Le capitalisme tue.
Le capitalisme a toujours tué.
La preuve avec une belle leçon d'histoire venue des inondations dans les Pays-Bas du Moyen Âge ! Un thread ⬇️
Le médiéviste Tim Soens travaille sur les Anciens Pays-Bas, du XIIe siècle au XVIIe siècle. C'est une région située sous le niveau de la mer et les humains y ont donc construit des digues depuis fort longtemps.
Régulièrement, ces digues lâchent, après un violent orage par exemple. Il y a donc des inondations, des dégâts dans les champs, parfois des morts. Mais les gens ont l'habitude et sont organisés.
Au XII-XIIIe siècle, les paysans de la région sont globalement de petits paysans libres qui possèdent de petites exploitations foncières (économie de subsistance). Les digues sont entretenues collectivement : quand ça pète quelque part, tout le monde fonce et bosse pour réparer.
Au quotidien, chacun est responsable de l'entretien de sa petite portion de digue, et on s'organise via des associations spécialement dédiées à ça (qui s'appellent des wateringen). Globalement, ça fonctionne : les digues lâchent peu souvent.
Peu à peu, une économie proto-capitaliste se met en place. De grands propriétaires terriens - nobles, marchands ou abbayes - possèdent de plus en plus de terres, louées à des paysans moins libres qu'avant. Conséquence : les propriétaires des terres n'habitent plus sur place...
Pour prendre un exemple concret : dans la campagne autour d'Oostburg, en 1388 il y a 41 propriétaires par centaine d'hectares ; en 1550, plus que 14 ! Des milliers de petits paysans libres et propriétaires de leur terre ont disparu.
Les nouveaux propriétaires veulent de la rentabilité. Or, dans certains secteurs, le coût d'entretien des digues dépasse ce que les terres rapportent. Du coup ces riches propriétaires... arrêtent d'entretenir les digues.
Conséquence immédiate : les digues lâchent plus souvent qu'avant. Il y a plus d'inondations catastrophiques et plus de morts. Cercle vicieux : les paysans fuient, donc la terre est moins rentable, donc les propriétaires investissent moins, donc plus de catastrophes, etc.
En outre, ces grands propriétaires ont besoin de beaucoup de capitaux pour entretenir les digues. Donc cela dépend du marché à l'époque : en période de croissance, on a des sous, on investit. Dès que le prix de la laine baisse, hop, on rogne, et on laisse les digues se dégrader.
Et EN PLUS évidemment ces grands propriétaires achètent en priorité les parcelles les moins exposées aux inondations... ce qui rejette les petits propriétaires sur les terres les plus inondables. Les catastrophes vont donc toucher en priorité les populations les moins avantagées.
C'est aggravé par un autre effet pervers du développement économique. Se multiplient les moulins à vent couplés à un mécanisme permettant d'assécher son champ. Mais l'eau ainsi drainée est rejetée... dans les champs voisins qui n'ont pas de moulins !
Donc, très concrètement, les riches inondent les champs des pauvres qui n'ont pas les moyens de faire construire des moulins. Qui du coup deviennent plus pauvres, ou partent, permettant aux riches de devenir... plus riches, car ils récupèrent les terres de ceux qui partent !
Le pire dans tout ça ? A mesure que les petits paysans locaux sont chassés ou partent, leur expertise en matière d'endiguement et de drainage disparaît. C'est tout un savoir local de prévention de la catastrophe qui disparaît. Les digues sont donc moins efficaces qu'avant...
La dernière conséquence, c'est la multiplication des conflits. Les paysans locaux sabotent les haies ou les fossés, s'en prennent aux ingénieurs envoyés par les propriétaires, etc. Il y a plus de violence qu'avant (ce qui ne veut pas dire qu'avant tout était parfait !).
L'analyse de Tim Soens est implacable. L'accroissement des inégalités a renforcé la vulnérabilité aux catastrophes des populations les plus pauvres et a entrainé une disparition des savoirs locaux sur les manières de gérer les risques. (poke @MagaliReghezza !)
@MagaliReghezza Très concrètement : le développement d'une économie capitaliste a enrichi quelques dizaines de propriétaires urbains et appauvri des milliers de paysans, le tout en les exposant davantage à des risques environnementaux. Plus les riches sont riches, plus les pauvres meurent... !
@MagaliReghezza Thread préparé par moi et Tobias Boestad, spécialiste de ces régions, maître de conférences à @UnivLaRochelle.
Référence des articles de Tim Soens utilisés pour ce thread :
@MagaliReghezza @UnivLaRochelle L'histoire des Anciens Pays-Bas permet ainsi de mettre en évidence le fait que les dégâts provoqués par les catastrophes ne sont pas des fatalités, mais résultent de choix économiques et politiques.
Merci d'avoir suivi ce thread !
Ah ah ah je n'avais pas vu les commentaires qui déjà m'accusent de faire la promo du communisme. Faut apprendre à lire, les amis : dire "le capitalisme tue" ne revient pas à dire "vive le communisme"... !
Ici, Tim Soens analyse un changement socio-économique et ses effets sur la gestion des risques environnementaux et des catastrophes. Il ne s'agit ni de dire "c'était mieux avant", ni de dire "à bas le capitalisme cœur avec les doigts sur Marx". Simplement de faire de l'histoire.
