L’État israélien poursuit sa politique potentiellement génocidaire dans l’impunité la plus totale. Pour ce faire, il utilise notamment des drones tueurs, qui d’après le philosophe Grégoire Chamayou, «sont les armes d’un terrorisme d’État». 1/25
Défini comme un «véhicule terrestre, naval ou aéronautique, contrôlé à distance ou de façon automatique», le drone est d’abord un engin de reconnaissance : c’est à cette fin qu’il est utilisé par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam. 2/25
En 1973, lors de la guerre du Kippour, l’État israélien et son armée, Tsahal, envoie également des drones, mais pour leurrer son ennemi égyptien. Cet usage est fidèle au sens premier du mot «drone» en anglais : le faux bourdon, bruyant mais dépourvu de dard. 3/25
Ce n’est qu’en 2001 que le drone devient véritablement une arme de guerre. Après les attentats du 11 septembre, le Predator tue à distance sur le terrain afghan. La «chasse à l’homme international» (l’expression est du président George W. Bush) est ouverte. 4/25
Le modèle adopté par les États-Unis est alors le programme d’«assassinats ciblés» d’Israël. Toute une stratégie de la chasse à l’homme, de la «guerre cynégétique» comme le dit Grégoire Chamayou, est élaborée au cours des années 2000. 5/25
Dans ce cadre, la guerre n’est plus un duel, mais l’abattage d’ennemis réels, supposés ou potentiels, identifiés après avoir été étroitement surveillés. S’ils ont un comportement jugé suspect, ils intègrent la «kill list». Bien sûr, ils n’ont pas les moyens de se défendre. 6/25
La marge d’erreur est grande, car, à 6.000 mètres d’altitude, un comportement peut très vite être interprété comme étant suspect. La distinction entre combattants et non-combattants est d’autant plus difficile que le drone rend tout combat réel impossible. 7/25
Surtout, les «dommages collatéraux» sont presque inévitables : le missile du Predator tue dans un rayon de 15 mètres et blesse dans un rayon de 20 mètres. Même si l’ennemi est correctement identifié, toutes les personnes à proximité seront victimes de la frappe. 8/25
Peu importe pour la puissance qui déploie des drones tueurs : l’objectif premier est de préserver les vies nationales, quitte à sacrifier des civils du camp ennemi. C’est ce que Grégoire Chamayou appelle le principe d’immunité du combattant impérial. 9/25
Ce principe a été théorisé par des philosophes israéliens, spécialistes en éthique de la guerre. Asa Kasher, l’un de ces spécialistes, a écrit avec le major général Amos Yadlin un article sur «l’éthique militaire dans le combat contre la terreur.» 10/25 philpapers.org/rec/ASAMEO-2
Ces derniers soutiennent que le combattant, «citoyen en uniforme», a autant droit à la vie que les autres citoyens. Il serait donc immoral de distinguer les combattants des civils (sous-entendu : la distinction entre nationaux et étrangers n’est pas contraire à l’éthique). 11/25
Citons Asa Kasher et Amos Yadlin : «Conformément à notre norme de priorité des devoirs, l’État doit accorder la priorité à la sauvegarde de la vie d’un seul de ses citoyen, même si les dommages collatéraux sont beaucoup plus élevés, ce qui peut paraître inacceptable.» 12/25
Il existe une justification plus modérée du principe de l’immunité du combattant impérial : pour le philosophe américain Bradley Strawser, l’usage du drone est obligatoire dès lors qu’il n’engendre pas plus de dommages collatéraux que d’autres armes. 13/25 philpapers.org/rec/STRMPT
Le drone incarnerait ainsi, affirme Grégoire Chamayou, un «pouvoir humilitaire», «qui tout à la fois tue et sauve». Ce serait le moyen ultime de «bien tuer», la mise en pratique parfaite de la «nécroéthique». Mais concrètement, le drone tue de manière indiscriminée. 14/25
La cruauté de cette arme est renforcée par le fait qu’elle implique un décalage (Günther Anders) entre le pilote à distance et sa cible : le premier est très éloigné de la seconde et ne voit en elle qu’une fine silhouette. Cette situation a tendance à le désinhiber. 15/25
Si certains pilotes se sont sentis mal d’avoir tué, ils ne souffrent pas, en général, du syndrome de stress post-traumatique, car ce trouble ne concerne par définition que les personnes dont la vie a été directement mise en danger. 16/25
En outre, la plupart apprennent à «compartimenter» leur vie, leur «moi de guerre» et leur «moi de paix» selon les concepts freudiens. Grégoire Chamayou cite l’un d’entre eux : «Je ne ressens aucun attachement émotionnel à l’ennemi […] J’ai un devoir et je fais mon devoir.» 17/25
Opérant à distance, il leur est plus facile de tuer que sur un champ de bataille. C’est ce qu’explique l’ancien militaire et psychologue américain Dave Grossman : plus la distance physique avec la cible est élevée, moins la répugnance à tuer est grande. 18/25
Cela a déjà été analysé au XIXe siècle par Clausewitz, qui écrivait dans «De la guerre» : «Avec une fronde, nous pouvons imaginer un certain degré de colère accompagnant le lancement de la pierre ; ce sentiment intervient beaucoup moins dans la décharge d’un mousquet […]» 19/25
Hegel disait aussi dans son «Système de la vie éthique» : «L’arme à feu est la découverte de la mort générale, indifférente, impersonnelle». «La loi de Clausewitz-Hegel» se vérifie avec l’usage du drone. «C’est comme jouer au jeu vidéo Civilisation» dit un pilote américain. 20/25
