Thread by @pierr_joigneaux

"Les retraitées comme moi, on fait les poubelles. Je suis pas raciste, je préfère Le Pen. Les infirmières sont payées à coups de trique. Faut voir le Secours Populaire ici!"

Des "fâchés pas fachos", j'en ai rencontré par dizaines.

À Donges, où le RN fait +18 en 2 ans.

Thread⬇️

À l’entrée de la ville : « NON à la fermeture de la Poste ».

"Pendant les retraites, une manif a eu lieu ici, avec 200 personnes, et la Poste a été sauvée !"

Mais la Poste de Trignac, à‐côté, ancien bastion coco, 8000 habitants aussi, a fermé.

À Trignac aussi : +18 en 2 ans.⬇️

À Montoir, pareil : le RN fait +18 en seulement 2 ans.

3 communes collées, au passé de gauche, où le RN fait +18 en 2 ans ?

Alors, sur invitation de mon camarade @MatthiasTavel, je me suis dit : je viens en reportage.

Parler avec des électeurs RN, essayer de comprendre.⬇️

En mode militant, en porte‐à‐porte, comme en campagne : je file sur le quartier de l'Ariais, un des plus pauvres de Donges.

Une bonne dizaine d’immeubles collés à la suite. Que des logements sociaux.

Béatrice, la soixantaine, est la première à m’ouvrir la porte. ⬇️

"Il fait le con, Macron. On préfère Le Pen. Faut que ça change. Non, je suis pas raciste, mon gendre est Guadeloupéen, ma belle‐sœur est Marocaine, alors... Le monsieur au‐dessus, super gentil, il vient du Sénégal. Quand il a un pb de voiture, mon mari l’aide. On est humains"⬇️

"— Bon, pourquoi voter RN, alors ?
— Le Pen ? C’est parce qu’elle veut aider + les gens. Macron, c’est un banquier : il défend les riches. Et c'est toujours les petits qui payent. Il faut rendre service aux gens, mais pourquoi on aide ceux qui bossent
pas ?"

Les assistés ? ⬇️

"Le Pen veut aider ceux qui veulent bosser. Par exemple : mon fils, il a 23 ans, lui ne veut pas aller bosser, eh bah c’est à nous de l’aider, de payer pour lui, pas à l’État. Je veux pas entendre parler du RSA pour nous !"

Elle était femme de ménage, Béatrice, 61 ans. ⬇️

J’entends des pas dans le hall. C’est Jean‐Pierre, le mari de Béatrice, qui rentre du boulot. Il entre dans la discussion, direct.

"Macron, c’est un banquier, faut surtout pas toucher les riches.
— Et qu’est‐ce que tu fais, toi, comme boulot ?"
⬇️

"— J’ai tout fait... Mécanicien, carrossier, 25 ans dans les raffineries, là je suis sous‐traitant dans le pétrole, 15 ans chez Pitard, mécanicien. Mais ils ont tout démoli ».

À 67 ans, Jean‐Pierre bosse encore.
La retraite, c’est le 1er sujet dont il me parle. ⬇️

"Une mesure ? Le Pen défend la retraite à 61 ans.

Du racisme ? Mais nan, c’est pas pour du racisme que les gens votent RN. C’est pour aider les gens. Marine elle admet pas qu’il y ait encore des SDF, elle est pour aider les plus pauvres et ceux qui bossent !"

Pas leur fils. ⬇️

Jean‐Pierre et Béatrice ont soutenu les Gilets jaunes.

"Ils avaient raison ! Les petits salaires, on n'arrive pas à vivre.
— Vous vivez avec combien ?
— 1500 euros à deux. Et bosser 2 ans de
plus, c’est dur. Certains boulots, comme dans le pétrole, c’est même très, très dur". ⬇️

"À la raffinerie, quand tu nettoies un bac entier rempli de merde, personne veut le faire. J’en ai vu des intérimaires, ils sont jamais revenus. Aujourd’hui, les jeunes veulent plus bosser. Notre fils, il n'a pas la niaque, c’est un gros problème, nous on défend le travail..." ⬇️

Je les laisse, un peu déconfit. Parce ce sont des aspirations de gauche, qu’ils m’égrènent là, Béatrice et Jean‐Pierre. De quoi voter pour le NFP, normalement, pas pour le RN.

