En réaction à la constitution du Nouveau Front Populaire, le journaliste @JJDORADO a déclaré sur @RTLFrance que la France court un grave danger, car «le Front Populaire en Espagne, en 1936, nous a amené la guerre civile».
Démontons cet argument habituel de l’extrême droite. 1/25
Comme toujours en histoire, pour bien comprendre les choses et faire les bonnes comparaisons, il faut prêter attention au contexte. En 1936, cela fait cinq ans que l’Espagne est une République, régime créé par des modérés après la dictature de Miguel Primo de Rivera. 2/25
Niceto Alcalá-Zamora, catholique et ancien royaliste, préside le nouveau régime de décembre 1931 à avril 1936. Il tente de suivre une ligne centriste dans une Espagne divisée, où la République est constamment menacée par une droite autoritaire, voire fasciste. 3/25
Dès le 10 août 1932, le prestigieux général José Sanjurjo, pourtant rallié à la République, essaye d’organiser un coup d’État militaire, avec le soutien de royalistes de l’Action Espagnole. Il échoue et doit s’exiler au Portugal. Le gouvernement décide de l’amnistier. 4/25
À l’époque, l’anti-républicanisme n’est pas massif en Espagne, mais les formations de droite de radicalisent de plus en plus. C’est le cas de la CEDA, la Confédération Espagnole des Droites Autonomes, qui remportent les élections législatives de novembre 1933. 5/25
Le chef de ce parti, l’avocat José María Gil-Robles, se présente officiellement comme un «démocrate-chrétien», mais il met au crédit du fascisme la défense de la cause «éminemment populaire» que serait «le rejet de la démocratie libérale et parlementaire». 6/25
Des figures politiques se réclament alors plus ouvertement encore du fascisme, à l’instar de l’avocat José Antonio Primo de Rivera, fils du dictateur, soutien du coup d’État de Sanjurjo (la «Sanjurjada») et fondateur en 1933 de la Phalange Espagnole. 7/25
La même année, d’anciens putchistes de la Sanjurjada créent l’Union Militaire Espagnole (UME) pour s’opposer à la République. Cette dernière est menacée par d’autres mouvements, comme les Juntes d’Offensives Nationales-Syndicalistes (JONS), d’inspiration fascistes, ... 8/25
… ou encore Rénovation Espagnole, parti royaliste dont la figure de proue est José Calvo Sotelo, député et leader du «bloc national» au parlement (@Le_Figaro avait dit beaucoup de bien de cet homme clairement extrême droite :
). 9/25
Le pays penche alors à droite. Le gouvernement issu des élections de 1933 et mené par Alejandro Lerroux, du centre-droit, applique une politique favorable aux intérêts des grands propriétaires. Les classes populaires voient leurs salaires déjà maigres baisser sensiblement. 10/25
Cette politique a pour effet d’aggraver les tensions sociales et politiques. En octobre 1934, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) en appelle à la grève générale, notamment pour protester contre la nomination de membres de la CEDA au gouvernement. 11/25
Le président Alcalá-Zamora interdit la tenue de la grève et établit lʼétat de guerre. Cette décision provoque des révoltes à Madrid, en Catalogne et surtout dans les Asturies. Elle est réprimée dans le sang par un général dont le nom est bien connu : Francisco Franco. 12/25
Après ces événements, l’état de guerre est levé, mais le pays est plus divisé que jamais. La gauche réformiste, avec pour chef Manuel Azaña, l’un des fondateurs de la République, milite alors pour l’union des forces progressistes. 13/25
Deux faits accélèrent la réalisation de l’union de la gauche : la dissolution du parlement par Alcalá-Zamora en décembre 1935, après un scandale financier, et la la stratégie de front populaire adoptée par l’Internationale communiste à l’été 1935. 14/25
Le 16 janvier 1936, un «pacte de front populaire» est signé : il réunit la Gauche et l’Union Républicaines (deux partis modérés), le PSOE, les Jeunesses socialistes, l’Union Générale des Travailleurs (UGT, organe syndical proche du PSOE), le Parti Communiste, … 15/25
… et le POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste). La Confédération Nationale du Travail (CNT, puissant syndicat anarchiste) nʼen est pas membre, mais elle déroge à sa coutume abstentionniste et apporte son soutien au Front Populaire (FP). 16/25
Le 16 février 1936, le FP remporte les élections. Contrairement à ce que prétend la propagande de droite, son programme n’est pas extrémiste : réduction progressive des inégalités, réforme agraire, développement du système éducatif, respect des autonomies locales. 17/25
L’amnistie est promise pour les insurgés des Asturies. Au reste, la propriété individuelle et commerciale est reconnue dans sa légitimité, et les révolutionnaires sont exclus du gouvernement. Le président du Conseil des ministres n’est autre que Manuel Azaña. 18/25
Cependant, lʼannonce du succès électoral du FP entraîne une vague dʼagitation. La droite et l’extrême droite en profitent pour accuser le pouvoir de fomenter une révolution communiste et d’être à la solde de l’URSS (qui promeut en effet la stratégie de front populaire). 19/25
Alors que le gouvernement a pour mot d’ordre la réconciliation, cette propagande jette de l’huile sur le feu et alimente les conflits qui fracturent le pays. Ainsi, le 12 juillet 1936, des militants d’extrême droite assassinent le militaire José del Castillo. 20/25
Engagé à gauche, celui-ci est accusé d’avoir tué un cousin du leader de la Phalange José Antonio Primo de Rivera. En tout cas, sa mort a causé un cycle de violence : le 18 juillet, pour le venger, des camarades ont tué le député monarchiste Calvo Sotelo. 21/25
C’est cet événement qui a mis le feu aux poudres : des chefs militaires de l’UME, convaincus de la responsabilité de l’État espagnol, se mettent en action pour renverser la République.
