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Oct 24, 2024 136 tweets 19 min read Read on X
Bonjour ! On débute la 36e journée d’audience au procès des viols de #Mazan consacrée aux interrogatoires des six accusés de la semaine. Comme hier, il y a beaucoup de public devant le tribunal d’Avignon. LT à suivre pour @franceinfo Image
"Ce qui intéresse la cour, c'est la nature des faits, pas la durée des faits. Quelle que soit la durée, au cours de ces différentes phases, avez-vous pu, à un moment ou à un autre, recueillir le moindre consentement de madame Pelicot ?", le questionne le président.
"Non", reconnaît l'accusé. "Bon. Est-ce qu'elle était en état de consentir à quoi que ce soit ?", poursuit le président. "Je m'aperçois que non !", lance l'homme. "D'accord, ben voilà, je n'ai pas d'autres questions à vous poser", conclut le président.
Patrice N. affirme avoir demandé à Dominique Pelicot : "tu fais ça souvent ?". L'intéressé aurait acquiescé et lui aurait déclaré qu'"il l'emmenait sur des aires d'autoroutes pour la faire baiser par des routiers".
"Je l'ai traité de malade", assure Patrice N. "Quand vous le traitez de malade, quelle est sa réaction ?", demande une assesseuse. "Je sais pas, je suis parti de suite", répond-il.
"Donc vous laissez cette dame livrée à ce sort là ? Vous ne faites rien pour elle ?", demande une autre assesseuse. "J'avais pas envie de perdre mon temps au commissariat", explique l'accusé. Les avocats de la partie civile s'agacent, Gisèle Pelicot aussi.
"Attendez", demande son avocate. Patrice N. précise : "qui je suis pour qu'on me croit ? Personne ne m'aurait cru. J'ai une entreprise, j'ai des salariés, le lendemain j'ai repris mon travail. Moi, électricien du Vaucluse, je pense qu'on ne m'aurait même pas cru".
"On ne le saura pas, mais on aurait pu le savoir", déplore l'assesseuse.
"Madame Pelicot derrière moi a du mal à ne pas se raidir en entendant ça", souligne Stéphane Babonneau. L'avocat lit ce qu'il avait répondu en garde à vue, sur le fait d'aller dénoncer les faits : "je n'ai pas trouvé ça opportun, j'ai pensé que ce n'était pas à moi de le faire".
"Est-ce que vous n'avez pas eu envie de le faire parce que, finalement, vous avez commis un viol ?", lui demande Stéphane Babonneau. "Pas du tout", assure Patrice N.
"Tout le monde va voir la scène de pénétration buccale. Vous n'aviez pas conscience que vous commettiez un viol ?", insiste l'avocat. "Bien sûr je trouve ça dégueulasse, tout ce que vous voulez. Mais je suis toujours resté sur le jeu. J'ai pas eu ce déclic", affirme-t-il.
"Vous n'êtes pas un perdreau de l'année. Vous me donnez l'impression d'être presque surpris de vous retrouver dans cette salle d'audience, je perçois une forme de dissociation", observe Antoine Camus, l'autre avocat de Gisèle Pelicot.
"Vous avez pris une substance quelconque avant d'y être ? Vous étiez sous hypnose ? Vous avez eu besoin d'être filmé pour réaliser ce qu'il se passe ?", poursuit l'avocat.
"Je n'ai pas pris conscience, oui, je suis un abruti, un con", estime Patrice N.
L'avocate générale revient, point par point, sur ses déclarations. "Dans mon esprit, elle va se réveiller après les actes", assure-t-il. "Mais il faut commencer avant qu'elle se réveille", note la magistrate. "Je me suis dit ça va venir après, je n'ai pas percuté", explique-t-il.
"Mais faut avoir envie de le faire ce cunilingus quand même", souligne-t-elle. "Oui je l'ai fait, j'étais en confiance, j'ai pas réagi", dit Patrice N. "Si vous êtes là, c'est pas parce que vous n'avez pas réagi, c'est parce que vous avez agi", tranche l'avocate générale.
Deux vidéos sont projetées. Sur la première, Patrice N. impose une fellation à Gisèle Pelicot, qui ronfle bruyamment. Sur la seconde, on observe une pénétration vaginale filmée de très près. Les deux hommes chuchotent. "Doucement", glisse Dominique Pelicot.
