D'ailleurs, en parlant d'inculture économique abyssale, en réaction à un tweet "c'était bien mieux avant la tarification des trains du temps du glorieux service public d'avant sa sape par le méchant ultraliberalimse", un petit thread sur l'économie des réseaux, ça vous dirait ?
Le système ferroviaire commence à prendre l'eau de partout, l'Etat passant son temps à combler les déficit d'exploitation des compagnies privées. Les 27 compagnies de 1851 ne seront plus que 5 en 1937, dont une déjà rachetée par l'Etat. L'ultime fusion avant la SNCF sera PO/Midi.
Prolongement logique de l'interventionnisme de l'Etat dans le système ferroviaire, et souhaité par les compagnies, la création de la SNCF permet d'unifier (non sans douleur, car chaque réseau avait ses particularités d'exploitation) l'exploitation, et donc économies d'échelle
(Oui, c'était mieux avant le service public toussa, mais de sa création jusqu'en 1983, la SNCF a été… une société de droit privé. Avec des méchants actionnaires privés, progressivement dilués au fur et à mesure que l'Etat recapitalisait pour combler le déficit)
D'ailleurs, droit des sociétés oblige, les compagnies privées ont été régulièrement consultées lorsqu'il a fallu faire évoluer la convention d'origine, car bien que société de droit privé, la SNCF n'avait pas d'autonomie de gestion jusqu'en 1970.
Car cette autonomie de gestion devenait de + en + nécessaire au regard du déferlement de la concurrence d'autres modes de transport : la route, au départ sur le fret puis passager interurbain, puis l'automobile individuelle sur le longue distance, et enfin l'aérien
Car si la création de la SNCF a permis de dégager des économies d'échelle (notamment sur standardisation parc matériel), la situation financière est restée durablement plombée avec les très lourds dégâts de guerre 1939/1945 + report trafic vers d'autres modes de transport
Si bien qu'à la Libération, une nouvelle génération de dirigeants milite sur la nécessité de repenser les bases de la tarification du ferroviaire, reposant depuis plusieurs décennies sur le consensus partagé entre X-Ponts/Mines et usagers : tarif péréqué fonction de la distance
Car la convention d'origine de la SNCF (ok, le Front Populaire venait de céder les rênes du pouvoir quelques mois auparavant, au profit d'un cabinet de centre droit) repose sur le principe de l'équilibre des comptes. legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTE…
Sauf que dans la pratique, sans autonomie de gestion et avec un Etat actionnaire engagé (non sans raisons, il fallait reconstruire le pays et reconnecter l'industrie) dans une logique productiviste, l'équilibre restera un voeux pieux dont l'échéance sera sans cesse reportée
Si bien qu'il faudra attendre 1970 pour voir la SNCF acquérir enfin son autonomie de gestion, l'Etat étant peut être un très bon stratège mais un bien piètre gestionnaire / créateur de valeur (sans création de valeur, pas de redistribution).
Situation "légalisée" en 1971
Car en 1971, cela faisait pratiquement 25 ans que la nouvelle génération d'ingénieurs-économistes de la SNCF (dont un certain… Marcel Boiteux) imprégnés des idées qui vaudront un Nobel à Maurice Allais se cassaient les dents sur le conformisme des X-Ponts/Mines & politiques
Pendant longtemps ce terme d'ingénieurs-économistes a eu une connotation péjorative (un peu comme les avocats d'affaires, vous comprenez, en fricotant avec le grand capital, on perd en pureté), en clair ils savent pas concevoir des trains, on leur laisse faire des calculs
Car la situation au sortir 2nde Guerre Mondiale est franchement alarmante pour les comptes de la SNCF : un réseau à reconstruire, un parc moteur vieillissant et ultra-exposé au coût du charbon, la rente du fret qui s'évapore, le trafic voyageurs qui fait le yoyo dans l'année
Sur le fret, la tendance observée dans l'entre-2-guerres se confirme durablement, et contamine la très rentable longue distance. Rigidité horaires / tracés / tarifs condamnent le fret lorsque les camions s'emparent des marchés les + rentables à la Libération.