Cela étant, la mort de Calvo Sotelo n’est pas la cause de leur décision. 22/25
Dès le mois de mars 1936, le «director» de l’opération, le général Emilio Mola, un ancien de la Sanjurjada, complote contre la République. Quant à Franco, il rejoint la conspiration après le 18 juillet. La suite de l’histoire est connue : une guerre civile de trois ans. 23/25
Ce n’est donc pas le FP qui a «amené la guerre civile» : c’est un groupe de militaires factieux, ayant conspiré contre un régime qu’ils détestent depuis des années. C’est aussi une situation qui n’a cessé de se dégrader et qui a peu à voir avec celle de la France actuelle. 24/25
Si une partie de la gauche est responsable de violences, le FP est un mouvement modéré qui a la légitimité des urnes. L’idée selon laquelle il a subverti le pays est un mensonge propagé par Franco dès 1936 pour légitimer son action. Relayer ce mensonge est honteux. 25/25
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Pour les tenants du libéralisme politique, les individus ont un droit inaliénable à la vie privée, lieu de leur indépendance et de leur épanouissement. Dans «Terre et liberté», le philosophe Aurélien Berlan souligne les insuffisances de cette conception. 1/25
Parmi les textes fondamentaux sur la liberté libérale, «De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes» de Benjamin Constant occupe une place importante. Paru en 1819, il s’agit d’un discours prononcé dans le contexte de la Restauration de la monarchie. 2/25
Pour Constant, la liberté des Anciens «consistait à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la liberté». Les citoyens athéniens étaient tirés au sort et pouvaient voter les lois, décider de la guerre ou de la paix, rendre des décisions de justice, etc. 3/25
Dans les génocides, la haine et la cruauté sont des moteurs essentiels. Mais à l’heure de la technologisation des massacres, il n’est même plus besoin d’être particulièrement cruels pour agir avec grande cruauté, et la haine peut être renvoyée à l’état d’Antiquité. 1/25
Cette thèse est défendue par Gunther Anders dans un court texte en partie dialogué qui devait figurer dans le troisième volume de «L’obsolescence de l’homme», volume jamais paru.
«La plupart des hommes haïssent volontiers», dit l’un des personnages, le président Trauffe. 2/25
Si ce sentiment est si répandu, c’est parce qu’il est au fondement de l’affirmation de soi : en haïssant l’autre, on le délégitime, on le déshumanise ; ce faisant, on prend conscience de son individualité. «Je hais, donc je suis moi.» 3/25
Comment, dans des contextes guerriers extrêmes, des hommes ordinaires peuvent-ils se muer en tueurs génocidaires ? C’est à cette question abyssale que Christopher Browning entend répondre dans son étude du 101e bataillon de réserve de la police allemande durant la Shoah. 1/25
Les membres de ce bataillon appartiennent à la police de maintien de l’ordre (Ordnungspolizei, ou «Orpo»). Créée en 1936, cette formation regroupe les polices nationales, municipales, rurales et des petites communautés urbaines. 2/25
Quand la guerre éclate en septembre 1939, l’Orpo compte 131.000 hommes. Une partie d’entre eux combattent aux côtés de l’armée. Avec l’expansion nazie, de plus en plus de policiers sont recrutés : ils sont 244.500 à l’été 1940, servant surtout comme force d’occupation. 3/25
Dernièrement, le grand-rabbin Haïm Korsia a déclaré que les bombardements de Gaza ne seraient pas déshumanisants, contrairement au massacre du 7 octobre.
En réalité, les tueries indiscriminées des populations civiles poussent la déshumanisation au bout de sa logique. 1/25
En disant cela, il n’est bien sûr pas question de minimiser la gravité de l’attaque du Hamas. Pour s’en prendre de façon aussi barbare à des civils, il faut se convaincre de leur altérité radicale. En l’occurrence, l’antisémitisme est un puissant moteur de déshumanisation. 2/25
De manière générale, la quantité de haine nécessaire à la perpétration d’une telle tuerie est maximale. Cette haine ne vient pas de nulle part : elle résulte d’une longue histoire de guerres et de d’oppressions. Il n’en reste pas moins qu’elle a motivé le massacre. 3/25
Dans le monde capitaliste, l’augmentation de la production – «la croissance» – serait la concrétisation de l’idée de progrès. Ce lien entre croissance et progrès a été théorisé par un important penseur des Lumières : Adam Smith.
Dans l’œuvre de Smith, l’équivalence entre croissance et progrès repose sur une anthropologie, c’est-à-dire sur une conception de l’humanité et de l’évolution des sociétés. C’est ce que montre Christian Marouby, spécialiste du XVIIIe siècle, dans «L’économie de la nature». 2/25
Selon l’anthropologie smithienne, «modèle théorique capital […] pour toute la pensée de la modernité», toutes les sociétés humaines progressent en suivant quatre stades de développement successifs, conditionnés par leur mode de subsistance ou de production. 3/25
L’urgence, lot quotidien de quantité de personnes, instaure un rapport au temps asservissant et destructeur. D’après le philosophe Christophe Bouton, elle est la norme temporelle dominante imposée par le capitalisme triomphant. 1/25
Certes, l’urgence n’est pas un phénomène nouveau : il a toujours fallu réagir rapidement en cas de danger imminent. Cependant, elle est désormais un «fait social total» : «elle se propage dans la totalité des institutions et secteurs de la société». 2/25
L’économie, le travail, le droit, la politique, l’enseignement, la vie de tous les jours et de nombreux autres domaines sont touchés par l’urgence. Celle-ci s’impose de manière implacable et sans qu’on ait vraiment prise sur elle. Autrement dit, elle est systémique. 3/25