"Est-ce que ce sont des scènes de viol, est-ce que vous commettez un viol ?", demande Stéphane Babonneau. "C'est sûr que quand on voit ça... Mais au moment des faits, je n'en n'avais pas conscience", assure l'accusé.
L'avocat insiste. "Oui, ce sont des scènes de viol, on peut se rendre à l'évidence, oui !", lâche finalement Patrice N.
"Qu'est-ce que vous demandez à la cour criminelle ? A ne pas être déclaré coupable ?", poursuit Stéphane Babonneau. "Ah non, et honnêtement, j'attends de ce processus pour les jeunes... C'est des choses que je dis à mon fils, au fils de mes amis : 'faites attention'", répond-il.
Il poursuit : "je m'en veux tous les jours, c'est pas facile à vivre, c'est difficile d'avoir l'impression qu'on est regardé en permanence. J'aurais préféré planter ma voiture dans un arbre que me retrouver dans cette chambre".
"Vous dites : 'faut parler aux jeunes', comme si vous pensiez que tout le monde peut se retrouver dans cette situation", rétorque Stéphane Babonneau.
"Il faut les mettre en alerte… Mon fils, j'arrête pas de lui rabâcher. Avant, j'avais peut-être pas conscience de tout ça, on en parlait pas trop de la soumission chimique. Ca servirait à quoi ce qui m'est arrivé, si on en parle pas aux autres ?", estime Patrice N.
"Ce qui VOUS est arrivé", relève Stéphane Babonneau, en le citant.
Dominique Pelicot prend la parole. "J'aurais pas l'indécence de faire ma morale aux jeunes. Il parle d'un café qui n'a jamais existé. Je n'ai jamais offert quoi que ce soit à qui que ce soit. J'aurais rien d'autre à ajouter : ce qu'il a dit suffit", déroule-t-il d'un ton morne.
Stéphane Babonneau interroge Dominique Pelicot sur les circonstances dans lesquelles il a violé son ex-épouse dans leur voiture, précisant que plusieurs photos ont été retrouvées où "elle apparaît droguée, dénudée, et subissant des actes sexuels" de sa part.
"C'était en revenant de l'Ile-de-Ré. J'étais seul : aucune autre personne n'a participé à cela", assure le septuagénaire assis dans son box, niant donc le fait d'avoir livré son épouse à des routiers.
"Vous abusez d'elle, seul dans votre voiture, aux yeux de tous, vous de vous cachiez plus", souligne l'avocat. "Maître, si je peux me permettre, vous y allez un peu fort. Aux yeux de tous, non", nuance Dominique Pelicot.
"Vous êtes dans votre véhicule, en plein jour, au vu et au su de tout le monde", relève Stéphane Babonneau. "On était à l'arrêt, sur une aire d'autoroute", insiste l'accusé de 71 ans.
Béatrice Zavarro, l'avocate de Dominique Pelicot, questionne Patrice N., relevant que l'expert psychiatre a fait état d'un "éclat de rire" quand il répondait à une de ses questions.
Plusieurs avocats de la défense, assis sur les bancs dans la salle, s'agacent. "Vous êtes sur des questions d'expression, de forme, la cour s'attachera plutôt au fond", déclare le président à Me Zavarro.
Mais l'avocate ne lâche pas et poursuit. "Quand le docteur Amic prend soin d'écrire dans son rapport : 'éclat de rire'. Je me pose la question : pourquoi être remonté aujourd'hui ? Alors qu'après quelques mois en détention, la configuration n'était pas la même", observe-t-elle.
"J'essaye de faire voir que je suis quelqu'un de fort, que je ne suis pas affecté. Le docteur Amic me demande : 'vous faites quoi comme métier ?' Je dis : 'je suis électricien, je peux vous donner ma carte si vous voulez'", relate Patrice N., pour donner du contexte sur ce rire.
L'avocate de Patrice N. le questionne, lui demande de repréciser le moment où il dit avoir compris que Dominique Pelicot droguait son épouse.
"Je lui dis : 'ta femme a l'air de bien dormir'. Il me dit : 'je lui file des cachets'. J'ai fait le tour du lit. Ça a duré 30 secondes, une minute. Je me dis : 'qu'est-ce qu'il vient de me dire ?' Et je me dis : 'bon, je vais y aller'", raconte Patrice N.
L'audience est suspendue, le temps de la pause déjeuner. Elle reprendra à 14h, avec d'autres interrogatoires.
Gisèle #Pelicot sort de la salle d’audience, sous les applaudissements nourris du public, comme chaque jour.
