Thread by @AudrandS

J'ai répondu aux questions de @LEXPRESS sur la déclaration de Zelensky à propos du sommet sur la paix de novembre et, plus largement, des rumeurs de cessez-le-feu. Difficile de résumer 30 mins d'entretien en 2,5 mins. Un fil pour compléter. En un mot, "prudence". 1/

https://twitter.com/LEXPRESS/status/1813566841052356755

D'abord, sur l'accord du président ukrainien pour que les Russes participent au sommet de novembre : c'est moins une ouverture vers la Russie qu'une attitude devant satisfaire son opinion et la communauté internationale. Il ne peut pas se permettre d'être celui qui bloque. 1/

Les Ukrainiens "en faveur des négociations" sont plus nombreux que ceux qui s'y opposent. Mais attention : les deux tiers refusent toujours les concessions territoriales et pensent la victoire possible. L'attitude de Zelensky est cohérente. 2/

kyivindependent.com/44-of-ukrainia…

Ajoutons que le plan Zelensky est plutôt rusé, parce qu'à côté des questions "dures" (territoires, crimes de guerre, reconstruction) se trouvent des sujets transverses, importants pour la communauté internationale, propices aux négociations (nucléaire, céréales, environnement).3/

Maintenant, est-ce que les deux camps souhaitent l'arrêt des combats ? Peut-être, mais pas l'arrêt de la guerre. La différence est subtile. D'abord, l'armée ukrainienne encaisse les coups depuis l'été dernier. Elle inflige de lourdes pertes, mais en subit aussi beaucoup. 4/

Son usure humaine est réelle, la faute notamment au manque d’entrainement collectif, au C2 insuffisant, au caractère tardif des fortifications, à un certain acharnement défensif initial et surtout au manque de munitions d'artillerie et antiaériennes. 5/

L'armée ukrainienne a engagé presque toutes ses réserves en termes de brigades de manoeuvre aptes au combat mécanisé. Il lui reste des effectifs territoriaux et des unités en formation, mais plus trop de corps de réserve. 6/

De son côté, l'armée russe progresse en Donbass, use son adversaire, mais au prix de pertes lourdes. La Russie arrive au bout de ses stocks matériels lourds et la prise des derniers bastions régionaux du Donbass sera difficile... 7/

La Russie use l'Ukraine dans la profondeur, saccageant son système électrique, ce qui est très problématique. De son côté, l'Ukraine use la Crimée et maintient son interdiction en Mer Noire, ce qui est menaçant pour le dispositif russe. 8/

Dans ces conditions, une forme de pause opérationnelle ne serait pas forcément pour déplaire aux deux armées. Le temps de "sortir la tête de l'eau" et de se régénérer un peu. La pression des pays hors OCDE est forte sur les deux camps pour que tout ça s'arrête. 9/

Quelle forme cela pourrait-il prendre ? Sans doute un "cessez le feu plus ou moins assumé" à la faveur de discussions via un médiateur tiers non occidental (Brésil, Turquie, Qatar et Arabie Saoudite). Les échanges de prisonniers, déjà fréquents, aiderons à mettre d l'huile. 10/

Pas d'armistice en vue, ni même de traité de paix. Les deux camps pensent encore pouvoir l'emporter. La dynamique russe est encore forte et le restera pour sans doute un an. L'Ukraine de son côté doit résoudre les questions d'effectifs et d’entrainement... 11/

Mais tenir jusqu'en fin 2025 apporterait à l'Ukraine une situation sans doute plus favorable : épuisement matériel russe, tarissement des réserves de change de Moscou, arrivée des F-16, entrainement de nouvelles brigade, production de munitions... 12/

D'ici là, l'ombre d'un "plan Trump" plane. L'idée que s'il est élu en novembre il posera sur la table un plan pour que tout s'arrête immédiatement, avec une négociation directe "USA Russie" qui enjamberait Kiev (et l'UE), ce dont rêve Poutine. 13/

Trump pourrait exiger de lourdes concessions territoriales ukrainiennes en échange de la promesse d'un arrêt de l'agression russe et d'une garantie plus ou moins floue à la "mémorandum de Budapest et accords de Minsk". 14/

L'historique trumpien vis à vis de la Corée du Nord incite à la prudence sur les "lubies" du "génial négociateur". Mais le fait est que les Etats-Unis peuvent imposer un plan de paix à l'Ukraine et l'Europe, en menaçant d'arrêter leur soutien militaire et financier. 15/

Trump pourrait même exiger de nous un arrêt du soutien à l'Ukraine en menaçant de se retirer de l'OTAN, ce qui pèserait lourd sur l'Allemagne et les puissances modestes. Refuser supposerait un engagement à la carte d'un groupe de pays, sans les USA et peut-être sans l'UE. 16/

Attention : Trump, imprévisible, pourrait aussi considérer qu'une victoire russe favoriserait la Chine et que l'affaiblissement européen serait nuisible en cas de crise en Asie et au contraire durcir le ton face à Poutine. En fait, Trump, c'est la "contingence"... 17/

Un dernier point au sujet du risque de "coréanisation". Oui, il y a un risque de situation figée, le long d'une ligne de contact hyper minée, fortifiée, militarisée, pendant très longtemps. Mais le modèle serait plutôt le haut Karabagh que la Corée. 17/

En Corée, il y a des forces américaines depuis 1953, qui découragent toute reprise des hostilités et font qu'il n'y a pas vraiment de "chemin militaire" sans escalade générale vers une résolution du conflit. La situation est neutralisée par les GI's. 18/

Si on veut cette situation, assez pérenne dans l'arrêt des combats mais insoluble sur le fond, il faut faire entrer 40 000 soldats de l'OTAN en Ukraine dès l'arrêt des combats et leur faire garder la ligne de front, potentiellement pendant 50 ans. Crédible ? Je ne crois pas. 19/

L'alternative, situation figée, Ukrainiens face aux Russes sans puissance tierce pour garantir la neutralisation, c'est la situation de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan. 1 des 2 camps (le + puissant, la Russie) essayera forcément de retrouver le chemin d'une solution militaire. 20/

Cessez-le feu + négociations en novembre, est-ce possible ? Oui, peut-être. Je pense que le point dur sera la Crimée, pas le Donbass. Centre de gravité de l'agression russe, la péninsule devrait a minima être démilitarisée pour ne plus menacer l'Ukraine. C'est crucial. 21/

Le Donbass... Je pense que Zelensky a bien compris qu'il sera très couteux et compliqué de le reprendre par la force. Idéalement son destin devrait être celui de la Sarre en 45-55 : démilitarisation, pacification, retour des réfugiés et référendum au bout de quelques années. 22/

Bref : de "vraies" négociations restent pour l'heure improbables, mais l'hypothèse d'une pause, incertaine dans ses formes et sa durée, existe. Les deux camps campent sur leurs demandes, ce qui est normal. Mais la pression internationale est forte pour négocier. On verra. FIN