L'autre pilier de l'activité, le trafic voyageur, commence à subir la concurrence de la route sur là-aussi le segment lucratif de la longue distance, avec la disparition progressive des familles qui se reportent sur l'automobile individuelle. La clientèle n'est plus captive
Aux yeux d'une partie des hauts fonctionnaires de l'Etat, cette situation n'est pas tenable. Il faut certes favoriser le développement du ferroviaire, activité bénéfique à la nation, mais faut aussi résoudre le problème du financement de la SNCF, entreprise en déficit permanent
Et le tout avec un festival d'injonctions contradictoires de toute une caste de décideurs publics sincèrement convaincus de la nécessité de mettre le paquet sur le productivisme pour remettre le pays à flot.
Le graal y compris en ferroviaire est de produire + que l'année d'avant
Mais sans trop creuser le déficit. Donc en rationalisant l'utilisation réseau (en clair, fermer lignes secondaires) et matériel, baisser l'exposition au combustible (mais électrifier, ça douille), maximiser adhérence des roues sur le rail. Et faire mieux que les voisins.
Nouvel aparté : ce qui est fabuleux avec le ferroviaire, c'est qu'en surface plane, c'est un des modes de transports les + efficients : grosso modo, moins de 50N nécessaires pour balader 1 tonne. Grâce à ceci.
En clair, votre TGV qui file à 300 km/h repose sur… 1,3cm2 par roue
(et pour celles et ceux qui voudraient le détail des calculs, avec l'ensemble des configurations possibles, car en roulant y'a des phénomènes dynamiques qui peuvent réduire encore + la surface de contact) ⬇️
<3^1337pastel.hal.science/tel-01556205/f…
Sauf que la France toute glorieuse nation ferroviaire qu'elle est reste confrontée à une cruelle réalité géographique : elle est pas plane tout partout (les Suisses aussi ont le même problème vous me direz). Y'a des massifs à traverser. Ou contourner. Et ça, le train il aime pas
C'est bien pour cette raison qu'il y en a qui se disent que si on veut décarboner les transports en remettant le fret longue distance en ferroviaire faut construire des tunnels. Mais visiblement, des gens qui sont pour le climat sont en fait très très contre. Allez savoir.
C'est aussi pour cette raison que, de façon je vous l'accorde un peu contre intuitive c'est bien un truc de technocrates déconnectés des réalités des vrais gens, pour relier Bordeaux à Lyon en train, c'est + efficace de faire + de kms et passer par Paris qu'en ligne droite.
Car si on veut une vitesse moyenne qui cadre avec les attentes des usagers / clients / consommateurs qui en France ont été accoutumés à la grande vitesse (si bien que la vitesse classique est hélas perçue comme un truc de loser), le profil des lignes ne le permet juste pas.
Fin de l'aparté, retour aux enjeux de tarification au sortir de la 2eme Guerre Mondiale / début des 30 glorieuses & société de consommation / confort
Car au-delà du productivisme faut que cela se voit, que ça claque "l'Etat stratège agit pour le bien de tous". Répondre quoi qu'il en coute à la demande des voyageurs, en faisant circuler des trains + confortables, qui roulent + vite tout en étant + sûrs.
Et c'est là tout l'apport inestimable des ingénieurs ferroviaires : avec la bascule vers le trafic voyageurs, les préoccupation de sécurité sont devenues primordiales. Je ne sais pas si vous mesurez l'exploit, mais le train est devenu le mode le + sûr. Faites un tour sur la LGV N
Car avec le ferroviaire (comme sur la route d'ailleurs), + la vitesse augmente, + les distances de sécurité avec ceux de devant et derrière sont critiques, surtout si celui de devant ralenti et celui de derrière va + vite. 20 trains/h sur LGV, c'est 1 exploit
D'ailleurs, petit aparté sur la la LGV Nord : sa voie vient d'être entièrement renouvelée, sans interruption de trafic. De nuit, par chantier se déplaçant par section durant 10 ans.
