Allez, petit fil de science politique : pourquoi (et à quelles conditions) la gauche (et seulement la gauche) peut gouverner à la fois démocratiquement et en étant minoritaire dans ce système à trois blocs. Et donc pourquoi Macron ne veut pas nommer un gouvernement de gauche 🧵
On s'imagine souvent l'axe gauche droite comme unidimensionnel, et souvent ça marche. Mais on préfère parfois penser les identités politiques selon un double axe : un axe libéralisme économique et un axe libéralisme culturel (les noms varient mais l'idée est la même)
Historiquement, les partis bougent dans cet espace, mais on considère généralement la gauche comme anti-libérale économiquement et libérale culturellement, la droite la position contraire, le centre comme libéral sur les 2 axes, l'extrême droite comme anti-libérale sur les 2
Il faut répéter que ça peut bouger beaucoup, notamment l'extrême droite est souvent libérale économiquement. Mais disons qu'aujourd'hui le discours "social" du RN correspond en apparence. Et ça marche plutôt bien pour Ensemble, LR et le Nouveau Front populaire
Sachant donc que la position de droite, incarnée par les Républicains, est en perte de vitesse, les 3 blocs restants sont : le RN anti-libéral culturellement et économiquement ; Ensemble libéral sur les deux axes ; et le NFP, anti-libéral économiquement et libéral culturellement
Or ça veut dire que seul le NFP, dans ce jeu à trois, peut réussir à trouver des majorités sur ses deux axes constitutifs : il peut compter sur Ensemble pour ne pas s'opposer à ses politiques de libéralisme culturel, et sur le RN à ses politiques anti-libérales economiquement
Voilà pour la théorie. Et voilà pourquoi seul le nouveau front populaire peut gouverner démocratiquement en étant minoritaire. Évidemment, il y a des conditions : que les autres partis jouent le jeu, que la gauche accepte les voix de ses adversaires sur certaines politiques...
... Et avant tout qu'il y ait un gouvernement de gauche. C'est cela qui fait que Macron résiste, contre l'esprit des institutions et contre le verdict des urnes, à la nomination d'un gouvernement de gauche. Pas parce qu'il ne pourrait pas gouverner... mais parce qu'il pourra !
Alors oui ça sera compliqué. Mais l'essentiel des propositions du Nouveau Front populaire pourraient faire l'objet d'un accord large, dans la population comme à l'Assemblée. Simplement (mais ce n'est pas si simple, sur plein de plans), ce sera des majorités mouvantes.
Mais même si ça ne marche pas, ça aurait un effet de révélateur. Car en réalité le centre actuel n'est pas libéral culturellement, malgré son affichage, mais très autoritaire. Et donc occupe l'espace de la droite, et est proche du RN dans ses options sécuritaires et racistes
Et à l'inverse l'extrême droite actuelle est beaucoup plus libérale économiquement qu'elle ne l'avoue. Elle siphonne les voix des électeurs aspirant à la justice sociale en leur mentant. Et elle le montrera sûrement en s'opposant aux mesures sociales et économiques du NFP
Dès lors, un gouvernement de gauche placerait le soi-disant centre et la vraie extrême droite devant leurs contradictions et montrerait leur appartenance bien réelle au même camp : la droite libérale et autoritaire. Cela aurait le mérite de clarifier les choses pour la suite.
PS : merci pour les réactions ! Juste, pour préciser : je ne parle pas de gouverner avec qui que ce soit (et certainement pas le RN !!) mais bien d'un gouvernement 100% Front populaire. Sa force viendrait certes des urnes, mais aussi du mouvement social, syndical et associatif
L'idée est d'améliorer immédiatement la vie des gens, et de pousser les deux autres blocs à devoir assumer la responsabilité de refuser des lois que sur le papier ils disent soutenir (pour plus de libertés, contre le racisme, pour la justice sociale et pouvoir d'achat etc.)
La gauche souffre des attaques d'un bloc central qui fait croire être un rempart pour les libertés publiques (alors qu'au pouvoir il les piétine) et un RN qui fait croire être pour la justice sociale (alors qu'il est pro-riches et donne une interprétation raciste du social)
Macron bloque le processus démocratique et brutalise les institutions, car il sait qu'un gouvernement de gauche non seulement pourrait effectivement gouverner (il a bien réussi à le faire), mais aussi le mettrait face à ses contradictions - idem pour le RN qui regarde faire
PPS : c'est bien une spécificité du Nouveau Front populaire, ça marche pas pour les autres. La faibless de la droite classique casse la symétrie, et l'empêche de jouer le même rôle que le NFP : aucun texte LR + RN ou Ensemble + LR (possible sous le mandat précédent) ne passerait
A comparer avec la législature précédente : Ensemble pouvait être au centre du jeu car elle pouvait compter sur LR pour ne pas s'opposer à ses politiques économiques, et sur la NUPES à des politiques libérales politiquement (bien moins nombreuses)
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La crise institutionnelle dans laquelle on est n'est pas entièrement nouvelle. Toute constitution pose des problèmes d'interprétation, toujours renouvelés en cas de changement dans les rapports de force, notamment entre institutions pouvant prétendre représenter le peuple 🧵
La Révolution a vu nombre de ces conflits, l'Assemblée contre le roi, contre les sections parisiennes... La Restauration tombe sur un conflit entre le roi et l'Assemblée après une dissolution (tiens tiens), la Seconde République un coup d'état du président contre l'Assemblée...
