujours valoir en même temps comme principe d'une législation universelle". (cf. les liens à la fin de ce fil pour approfondir)
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Pour appliquer la loi fondamentale de façon systématique, Kant soutient qu’il faut d’abord faire une grande distinction entre deux types d’application : d’un côté l’application qui peut aboutir à des lois "extérieures", et de l’autre celle qui reste "intérieure".
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Autrement dit, d’un côté il y a le domaine "juste" ou du "droit" (Recht) ; les principes du juste qui le constituent seront à la base des bons systèmes juridiques, ils peuvent être appliqués au sein du droit des juristes, le droit "positif", promulgué, en vigueur.
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De l’autre côté, il y a le domaine de "l’éthique", ou encore de la "vertu", c’est-à-dire des principes qui n’ont pas vocation à devenir des lois extérieures, à être promulgués, et assortis de sanctions juridiques, ou de contraintes extérieures de manière générale (police, etc.)
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« Tous les devoirs sont ou bien des devoirs de droit, c’est-à-dire des devoirs pour lesquels est possible une législation extérieure, ou bien des devoirs de vertu [ou devoirs éthiques] pour lesquels une telle législation n’est pas possible » (Ak. VI, 239 ; trad. GF p. 28).
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Commençons par le 1er domaine, celui du "juste", du "droit" philosophique. Le test d’universalisation, sous cette première forme, implique au minimum de s’abstenir de faire ce qui rend la coexistence impossible. Mais derrière cette formule simple se cachent des difficultés.
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La coexistence pacifique est en effet possible de bien des manières, y compris en interdisant quasiment toutes les actions. Rousseau a d’ailleurs écrit à ce sujet « on vit tranquille aussi dans les cachots ». Mais on ne veut pas vivre de cette manière.
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Ainsi, contrairement à ce que supposait Hobbes, le principe de la coexistence pacifique n’est pas suffisant pour déterminer le juste et l’injuste.
On pourrait dès lors se tourner vers l’idée du bonheur général, de l'intérêt commun (car le bonheur passe pour le but ultime).
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Le principe du juste serait alors le suivant : sont justes les règles nécessaires à la coexistence la plus heureuse possible. Mais on ne peut pas vraiment construire sur cette base, car on ne sait pas vraiment ce qui va augmenter la somme totale de bonheur.
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Le principe du juste, chez Kant, est dès lors plus précisément un principe relatif à la coexistence des libertés.

"Toute action est juste qui peut faire coexister la liberté de la volonté de chacun avec la liberté de tout autre, selon une loi universelle".
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Au XXème siècle, Rawls donnera une forme plus précise à ce principe : « chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base, égales pour tous, qui soit compatible avec le même système pour les autres. » (Théorie de la justice)
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Chez Kant, la théorie du juste se décline en diverses règles relatives au droit privé (propriété privée, respect des contrats, …) et au droit public (sur la façon d’organiser l’Etat, et les rapports entre différents Etats en vue de la paix).
On en restera là pour le juste.
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Venons-en maintenant au second domaine, celui de l’éthique, relatif aux devoirs qui ne peuvent pas devenir des obligations extérieures. Il s’agit en fait surtout de se proposer certains buts éthiques (or aucune loi extérieure ne peut vérifier quels sont mes buts).
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Ces buts "ne peuvent être soumis à aucune législation extérieure pour cette simple raison qu’ils portent sur une fin qui est en même temps un devoir ; que l’on se propose une fin, cela ne peut être le produit d’aucune législation extérieure (c’est un acte intérieur de l’esprit)."
Au sein de ce domaine éthique, Kant fait la distinction entre des devoirs envers autrui (bienfaisance, aide, etc.) et des devoirs envers soi-même (il parle alors du devoir de "perfectionner nos facultés", à la fois nos facultés physiques et nos facultés intellectuelles).
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L’idée suivant laquelle nous aurions des devoirs envers nous-mêmes est assez souvent critiquée. Il semble plus simple de penser que nous n’avons que des devoirs envers les autres. Mais à vrai dire cette position plus simple n’est pas nécessairement la meilleure.
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Kant soutient que l’on ne peut pas véritablement vouloir d’un monde dans lequel la fainéantise, le laisser-aller, etc. seraient des normes. Autrement dit, le principe nous autorisant à négliger le développement de nos facultés naturelles n’est pas vraiment universalisable.
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Pour ce qui concerne enfin les devoirs éthiques envers les autres, ils sont déduits là encore du test d’universalisation. Par exemple, le devoir d’aider quelqu’un en danger provient du fait que chacun voudrait être aidé s’il était dans la même situation (cf. texte ci-joint)
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Bienfaisance 1/2 « Être bienfaisant, c’est-à-dire venir en aide, selon ses moyens, à d’autres humains se trouvant dans la détresse en vue de leur procurer le bonheur, sans pour cela espérer quoi que ce soit, c’est le devoir de tout être humain. Car tout être humain qui se trouve en détresse souhaite que de l’aide lui soit apportée par d’autres êtres humains. Si au contraire il proclamait comme constituant sa maxime le fait de ne pas vouloir à son tour prêter assistance à d’autres lorsqu’ils sont en détresse, c’est-à-dire s’il faisait de sa maxime une loi universelle permissive, dans ce cas,...
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Kant soutient que « les devoirs éthiques sont d’obligation large, alors que les devoirs de droit sont d’obligation stricte. »
Les devoirs éthiques sont d’obligation « large », c’est-à-dire que l’on ne sait pas exactement à quel point il faut les appliquer.
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Autrement dit, il y a une « latitude », un « espace de jeu », il n’est pas précisément obligatoire d’être bienfaisant à tel ou tel niveau, de travailler à perfectionner ses facultés de telle ou telle manière, etc. Car les devoirs éthiques se limitent entre eux.
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Cela vaut aussi pour l’impératif de la sincérité (ce point est très peu connu d'ailleurs). Kant se demande par exemple ce qu'il faut faire si un auteur nous demande « comment trouvez-vous mon œuvre ? ». Admettons que je suis une des seules personnes qui a lu son roman,
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et que je l’ai détesté. Faut-il lui dire ? "La moindre hésitation mise à répondre est déjà humiliante pour l’auteur : est-il donc permis de lui parler en toute sincérité ?". Les questions de ce genre sont "casuistiques", et malheureusement la philosophie ne peut y répondre.
25/25

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Jun 1
D’Holbach – L’origine des idées religieuses.