L'audience a repris. On procède au troisième interrogatoire de la journée : celui d'Abdelali D., 47 ans. Il comparaît libre, mais répond aux questions assis à la barre, car il peine à marcher et à tenir debout à cause d'un AVC.
Il est accusé d'être venu deux fois au domicile des Pelicot : en janvier et en mars 2018.
Dès les premiers échanges entre lui et Dominique Pelicot, Abdelali D. dit avoir su que la victime serait sous somnifères. C'est l'un des rares accusés à déclarer cela.
"Vous espériez que vous auriez pu avoir une relation échangiste ?", lui demande le président. "Oui", répond l'accusé. "Avec madame Pelicot réveillée ?", poursuit le magistrat. "Oui", dit l'homme.
Abdelali D. avait rencontré Dominique Pelicot quelques jours avant, en lui donnant rendez-vous chez celle qui est désormais son ex-compagne, "pour le voir physiquement".
"On sait que vous avez participé à une rencontre avec un couple : trois hommes et une femme. C'était avant ou après les faits ?", lui demande le président. "Il me semble que c'était avant", avance-t-il.
"La première fois, je n'avais pas de préservatif sur moi dont il n'y a pas eu de pénétration, car je n'avais pas de protection", assure Abdelali D. Le président note qu'il y a eu des pénétrations digitales. L'accusé acquiesce. "Il me semble oui", reconnaît-il.
Le premier rendez-vous a eu lieu dans la nuit du 1er au 2 janvier 2018. Le deuxième dans la nuit du 6 au 7 mars 2018.
La deuxième fois, les enquêteurs ont observé sur les vidéos des pénétrations péniennes du vagin de la victime par l'accusé, ainsi que plusieurs pénétrations digitales.
"Vous aviez l'espoir qu'elle se réveille ?", demande le président. "On ne peut pas savoir. Moi j'en prends (des somnifères) et je peux me réveiller", précise Abdelali D.
"Mais vous en prenez dans des doses normales, là, on sait que les doses n'étaient pas normales : elles étaient majorées", souligne le président. "Effectivement", reconnaît l'accusé.
"Est-ce que monsieur Pelicot vous avait précisé qu'il chargeait la dose ?", poursuit Roger Arata. "Oui, il m'a dit qu'elle n'allait pas se réveiller", rétorque-t-il.
A plusieurs reprises, Abdelali D. tente de pénétrer la victime avec son sexe mais n'y parvient pas, en l'absence d'érection. Dominique Pelicot insiste lourdement. "Prends-la, tu risques rien je te dis", lui dit-il.
"On prévoit ça demain si tu veux, je vais en prévoir des capotes", lui répond Abdelali D., qui semble gêné par le fait de ne pas avoir de préservatif. "Demain, elle boira pas, c'est ce soir ou jamais", rétorque Dominique Pelicot.
"Je peux pas, je suis désolé vraiment", s'excuse Abdelali D. Ils évoquent ensuite la taille des préservatifs de Dominique Pelicot, qui étaient trop petits. Ce dernier insiste à nouveau : "frotte encore", dit-il. "J'aimerais trop, j'aimerais trop", dit Abdelali D., en s'écartant.
Tout ça est retranscrit dans le procès-verbal par les policiers. Le président en effectue la lecture, qui dure depuis plusieurs longues minutes.
On passe à la deuxième venue de l'accusé, qui a cette fois pénétré la victime avec son sexe. Les ronflements de celle-ci "sont perceptibles", écrivent les enquêteurs.
"Vous reconnaissez être l'auteur d'un viol ?", demande le président. "A ce stade oui", reconnaît-il, penaud. "Deux viols même, à plusieurs dates", précise le président. "On est d'accord ?", demande-t-il. "Oui", répond l'accusé.
"Vous avez reconnu les faits de viol, ce qui permet d'avoir avec vous une discussion qui peut être différente de celles que nous avons eu un certain nombre de fois, sur le banc des accusés", relève Stéphane Babonneau.
"Qu'est-ce qui vous a amené dans la proposition que monsieur Pelicot vous a faite, à avoir envie de saisir cette possibilité ? Vous saviez qu'elle serait inconsciente, pas consentante, et pourtant vous êtes venu", observe l'avocat de la partie civile.