Mais au seuil des années 50, toujours ce problème du déficit structurel de la SNCF, avec le fret qui s'est volatilisé, le trafic voyageurs qui fait le yoyo et les coûts qui s'envolent sans pouvoir lisser la demande avec cette foutue péréquation qui flingue le rendement social
Les ingénieurs-économistes (comme les surnommaient les X-Ponts/Mines canal historique qui ne voyaient pas l'intérêt d'aller étudier ailleurs que dans les écoles d'application) prônent alors l'abandon du totem de l'étalon kilométrique par le recours au cout marginal.
Dès 1947, Roger Hutter (camarade de promo X de Maurice Allais) et un certain Marcel Boiteux (élève puis assistant de Maurice Allais à l'école des Mines… avant de rentrer chez EDF en 1949 avec la carrière que l'on sait) préconisent de fonder les tarifs sur le coût marginal.
Plus exactement coût marginal de développement : en clair, cela signifie vendre un billet de train au coût de production d'une unité supplémentaire. Qui varie donc en fonction des relations desservies, saisons, horaires, taux d'occupation…
Un peu + complexe que l'étalon km
Et, surtout, pas super audible auprès tant des décideurs publics prisonniers du dogme égalité = tarifs pareils pour tout le monde que du grand public (service public = gratuit, ou au pire tarif plancher pour tous)
Pour les ingénieurs économistes de la SNCF, biberonnés à la théorie du rendement social qui vaudra le Nobel à Maurice Allais, le signal prix reflétant le cout de production vise à orienter de manière rationnelle l'utilisation d'une ressource rare et précieuse pour la nation.
En évitant ainsi les distorsions dans les choix des usagers d'un réseau (transport, mais aussi énergie, télécoms…) on écarte le spectre du gaspillage de ressources productives.
En transports, l'usager arbitre alors entre plusieurs modes en sélectionnant celui le + adapté (train / bus / automobile / avion) à ses besoins et valeur d'usage qu'il attribue au service
La tarification marginale défendue par les ingénieurs-économistes vise à optimiser la gestion économique de l'entreprise, y compris dans le cadre d'une mission de service public. Et épargner la charge pour les finances publiques, qui peuvent se reporter sur d'autres missions
Bien entendu, les idées pour le moins iconoclastes des ingénieurs-économistes seront fraichement accueillies.
La tonne-km est un totem transcendantal, un acquis social pour les usagers qu'on ne saurait remettre en cause. Et puis que diront nos ministres à nos concitoyens ?
Alors que les ingénieurs économistes allaisiens avancent que la dépéréquation est un instrument de responsabilisation des usagers et entreprises publiques dans un contexte de concurrence rail/route, les X-Ponts/Mines de la SNCF et les hauts fonctionnaires répondent service public
Et encore, une certaine conception du service public (qui est encore très prégnante dans le débat public, alors que le juge administratif rappelle que égalité ≠ traiter pareil des situations différentes) selon laquelle service public = égalité du prix de tous les kms
Qu'à cela ne tienne, nos ingénieurs économistes ne lâchent pas l'affaire. Marcel Boiteux ira décliner ses idées de tarification marginale chez EDF, avec le succès que l'on connait, permettant de diffuser la pensée marginaliste. larevuedelenergie.com/wp-content/upl…
Roger Hutter de son côté parvient à hacker l'aussi prestigieuse que très conservatrice Revue Générale des Chemins de Fer, la bible des X-Ponts/Mines qui cogèrent la SNCF.
Si bien qu'en dépit des conservatismes ambiant, la tarification marginale fait son chemin. A un train de sénateur.
Et finit par rejaillir dans le rapport Rueff/Armand (ce dernier DG puis Président de la SNCF de 49 à 58) vie-publique.fr/files/rapport/…
Mais faudra pratiquement 20 ans pour venir à bout des réticences des gardiens du temple de la tarification au km.