Cet effet d’«amortisseur moral» ne concerne pas seulement les pilotes, mais aussi l’opinion publique. Nous sommes généralement plus choqués par des massacres en face à face, comme l’attaque du 7 octobre 2023, que par les massacres à distance. 21/25
Le fait est qu’il n’y a pas forcément besoin d’une haine viscérale pour appuyer sur un bouton. Les conséquences sont les mêmes, voire pire, que celles d’un massacre «classique», mais on perçoit mal les mauvaises intentions derrière cet acte. 22/25
Il se peut même que les intentions ne soient pas mauvaises, que le pilote se contente de «faire le job». Le mal peut être fait en toute indifférence, banalement, au sens qu’Hannah Arendt a donné à ce terme pour comprendre les logiques génocidaires. 23/25
Alors, la chasse à l’homme qu’est la guerre par drone devient un vulgaire travail, dont la production est une quantité toujours plus grande de cadavres. La robotisation réduit la haine à l’état d’antiquité pour reprendre une autre idée de Günther Anders. 24/25
Cependant, le drone exacerbe la haine de ses victimes : face à un ennemi intouchable, tuant des innocents et semant la terreur, certains se retournent contre lui par des moyens terroristes, faisant payer l’immunité du combattant impérial par des victime civiles de l’empire. 25/25
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Si le Rassemblement National (RN) est arrivé en 3e position lors des dernières élections législatives, ce sont plus de 10 millions de Françaises et de Français qui ont opté pour ce parti. D’après le sociologue Félicien Faury, ce choix est largement motivé par le racisme. 1/25
Là où il a enquêté, dans le sud-est de la France, Félicien Faury a constaté que les électeurs RN tiennent régulièrement des propos racistes contre les minorités d’origine non-européennes. Celles-ci sont vues comme étant «homogènes», «différentes et séparées». 2/25
Surtout, elles sont assimilés «à des comportements suscitant des affects négatifs (peur, hostilité, mépris, ressentiment), en opérant implicitement une hiérarchisation entre les valeurs et les attitudes de ces groupes et celles du reste de la population.» 3/25
Dernièrement, je suis revenu sur le mythe selon lequel le Frente Popular a provoqué la guerre civile espagnole. Aujourd’hui, je voudrais démonter un autre mensonge anti-gauche : la prétendue responsabilité du Front Populaire (FP) dans la défaite de 1940. 1/25
Ce mensonge, fréquemment ressorti par la droite et l’extrême droite, a une sombre origine. Il est formulé dès le 20 juin 1940 par Philippe Pétain, alors président du Conseil des ministres, deux jours avant la signature de l’armistice avec l’Allemagne nazie. 2/25
Ce jour-là, Pétain explique la défaite par la victoire de «l’esprit de jouissance» sur «l’esprit de sacrifice». La cause du désastre serait le programme social trop généreux du FP, soit l’union entre les partis communiste, socialiste et radicaux, au pouvoir de 1936 à 1938. 3/25
En réaction à la constitution du Nouveau Front Populaire, le journaliste @JJDORADO a déclaré sur @RTLFrance que la France court un grave danger, car «le Front Populaire en Espagne, en 1936, nous a amené la guerre civile».
Démontons cet argument habituel de l’extrême droite. 1/25
Comme toujours en histoire, pour bien comprendre les choses et faire les bonnes comparaisons, il faut prêter attention au contexte. En 1936, cela fait cinq ans que l’Espagne est une République, régime créé par des modérés après la dictature de Miguel Primo de Rivera. 2/25
Niceto Alcalá-Zamora, catholique et ancien royaliste, préside le nouveau régime de décembre 1931 à avril 1936. Il tente de suivre une ligne centriste dans une Espagne divisée, où la République est constamment menacée par une droite autoritaire, voire fasciste. 3/25
Récemment, un article du Monde sur l’engagement écologiste d’un grand nombre de scientifiques (notamment des spécialistes du climat) a relancé un vieux débat : la science est-elle neutre ? Je soutiens que ce n’est pas le cas. Voyons pourquoi. 1/25 lemonde.fr/sciences/artic…
Avant toute chose, il convient de clarifier les termes de cette question. S’accorder sur une définition générale de «la science» n’est pas chose aisée, car ce mot recouvre des disciplines extrêmement diverses, dont les objets et les méthodes peuvent différer radicalement. 2/25
Néanmoins, quelques une de ces caractéristiques font consensus : c’est un ensemble de savoirs qui peuvent être tenus pour vrais, dans la mesure où ils ont été établis par des méthodologies éprouvées (expérimentation, raisonnement logique, administration de la preuve, etc.) 3/25
Dernièrement, j’ai évoqué le mythe de la neutralité de la technique, c’est-à-dire l’idée suivant laquelle la fonction de nos instruments ne dépend que de leur usage (le couteau peut servir à tuer ou a cuisiner).
Le philosophe Langdon Winner nous apprend qu’il n’en est rien. 1/25
Selon lui, les technologies (ou objets techniques) ne sont pas simplement «des assistants de l’activité humaine» : «elles sont aussi de puissantes forces qui refaçonnent cette activité et sa signification» : la mécanisation de la production transforme le travail ;
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l’automobile individuelle change nos manières de nous déplacer et de concevoir l’espace ; l’informatique bouleverse le fonctionnement de toute la société. Quand ces objets fonctionnent en système, le changement social n’est pas qu’un effet secondaire. 3/25