"En fait le dilemme pour moi il est là : même maintenant, je ne sais pas pourquoi j'y suis allé. Ce n'est pas un contexte que j'ai l'habitude de faire, je ne sais même pas pourquoi j'y suis allé. Je n'ai pas de réponse à vous donner", déclare Abdelali D.
"Vous ne savez pas ce qui vous a attiré dans ces relations sexuelles avec une femme endormie, après toutes ces années ? Pourquoi cette expérience vous semblait quelque chose de désirable ?", insiste l'avocat.
"Oui tout à fait, je ne sais pas", répond l'accusé.
"Est-ce que dans vos fantasmes sexuels, il y a une attirance pour les corps de femmes endormies ?", lui demande l'avocate générale. "Non pas du tout, clairement pas", se défend-il.
Dominique Pelicot est invité à s'exprimer. Pour la première fois, il va totalement dans le sens d'un de ses coaccusés. "Je suis un peu désolé de le voir dans cet état", déclare-t-il d'abord, en référence aux conséquences de l'AVC pour Abdelali D.
"C'est un des premiers qui reconnaît la vérité. L'ensemble est vrai. J'ai effectivement émis le désir qu'il ne porte pas de préservatif, c'est lui qui a été plus raisonnable que moi", détaille Dominique Pelicot.
"Je ne suis pas votre conseil, mais je voulais vous poser une question, sur 'à son insu'. Vous n'avez jamais précisément dit que vous êtes allé sur ce salon là : vous confirmez ?", lui demande Guillaume de Palma, qui représente plusieurs accusés.
"Oui, je n'y suis jamais allé", répond l'homme.
On passe au quatrième interrogatoire : celui de Jean-Luc L., 46 ans, qui comparaît détenu. Il est accusé d'être allé deux fois à Mazan : en février 2018 et en mars 2019.
Comme son prédécesseur, il reconnaît les faits.
"Vous reconnaissez les faits et la notion de non consentement de madame Pelicot, c'est bien ça ?", demande le président. "Oui", répond Jean-Luc L.
En arrivant, la première fois, il dit être arrivé par le garage, s'être déshabillé. "Je me suis mis tout nu, j'ai sorti de ma poche le préservatif, je l'ai laissé sur la machine à laver. Il m'a dit 'non'. Je l'ai laissé", développe Jean-Luc L.
"Vous n'avez pas eu peur d'attraper des maladies ou en donner ?", lui demande Roger Arata. "Je sais pas, j'ai pas pensé", répond-il dans le box.
Il reconnaît avoir touché le corps de la victime en premier, sous les "ordres" de Dominique Pelicot. "Il vous demande de la pénétrer ?", lui demande le président. "Oui". "A quel endroit ?" "La bouche et le vagin".
"Qu'est-ce que vous ressentez ?", poursuit le président.
"J'ai mis le pied dans la chambre, même s'il fait chaud, je ne suis pas à l'aise, j'ai beaucoup de froid. Il a vu que je suis pas à l'aise, il a dit : 'tranquille, tu peux la caresser, pas de problème'", relate Jean-Luc L.
"Qu'est-ce que vous ressentez quand vous allez toucher un corps qui ne réagit pas ?", l'interroge le président. "Je ne sais pas ce que je fais là", rétorque-t-il, estimant que ces premiers faits de viols ont duré "20 minutes, 30 minutes, maxi".
Il assure que c'est Dominique Pelicot qui l'a recontacté pour un deuxième rendez-vous. "Vous aviez l'intention de revenir ?", l'interroge le président. "Pas du tout non, il a insisté plusieurs fois", explique Jean-Luc L.
"Vous y retournez", constate Roger Arata. "Par peur oui", déclare l'accusé. "Peur de quoi exactement ?", demande le président. "J'ai reçu des photos et vidéos de moi, ma femme est tombée dessus. On s'est disputés. J'avais peur qu'il poste sur internet ou sur les réseaux", dit-il.
"C'était une forme de chantage ?", lui demande le président. "Chantage, je ne sais pas, mais c'est la peur que j'ai", répond Jean-Luc L.
Le président procède à la lecture des procès-verbaux de description des vidéos, établis par les enquêteurs. L'accusé était surnommé "Jean-Lucasiat " par Dominique Pelicot, dans les titres de photos et vidéos.
"Dans les deux cas, il y a des scènes de pénétrations péniennes dans le vagin et des pénétrations digitales", relève le président. "Est-ce qu'il y a eu des pénétrations buccales ?" demande le président, précisant qu'on n'en voit pas dans les vidéos. Il dit que oui, les deux fois.