Si en 1971 la SNCF finit par obtenir son autonomie de gestion, y compris pour le choix des méthodes de tarifications, faudra attendre le service 1979 pour concrétiser
1979 est l'introduction du calendrier voyageurs SNCF bleu / blanc / rouge (le jumeau ferroviaire des tarifs bleu, jaune et vert déclinés par Marcel Boiteux chez EDF)
L'alternance politique de 1981 ne remettra nullement en cause le passage à la tarification marginale, ni l'objectif d'équilibre de la SNCF devenue en 1983 à l'expiration de la convention de 1937 un établissement public.
Entre-temps, la machine infernale (pour l'équilibre économique du système ferroviaire français, car techniquement le truc est au ferroviaire ce que le Concorde est à l'aérien) du TGV se met en place.
(Oui, y'a @reesmarc sur la photo <3)
Construire de nouvelles lignes, au profil particulier (encore cette sensibilité à la pente, et si en plus faut les rendre aptes à la grande vitesse…) c'est pas donné. Et entretenir l'existant, pas évident.
Du coup, on va pousser le curseur de la tarification marginale
L'inauguration du TGV en 1982 apporte une évolution dans la tarification, en intégrant un surcout "grande vitesse" par rapport aux tarifs classiques (via l'astuce de la réservation).
Sans oublier que la LGV Paris-Lyon est plus courte que la ligne classique Paris - Dijon - Lyon.
Entre temps, la révolution des colonels (comme les X-Mines/Ponts ont qualifié l'arrivée à l'état-major de la SNCF des ingénieurs-économistes) a débouché sur l'arrivée d'un directeur commercial voyageurs non polytechnicien mais pire, issu de l'aérien ! historail.fr/materiel/les-v…
Pour être exact, bien que reposant sur les travaux Hutter / Boiteux, le calendrier voyageurs tricolore de la SNCF mis en place à partir de 1979 est la transposition du calendrier tarifaire mis en place par les chemins de fer canadiens en 1964
Cette nouvelle politique des prix de la SNCF au tournant des années 80 (entre-temps l'aérien fait *5 sur les liaisons nationales) consacre le changement de référentiel de justice économique, fondé sur les coûts d’exploitation, même si on n'y est pas encore totalement.
Il est profondément erroné de réduire cette nouvelle politique tarifaire à un objectif purement mercantile à l'opposé des valeurs portées par le service public. Cela a permis de rendre le train + abordable si tant est qu'on acceptait de voyager en dehors des périodes de pointe.
Cela a permis de rendre plus accessibles les formules de réductions tarifaires (abonnements, cartes jeunes…), auparavant délivrées avec parcimonie (pour ne pas dire piston), et qui ont durablement marqué l'imaginaire collectif jusqu'à encore aujourd'hui.
Et de son côté, le TGV par sa contribution à redéfinir le rapport au temps, permet de préparer le terrain à l'abandon définitif de l'étalon kilométrique, en renforçant la valeur d'usage… laquelle finira par tuner la tarification marginale en yield management avec le TGV Nord.
Car si le calendrier tricolore a permis de dégager de nouvelles recettes supplémentaires et flécher de nouveaux usagers vers le ferroviaire, il reste des effets de bord générant de l'incompréhension / insatisfaction clients / pertes de recettes
Les périodes tarifaires sont fixées annuellement et s'appliquent de manière uniforme à l'ensemble du réseau, sans tenir compte des particularités propres à chaque liaison : Lille / Lyon n'est pas autant fréquenté un vendredi soir qu'un Paris / Lyon
De même, cette rigidité annuelle (une fois que le calendrier est fixé, on y touche plus, contrairement aux tarifs EJP EDF qui sont dynamiques pour coller au + près aux aléas de consommation) fait que l'aléa météo (influant sur billets d'impulsion) n'est pas pris en compte.