La Troisième République ne devient parlementaire qu'après un conflit entre le président et l'Assemblée, en 1877, la 4e est sabotée par des partis qui en refusent les institutions, la 5e voit tout son équilibre bouleversé par l'élection directe du président, puis le quinquennat...
En 2007, droite + extrême droite faisait 13 millions de voix. Aujourd'hui, 12,7 millions. Ce qui a changé (et qui change tout), c'est que l'extrême droite a entièrement bouffé les voix de la droite. Peut-être parce que depuis, cette droite "républicaine" est devenue extrémiste
Sous Sarkozy, la droite s'est mise à renforcer son discours sécuritaire, raciste, contre "l'assistanat", pour l'identité nationale, anti-gauchiste. Et un temps, ça a marché. Mais à terme, ça a surtout validé le discours du FN, qui semble désormais un discours banalement de droite
Avec Macron qui est venu piquer les quelques libéraux qui pouvaient rester à droite, on se retrouve avec une droite "républicaine" extrémisée, dont le seul reproche fait au RN c'est d'être trop social (lol). En fait, LR est devenu, sur le plan du discours, plus à droite que le RN
Pour Libération, je propose une analyse du rapport à la démocratie des trois fronts politiques : "Législatives : trois conceptions du peuple, trois visions de la démocratie". Spoiler : un seul des fronts est vraiment démocratique. Réservé aux abonné-es, du coup petit fil ⬇️
Bon, commençons par l'évidence : cette campagne met à l’épreuve la démocratie. Emmanuel Macron a brutalement manipulé les règles électorales. Cela en dit long sur son rapport à la démocratie et sur la nature des institutions de la Ve qui permettent de tels coups de force
Mais les partis politiques se sont adaptés, et en quelques jours à peine tout s'est réorganisé, autour de trois blocs, qui donnent chacun une image différente du "peuple" qu'ils entendent représenter (donc de la démocratie comme pouvoir du peuple)
Cette séquence (terrible) remet au coeur du débat le rôle des partis. En politique, la trahison est courante, mais la trahison d'un parti par son chef l'est moins. Or deux chefs viennent de trahir : Ciotti, bien sûr, mais aussi Macron. Avec des conséquences très différentes. 🧵
Macron vient, seul ou presque, d'envoyer valser tout son mouvement. Certes, il met en danger le pays et piétine la démocratie. Mais c'est aussi, incidemment, une trahison de tous ses fidèles, et le risque de leur faire perdre leur job et ce qu'il leur reste d'honneur
Or, qu'y a-t-il comme conséquence ? Aucune. Il est le chef absolu, il décide, ils obéissent. Personne ne moufte, même devant la perspective de devenir, dans l'histoire en train de s'écrire, le marche-pied sur lequel l'extrême droite s'est appuyée pour grimper sur le trône.
Le moment est parfait pour vous raconter l'histoire d'une sorcière, Jeanne. Elle naît en 1528, d'une mère prostituée, brûlée pour sorcellerie quand Jeanne a 20 ans. Elle se marie, a une fille, qui se fait "violenter" par un voisin. Alors, Jeanne, qui a 50 ans, lui jette un sort.
Mais le sort touche un autre homme, innocent, qui meurt. Jeanne prend peur, s'enfuit, est rattrapée, jugée. Face à la menace de la torture, elle avoue, et est brûlée. Pourquoi raconter cette histoire, banale ? Car le juge de l'affaire n'est pas n'importe qui. C'est Jean Bodin.
Jean Bodin est un philosophe politique majeur, l'inventeur de la théorie moderne de la souveraineté étatique, inspirateur direct de Hobbes, entre autres. Deux ans avant de juger le procès de Jeanne, Bodin avait publié les Six livres de la République. fr.wikipedia.org/wiki/Les_Six_L…
J'ai supprimé un thread sur les usages militants de l'histoire, car il était mauvais et pas sympa pour des collègues. Désolé. Il était surtout nul car il mélangeait 2 choses : les manières d'utiliser l'histoire, et les manières d'en faire. Du coup, 2e essai, pour rater mieux🧵 1/
L'idée de base, consensuelle je pense, c'est que les militant-es ne sont pas tenu-es aux même règles de vérité que nous, qui sommes payé-es par la collectivité pour produire des discours vrais. C'est un constat (on ne peut pas l'empêcher) mais aussi normativement désirable 2/
Se pose la question de comment on réagit quand un-e militant-e utilise des faits historiques faux pour justifier ses positions politiques. D'un côté, rectifier les erreurs fait partie de notre éthique professionnelle ; d'un autre, ça a des effets politiques, de deux ordres 3/