Une assesseuse fait état d'une vidéo, envoyée par Dominique Pelicot à Jean-Luc L., six mois après les deuxièmes faits. Il s'agit d'une vidéo des faits. Elle cite le message : "quand tu viendras, je veux que tu la sodomises avec ta petite queue", écrit le septuagénaire.
Jean-Luc L. explique que son épouse est tombée sur une photo de lui, en train de violer Gisèle Pelicot, après la première fois qu'il s'est rendu à Mazan. "J'ai failli la perdre", relate-t-il.
L'assesseuse fait état de 67 communications entre lui et Dominique Pelicot, du 10 janvier 2020 au 3 octobre 2020. "Il m'a proposé de revenir", explique-t-il (Jean-Luc L. y était allé en février 2018 et mars 2019).
"Il voulait essayer de faire la même chose sur ma femme, j'ai dit oui pour faire plaisir, mais je l'ai pas fait", explique Jean-Luc L. "Il a été très insistant ?", lui demande l'assesseuse. "Oui, il insistait beaucoup", répond-il.
Il affirme par ailleurs que Dominique Pelicot l'a appelé en visio, en filmant Gisèle Pelicot en direct, "en train de faire la cuisine, en petite tenue", relate Jean-Luc L.
Stéphane Babonneau note qu'il a reconnu les faits de viols dès la garde à vue, mais observe qu'il a déclaré aux policiers : "au moment des faits, je pensais que ce n'était pas interdit, ni puni par la loi".
"Est-ce que vraiment vous pensiez que parce que monsieur Pelicot vous dit que vous pouvez le faire, ce n'était pas interdit, ou vous ne saviez pas comment vous justifier ?", lui demande l'avocat.
"Je ne sais pas quoi dire", répond l'accusé. Stéphane Babonneau repose la question, en reformulant. "J'ai su que c'était interdit, car je n'ai pas eu l'accord de madame", rétorque Jean-Luc L.
"Quand vous commettez ces actes la première fois, vous ne vous rendez pas compte que c'est un viol ?", insiste Stéphane Babonneau. "Si, si", répond-il, sans que l'on soit sûr qu'il a bien compris la question.
"Ca fait un long moment que vous êtes en détention et il y a encore beaucoup de questions auxquelles vous n'arrivez pas à répondre", constate l'avocate générale. "J'ai du mal à parler, du mal à exprimer, je ne connais pas les mots", explique Jean-Luc L.
"Ce serait plus une difficulté à expliquer qu'une difficulté de réflexion ?", lui demande la magistrate. "Oui", répond l'intéressé. "C'est un peu le moment ou jamais si on veut comprendre ce qu'il s'est passé", souligne-t-elle.
Interrogé à son tour, Dominique Pelicot confirme avoir envoyé une vidéo des faits à Jean-Luc L. "Vous vouliez le faire revenir ?", lui demande une assesseuse. Le septuagénaire acquiesce.
"Vous confirmez que vous avez proposé de faire la même chose avec son épouse ?", lui demande-t-elle. Dominique Pelicot reconnaît que oui. "Il a hésité, réfléchi, pour finalement dire non", précise-t-il.
"C'était quoi qui était prévu ?", demande l'assesseuse. "Que j'aille chez lui : mais il y avait un problème, je ne sais pas si c'était le fait qu'il y avait des enfants ou autre...", avance Dominique Pelicot. "Oui, il y avait quatre enfants, effectivement", note l'assesseuse.
Dominique Pelicot se souvient par ailleurs qu'il a essayé de le prévenir, après son arrestation en septembre 2020, quand il avait été surprise en train de filmer sous les jupes de femmes dans un supermarché.
L'assesseuse lui demande de préciser. "Je ne me souviens pas si je lui laisse un message ou si je l'ai en ligne", indique-t-il. Elle relève que "trois personnes ont eu la chance" d'être prévenues par Dominique Pelicot : Joan K., Jérôme V. et Jean-Luc L. donc.
"Pourquoi ces trois personnes ?", demande-t-elle. "Je n'ai pas d'explication, peut-être par rapport à d'autres, qui ont manifesté de l'agressivité ou qui ont fait du chantage", explique le septuagénaire.
L'avocate générale revient sur sa proposition de faire la même chose à l'épouse de Jean-Luc L., proposition qu'il avait formulé à d'autres accusés.