Je continue le porte à porte : des dizaines de portes s'ouvrent, tout le monde vote RN. ⬇️

Direction le Sulky : le bar‐PMU du coin, et l’étape que j’attendais le plus.

Mes 2 voisins accoudés au comptoir parlent d’un PSE. Je tends l’oreille.

C’est Yara, un géant norvégien, la plus grosse multinationale d’engrais. 139 emplois supprimés, sur les 171 de l’usine du coin⬇️

"L’année dernière, un ouvrier sous‐traitant est tombé dans une cuve d’acide. Il est mort. Y a aussi les bacs d’ammoniaque et de cyanure : ils fuient dans les sols, puis dans la Loire. Ici, dans le bassin ligérien, y a 36 % de cancers en plus que la moyenne nationale".
⬇️

Le journal local, Presse Océan, est posé sur le comptoir. La Une ? L'arrêt de la centrale au charbon de Cordemais, la commune voisine, 700 emplois supprimés. Sans compter General Electrics et Airbus, qui ont supprimé 1000 postes chacun dans le coin. Oui, ça fait beaucoup... ⬇️

Je me tourne vers « Jean‐Phi ». La trentaine, 1,95 m, casquette, lunettes de soleil, piercing.

"Je vais pas te cacher, je vote Le Pen. Une femme au pouvoir, ça peut changer. Et Le Pen, elle défendait les Gilets jaunes.
— T’en étais, toi, des GJ ?
— Ouais, et pas qu’un peu."
⬇️

"J’étais sur le rond‐point, j’ai fait les blocages des camions, ça rigolait pas, ça aurait pu basculer. Mais ça
m’a dégoûté : avec les violences policières, ils nous ont fracassés.
— Et le racisme ?
— Le vote Le Pen, c’est pas du racisme, ça c’est
des conneries ! Regarde"⬇️

"Regarde, là, t’as Ali, c’est mon meilleur ami, ben il est Tunisien. Allez, mon fils est au foot, je dois le récupérer, je file".

Jean‐Phi fait la bise à Ali, son meilleur pote donc, la quarantaine, en survêt' du club de foot de Donges, chauve, rond, rire tonitruant. ⬇️

Ali :
"— Moi ça fait 44 ans que je suis à Donges, et le vote RN, je te le dis, c’est pas du racisme, c’est le ras‐le‐bol.
— Mais quand même, le discours de Le Pen, sur les immigrés, et puis y a pas qu’elle au RN à
dire des choses racistes, vois leurs candidats..."
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"— Oui mais ce que je peux te dire c’est que nous, au club de foot, c’est mélangé. Il y a des blacks, des arabes, des blancs. Le racisme, c’est une minorité.
— Tu l’as pas vécu, toi, le racisme ?
— Quand mon père est arrivé en 1976, là oui, on était des "ratons", c’est vrai."
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"Mais ça a évolué, les gens ont changé. Le coach de l’équipe de foot, c’est un black, ça évolue.
— Et donc, t’as jamais subi le racisme ?
— Écoute, je vais te raconter un truc, pour te montrer que c'est avant tout du ras le bol".

La patronne du bar arrive. ⬇️

"La gauche, j’ai rien contre. Je fais partie de "Mama Africa", une asso qui aide les migrants. On a parrainé une filleule, on va aller au Sénégal avec elle. On peut pas s’arrêter aux origines, sinon tu t’en sors pas".

La suite du dialogue à lire dans le reportage !
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Christophe semble sentir mon désarroi. « Eh, Fakir, continuez à faire ce que vous faites, à écouter les gens, vraiment. Le terrain, c’est différent des bureaux à Paris. Bravo les jeunes ! »

Le reportage à Donges sort aujourd'hui : à retrouver en entier dans tous les kiosques !