Et pour approfondir le débat, qui malheureusement dévie du sujet (=> les inégalités accroissent les risques environnementaux) pour se concentrer sur "mais le capitalisme...", voilà comment J. Baschet définit le capitalisme (extrait d'un entretien dans @nonfiction_fr)
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Connaissez-vous les 7 péchés capitaux ? C'est comme les 7 nains, généralement on en oublie un...
En 1475, un enlumineur propose une superbe version illustrée dans un Livre d'heures copié à Poitiers (@MorganLibrary MS M.1001).
Un thread ⬇️!
On commence par l'orgueil, en latin "superbia". Le péché est représenté par un beau jeune homme s'admirant dans un miroir, monté sur un lion. En bas, le démon associé au péché est Lucifer, pointant vers une femme dédaigneuse et méprisante...
Numéro 2, l'envie. Incarné par Belzébuth, ce péché est symbolisé par la pie (oiseau voleur) et, en bas, par des gens qui convoitent le bien d'autrui.
Au XVe siècle, on se met à imprimer un peu partout en Europe. Mais l'imprimerie coûte cher et se lancer dans l'aventure exige souvent de dresser un contrat précis entre imprimeur, auteur, éditeur, libraire... Un thread à partir d'un ouvrage récent ⬇️!
Catherine Rideau-Kikuchi édite ici des contrats d'imprimeurs, trouvés dans les archives de plusieurs villes du nord de la péninsule italique, entre 1470 et 1528. Bravo à l'autrice car les recueils de sources sont toujours précieux ! @EditionsCG
@EditionsCG Ici, focus sur un contrat du 22 mai 1499, conclu à Bologne entre Filippo Beroaldo, humaniste, professeur de rhétorique à l'université, et Benedetto di Ettore Faelli, libraire et imprimeur.
Le plus souvent, on y représente des animaux plus ou moins fantastiques et des scènes du quotidien.
Mais, quand on y regarde de près, on s’aperçoit que ces scènes cachent parfois... des violences sexuelles. Un thread ⬇️!
Je vulgarise ici un excellent et passionnant article écrit par @M_PerezSimon et Delphine Grenet @Grenet81020939, dans ce volume. Merci aux autrices qui me l’ont envoyé et ont relu ce fil ! Poke @RCPPMassoc
@M_PerezSimon @Grenet81020939 @RCPPMassoc Les autrices rappellent que ces scènes de violence n’ont le plus souvent pas été vues ni nommées par les chercheurs. Ainsi de cette sculpture de cheminée de Bruges, intitulée « scène de séduction », alors que les gestes de la femme montrent qu'elle repousse une tentative de viol.
Au VIIIe-IXe siècle, les conquêtes arabes balaient la planète. Une question se pose aux gens : faut-il se convertir ? Au milieu du IXe siècle, Hunayn ibn Ishaq, un médecin chrétien de la cour du calife, distingue 6 raisons de se convertir à l'islam. Un thread ⬇️!
Je tire ce thread du livre suivant : Etienne de la Vaissière, Asie Centrale 300-850 (@BellesLettresEd), plus précisément p. 452-457 !
@BellesLettresEd 1/ La force. Lors des conquêtes, les conquérants imposent souvent l'islam à la pointe de l'épée. Mais cela ne dure pas, et ensuite on n'a aucune trace de violence d'Etat généralisée. L'apostasie est en théorie punie de mort mais c'est rarement appliqué.
C'est en forgeant qu'on devient... forgeronne ! Eh oui, au Moyen Âge, on rencontre des femmes forgeronnes dans les sources : pas dans la fiction, dans la vraie vie. Des femmes qui travaillent le fer et le feu, fabriquant armes et outils...
Un thread ⬇️!
Ces forgeronnes sont peu nombreuses. C'est logique. Les sources médiévales s'intéressent le plus souvent aux hommes, aux chefs de famille, et par ailleurs les femmes sont exclues des guildes ou corporations, et donc des sources de ces institutions.
Mais on en croise de temps en temps ! Ainsi de cette "Alice la Haubergière", c'est-à-dire littéralement "la fabricante de hauberts", active dans les années 1300-1310 à Cheapside (Angleterre), ou de "Eustacha l'Armurière", active en 1348.
Y a-t-il un "techno-féodalisme" ? Cette comparaison est très présente en ce moment...
Petit fil pour montrer 1/ pourquoi le concept est peu pertinent scientifiquement et 2/ pourquoi cette comparaison s'inscrit dans une histoire longue du médiévalisme ⬇️
L’hypothèse du "techno-féodalisme" : l'économie numérique a régressé vers des sites privés, qui seraient en fait de nouveaux « fiefs », dirigés de manière autoritaire par des patrons (= les nouveaux seigneurs), imposant leurs outils aux usagers (= les nouveaux serfs).
Selon ces deux auteurs en particulier, cette nouvelle économie serait "féodale" car articulée autour de la recherche d'un monopole et d'une rente, et pas du profit. Les techno-seigneurs (= Musk) toucheraient une rente, tout en se déconnectant du système de production.