"On sort du cadre de votre domicile, quand on parle d'actes commis à l'encontre de personnes que vous ne connaissez absolument pas. L'idée est venue progressivement ? Est-ce que ça été aussi pour vous un moyen de chercher une autre forme d'excitation ?", lui demande-t-elle.
"C'est venu progressivement dans les échanges", explique-t-il, "peut-être par curiosité, par vice aussi. Je ne m'explique pas ça autrement. Ca fait partie de ce que j'essaye d'effacer en moi", poursuit l'homme de 71 ans.
"On serait dans le cadre d'une prise de risque supplémentaire… Habituellement, vous voulez contrôler ce qu'il se passe, à travers les consignes que vous donnez, mais les rendez-vous chez d'autres personnes, c'est ne pas avoir le contrôle", observe la magistrate.
"C'est beaucoup plus risqué oui. J'y pense oui, mais pas
tant que ce n'est pas réalisé, ça fait partie des possibilités", répond Dominique Pelicot (ce n'est pas très clair).
L'audience est suspendue quelques instants.
L'audience a repris. On entend le cinquième interrogatoire de la journée : celui de Grégory S., 31 ans, qui comparaît libre, pour un série de faits remontant à juin 2017.
Le président lui demande s'il reconnaît les faits. "La matérialité oui, mais pas l'intention", déclare l'homme habillé tout en noir à la barre.
"Je lui ai demandé qu'est-ce qu'elle aimait, il m'a répondu qu'elle aimait bien faire l'amour une fois qu'elle était alcoolisée", relate l'accusé concernant son échange avec Dominique Pelicot.
"Il était question d'une forme de libertinage ?", demande le président. "Oui, pour moi c'était une relation libertine", assure-t-il.
"Vous supposez que madame Pelicot va être sous l'effet de l'alcool", note le président. "Oui, car quand j'arrive chez monsieur Pelicot, je rentre dans la chambre, et je lui dis : 'mais en fait, son état... Ca sert pas trop à grand chose'", relate-t-il.
"Il me dit : 'mais t'inquiète pas, c'est rien, juste on a bu un coup'", ajoute Grégory S.
Le président lui demande s'il a reçu les consignes que Dominique Pelicot donnait habituellement : ne pas porter de parfum, pas fumer. "Non, je suis arrivé et justement, j'étais en train de fumer un joint", répond-il.
"Pas de préservatif", reconnaît-il. "Il vous en parle ?", demande le président. "Non", affirme Grégory S. "Ca ne vient même pas dans la discussion ?", s'étonne le président. "Non non", répond l'homme.
"Vous ne vous interrogez pas de savoir pourquoi on vous demande de vous déshabiller à l'extérieur ?", poursuit Roger Arata. "Non, je suis chez lui, je l'écoute quoi", répond le trentenaire.
Il décrit son arrivée dans la chambre : "il y a la lumière et la télé qui est allumée. Sur la droite, il y a une bouteille d'alcool avec un verre, je me dis qu'ils ont fait l'apéro".
"Je la caresse, je crois que je lui mets les doigts", déclare Grégory S. "Vous la pénétrez digitalement", reprend le président. "Désolé pour mon langage, c'est surtout pour la victime que je dis ça", précise l'accusé.
"Vous utilisez vos mots, il n'y a pas de difficulté monsieur S.", rétorque le président. "Il me dit que je peux la pénétrer, mais j'ai la demi-molle, donc je me masturbe, pour essayer d'avoir une érection normale", détaille Grégory S.
"Après, il me dit que je peux la pénétrer, donc je le fais", ajoute-t-il, estimant que les actes sexuels ont duré "10/15 minutes".
Grégory S. souligne que les policiers sont venus "[le] chercher cinq ans après" les faits, et qu'il n'a donc pas de souvenirs précis de cette soirée. "Pour moi, c'était leur délire", explique-t-il.
Le président lui demande s'il a vu le visage de la victime. "Je crois que j'ai essayé de regarder, mais sans plus", répond-il. Roger Arata lui demande s'il a entendu ses ronflements (décrits par les policiers). "Non, avec le volume de la télé qu'était un peu fort, j'ai pas…".
Le président procède à la lecture du procès-verbal de description des vidéos concernant Grégory S. Dominique Pelicot insulte son épouse. Et il est fait état d'un "large sourire" du trentenaire. A la barre, celui-ci assure que c'était "un rire nerveux".