Dans toutes les cultures humaines jusqu’à une époque récente, on trouvait des croyances et des rites concernant des puissances invisibles, qui étaient vénérées, craintes, etc.
Pourquoi de telles idées sont-elles apparues ?
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La réflexion du baron d'Holbach à ce sujet commence ainsi : dans la mesure où nos idées proviennent initialement de l’expérience sensible, il ne vient d’abord à l’esprit d’aucun être humain de croire à l'existence d'une chose "totalement différente de tout ce qu’il aperçoit"
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L’histoire des religions n’a ainsi pas pu commencer par la croyance en un être tout à fait immatériel ; il est bien plus vraisemblable de penser qu’elle a commencé par une certaine façon de voir les réalités sensibles, consistant à leur attribuer une pensée et une volonté.
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May 11
En 1802, Chateaubriand publie "René", un ouvrage qui connaît un grand succès. C’est le roman d’un sentiment étrange : la mélancolie romantique. René est celui qui souffre mais qui a honte de souffrir parce que, contrairement à ses interlocuteurs, il n’a aucun problème réel.
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Alors que la plupart des humains souffrent à cause d’un “malheur réel”, de problèmes réels, concrets, bien déterminés, René - du moins jusqu’à un certain moment de sa vie - ne connaît rien de tel, mais une souffrance “vague”. C’est un mal “imaginaire”, en quelque sorte,
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mais qui produit pourtant des effets bien perceptibles.
René dit ainsi : “j'avais été jusqu'à désirer d'éprouver un malheur, pour avoir du moins un objet réel de souffrance”. La distinction entre souffrances “sans objet” et souffrances “avec objet” est née.
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May 4
Platon – la théorie des Idées 🧵⬇️

Commençons par l’idée de la justice : c’est une idée absolument fondamentale, et l’on peut passer sa vie à se battre pour un monde plus juste. Mais on rencontre un problème quand on pose la question de son statut ou de son origine.
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En effet, d’où nous vient-elle ? Le problème est qu'on ne peut pas lui supposer la même origine que pour la plupart de nos concepts, à savoir la perception.
Si on demande comment il se fait que nous avons l’idée de caillou ou d’arbre par ex., il n’est pas difficile de répondre :
nous avons simplement vu un certain nombre de cailloux et d’arbres, et à partir de ces perceptions, nous avons pu nous forger une idée de ces choses. Ce sont des concepts empiriques, c’est-à-dire issus de l’expérience.
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Mar 30
Hegel - théorie du tout

Hegel est connu pour de nombreuses idées, concernant par ex. les processus dialectiques, la conscience, le besoin de reconnaissance, l'éthique, l'histoire, l'art, etc. Ces idées sont intégrées dans une conception de l'ensemble du réel. Petit aperçu⬇️
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Hegel a développé un système dont le but est de conceptualiser les principaux aspects du réel. Il s’agit de faire une théorie de la “totalité”, parce que “seul le tout est le vrai”, c’est-à-dire qu’on ne peut pas véritablement comprendre une partie du réel (par exemple le vivant)
sans lui donner sa juste place dans l’ensemble de tout ce qui est. Dès lors, l’une des thèses majeures de Hegel se trouve dans l’architecture d’ensemble de son système, et consiste en ceci : le tout est constitué de trois “moments” que sont le logique, la nature, et l’esprit.
3/
Read 33 tweets
Mar 23
Kant - l’éducation morale

Pour parler des devoirs moraux aux enfants, il ne faut pas leur dire qu’il est dans leur "intérêt" d’être respectueux, honnêtes, etc., mais au contraire leur monter que l’intégrité peut être la chose la plus difficile du monde...
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Il y a un certain nombre de proverbes qui énoncent une convergence entre l’intérêt personnel et la moralité, par exemple : « l’honnêteté paie », « bien mal acquis ne profite jamais »...
Mais enseigner de telles idées, c’est corrompre la moralité à la racine.
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Certaines actions immorales peuvent être dans notre intérêt (quand on a la certitude de l’impunité), et tout l’enjeu de la moralité est justement de parvenir à dépasser la mentalité centrée sur l’intérêt personnel. Agir moralement c’est agir « par devoir [aus Pflicht] ».
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Read 24 tweets
Mar 9
Voici un résumé de la pensée de Hume concernant la justice et l’éthique. Nous allons voir que Hume s’oppose au scepticisme en morale, au système de l’égoïsme, et au rationalisme ; il développe une philosophie de l’invention des normes et de la généralisation de la sympathie.
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Le scepticisme en morale consiste à dire que les distinctions du bien et du mal, du juste et de l’injuste,etc. sont arbitraires, sans nécessité, valables seulement pour la personne qui les fait. Il n’y aurait que des opinions personnelles sur ce qu’il faut faire et ne pas faire
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et seulement des lois dites "positives", c’est-à-dire valides à un moment donné, dans un espace juridique déterminé (un Etat ou une autre institution ayant voté ces lois), sans qu’on puisse considérer ces lois comme justes ou injustes (on parle de "positivisme juridique").
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Read 22 tweets

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