"Est-ce que vous vous interrogez sur la notion de consentement ?", demande le président. "Justement je pensais que si elle avait été alcoolisée, si elle avait vraiment voulu refuser, elle aurait pu me le dire. Mais j'ai appris par les enquêteurs qu'elle était sédatée", dit-il.
"Quand bien même elle aurait été ivre morte… Est-ce que ce n'est pas à peu près la même chose en terme de consentement ?", insiste le président. "Si, je pense que oui", répond-il.
Grégory S. se tourne vers Gisèle Pelicot : "franchement madame Pelicot je suis vraiment désolé, je sais que vous voulez pas l'entendre, mais faut que je vous le dise, votre mari m'a bien manipulé et je pense qu'il en a manipulé plusieurs ici". Gisèle Pelicot regarde ailleurs.
"Vous reconnaissez une responsabilité quelconque dans ce qui est arrivé à madame Pelicot ? Ou vous vous estimez uniquement comme l'instrument trompé ?", lui demande Antoine Camus. "Oui, je suis un instrument trompé : pour moi, il n'y avait pas viol", répond Grégory S.
"Pour bien comprendre ce que vous dites, ce que vous demandez à la cour, c'est de ne pas vous condamner ?", poursuit l'avocat de la partie civile. "Non je sais très bien l'impact que ça a, le jour où on m'a expliqué les faits, je ne pouvais pas nier", rétorque l'homme de 31 ans.
"Que vous ne soyez pas venus pour ça, pourquoi pas. Mais le sujet n'est pas là. C'est de savoir si vous l'avez fait ou pas. Et à ce stade, je ne comprends pas ce que vous me dites. Vous réalisez que vous avez commis un viol en garde à vue ?", insiste Antoine Camus.
"C'est la pression des enquêteurs, ce qu'ils me racontent. Ils me disent : vous êtes plus de 70 dans cette histoire. Je dis : 'c'est incroyable ce que vous me racontez'", rapporte Grégory S. "Oui mais ce n'est pas la masse qui fait le viol, c'est le vôtre", souligne l'avocat.
"Au final c'est quoi que vous avez fait ? De la nécrophilie sans le vouloir ?", lui demande Antoine Camus. L'accusé avait utilisé le terme de "nécrophilie" en audition face aux enquêteurs. "Vous restez dans cette pièce et vous allez éjaculer ?", poursuit l'avocat.
"Oui, parce que je suis sous la contrainte de monsieur Pelicot… Il n'est pas question d'être menacé, mais moi j'avais 24 ans, je faisais même pas 67 kilos", décrit Grégory S.
"Vous aviez peur ?", lui demande Antoine Camus. "Un peu…", répond l'homme. "La peur n'empêche pas d'éjaculer ?", demande l'avocat. "Non", dit l'accusé. "Donc vous éjaculez de peur", conclut Antoine Camus.
Une photo retrouvée sur le téléphone de Grégory S. est projetée : on voit une femme nue, elle semble avoir un certain âge. "C'est une femme avec qui j'avais des rapports", déclare-t-il.
Deux vidéos des faits sont projetées. La lumière est forte sur les deux, on entend la télévision en fond. Sur la première, Grégory S. sourit franchement. Il effectue des pénétrations digitales sur la victime qui ronfle, et se masturbe.
Sur la deuxième, qui dure au total cinq minutes (on visionne trois minutes), il effectue des pénétrations péniennes du vagin de la victime, qui fait des mouvements réflexes. Dominique Pelicot bouge les jambes de son épouse pour aider Grégory S.
L'intéressé ne regarde pas la vidéo. Les avocats de la défense sortent presque tous au moment de la diffusion, peut-être en signe de protestation.
"Vous maintenez que vous avez eu peur ?", lui demande Antoine Camus. "Oui", répond-il d'une petite voix, "mais j'ai pas regardé", précise l'accusé. "C'est dommage", estime l'avocat de Gisèle Pelicot.
"Je n'ai pas vu de bouteille d'alcool", relève l'avocate générale, alors que l'accusé a assuré en avoir vu une à l'entrée de la chambre. "C'est quand vous rentrez dans la pièce, à droite", assure-t-il.
Dominique Pelicot est invité à s'exprimer et assure que "cette bouteille est sur un meuble qui n'existe pas : à droite, il n'y a rien".
Son avocat, Philippe Kabore, lui demande quel était le pseudo de Dominique Pelicot sur le site Coco. C'était écrit "couple libre ou couple libertin", répond son client. "Vous pensiez parler à un couple, une femme, un homme ?", poursuit l'avocat. "Aux deux", dit-il.
L'audience est suspendue. Cinq interrogatoires ont été effectués : il en restera un, celui de Quentin H., qui aura lieu demain après-midi. Le matin, la cour entendra une experte psychologue sur un précédent groupe d'accusés. Merci à tous pour votre suivi de ce LT pour @franceinfo
@franceinfo Au passage : quelques photos de la fresque qui a été installée cet après-midi dans la salle des pas perdus, au tribunal d’Avignon. Image
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Bonjour à tous ! Aujourd'hui débute le procès-fleuve de l'ex-chirurgien Joël Le Scouarnec, jugé devant la cour criminelle du Morbihan, à Vannes, pendant plus de trois mois. C’est la plus importante affaire de pédocriminalité que la France ait connue. LT ici pour @franceinfo Image
A ce jour, 467 journalistes et dessinateurs de presse sont accrédités, représentant environ 110 médias dont 40 médias étrangers.
Aujourd'hui âgé de 74 ans, Joël Le Scouarnec est poursuivi pour des viols et agressions sexuelles aggravées sur 299 patients, la plupart mineurs au moment des faits. Ces actes auraient été perpétrés entre 1989 et 2014, dans des hôpitaux où il a exercé.
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Dec 20, 2024
200 Espagnoles sont rassemblées devant le tribunal d’Avignon. Elles ont fait la route depuis l’Espagne cette nuit, en car et en voiture, pour venir apporter leur soutien à Gisèle #Pelicot et à toutes les femmes victimes de violences sexuelles.
Elles viennent surtout de Catalogne, mais aussi de Madrid. Certaines arrivent même d’Estrémadure (à côté du Portugal) et de Majorque.
Dans la foule, beaucoup de panneaux "merci Gisèle" Image
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Dec 16, 2024
Bonjour à tous ! Lundi 16 décembre, dernière semaine du procès des viols de #Mazan On entend aujourd’hui les deniers mots des accusés. Puis la cour criminelle du Vaucluse partira délibérer, en théorie jusqu’à jeudi. LT à suivre pour @franceinfo Image
Le public est toujours au rendez-vous, les journalistes aussi. Une jacinthe a été accrochée aux grilles du tribunal, pour Gisèle Pelicot. Image
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Les accusés auront 15 minutes maximum pour s’exprimer, s’ils le souhaitent. Dominique Pelicot devrait parler en premier.
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Dec 10, 2024
Mardi 10 décembre au procès des viols de #Mazan. On continue à suivre les plaidoiries de la défense, au tribunal judiciaire d’Avignon. LT à suivre pour @franceinfo Image
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On entend la plaidoirie de Margot Cecchi pour Hugues M., 39 ans. Elle débute en se disant "abasourdie, triste, un peu en colère, surtout en colère" car le dossier de son client a, selon elle, "été emporté dans le dossier Pelicot".
"Je suis en colère de voir à quel point la justice s'affranchit de son courage face à l'ampleur de ce dossier qui a manifestement dépassé les membres de l'institution", poursuit-elle d'une voix calme.
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Nov 27, 2024
Bonjour à tous ! Mercredi 27 novembre, 52e jour d’audience au procès des viols de #Mazan On termine ce matin les réquisitions pour les derniers accusés. Puis on entendra cet après-midi la plaidoirie de Béatrice Zavarro, l’avocate de Dominique Pelicot. LT à suivre pour @franceinfo Image
Il reste quatre accusés pour lesquels les réquisitions doivent être prononcées.
L'audience est ouverte. On entame l'examen de Jérôme V., 46 ans, poursuivi pour être venu six fois à Mazan : en mars 2020, deux fois avril 2020, deux fois en mai 2020 et en juin 2020.
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Nov 26, 2024
Mardi 26 novembre, 51e jour d’audience au procès des viols de #Mazan On poursuit aujourd’hui les réquisitions pour les 30 accusés restant. LT à suivre pour @franceinfo Image
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Gisèle #Pelicot est arrivée, les caméras toujours braquées sur elle
L'audience est ouverte. On entame cette 2e journée de réquisitions fleuve avec Boris M., 37 ans. Il comparaît libre et est poursuivi, comme la grande majorité des accusés, pour "viols avec plusieurs circonstances aggravantes".
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