Si bien qu'on se retrouve avec des trains vides (et donc à coûts non couverts) en jours rouges par temps pourri, et à l'inverse saturés (et usagers furibards car feignasses de fonctionnaires incapables de faire face à la demande moijeprivatiseraiça) en jours bleu à temps de rêve
De son côté, le fort succès du TGV orange (Paris Lyon) reposant sur la maximisation de la valeur d'usage du facteur temps ainsi que quelques astuces indolores et peu visibles permet de jeter les bases de la tarification différenciée qui ne s'appelle pas encore yield management.
Car si la SNCF présente le TGV comme une contribution au progrès sans renier les valeurs d'universalité du service public, avec un tarif de base identique à la liaison classique passant par Dijon… c'est oublier que la LGV Paris Lyon est + courte de pratiquement 100 kms.
En outre, la réservation de la place est désormais obligatoire, comme pour l'aérien. Un peu plus d'1 € par trajet. Permettant de connaitre en temps réel le taux de remplissage.
Et la modulation horaire joue à plein régime aux heures de pointe, avec une majoration de 20%.
Le TGV étant amené à rouler ailleurs que sur des lignes grande vitesse, avec des prolongements en voies classiques sur les liaisons concurrencées par l'aérien, on introduit alors une dégressivité (En clair, ramené à la distance, un Paris Marseille coute moins qu'un Paris Lyon)
La communication de la SNCF sur le TGV met en avant le fait que le tarif de base est le même que celui des trains classiques. Ici lors de l'achèvement de la LGV Paris-Lyon en 1983
En parallèle, avec l'arrivée du TGV Atlantique, la SNCF lance le programme Joker, permettant d'obtenir des billets à prix réduits, au départ pour remplir les trains moins fréquentés, mais valables aussi sur les trains très fréquentés moyennant achat et paiement à l'avance.
Le TGV Atlantique lancé, se profile le 3eme projet, celui du TGV Nord / Europe, ainsi que l'interconnexion des 3 réseaux TGV permettant d'envisager des liaisons transversales à grande vitesse. L'occasion de valoriser encore + le facteur temps du TGV au regard des investissements.
Convaincue que le ferroviaire ne sera pas épargné par l'ouverture à la concurrence des réseaux prônée par 🇪🇺 (télécoms, énergie…), et que l'aérien va se démocratiser encore + avec le programme A320 Airbus, la branche commerciale SNCF réfléchit à un bigbang tarifaire
Elle monte pour cela un groupe de travail détonnant avec les pratiques d'une maison au fonctionnement poussant la bureaucratie à son paroxysme. Le truc n'apparait pas dans l'organigramme. Et pour cause. Y'a certes des X, mais pas que. Des Centraliens, la mode est à l'ouverture.
Y'a aussi, horreur, malheur, des gens issus… d'écoles de commerce. Des saltimbanques vendeurs de limonade. Qui en plus n'ont aucune expérience du public. Qu'est ce que le privé il y connait à l'intérêt général ?
Le groupe bosse dur. En allant voir ce qui se pratique ailleurs (traditionnellement, les missions et voyages d'études aux Etats-Unis, Canada, Suède, Allemagne et Japon sont très ancrés dans les habitudes SNCF). En dégageant 3 options.
Option 1 : on pousse encore + le curseur de la tarification marginale en prenant en compte + de variables
Option 2 : tarification à prix de marché
Option 3 : tarification différenciée dynamique (aka yield management)
C'est la 3eme option qui l'emporte, après un voyage d'étude chez la compagnie aérienne Delta.
Car toutes proportions gardées, le système 🇺🇸 sur l'aérien d'avant la libéralisation par l'administration Reagan était très similaire à celui du ferroviaire 🇫🇷d'avant la SNCF, mélange exploitation privée sur base monopole concédé par un état de + en + interventionniste.
La libéralisation de l'aérien 🇺🇸 débouche sur un appel d'air permettant l'entrée sur le marché de nouvelles compagnies à structure + légère et fonctionnement - bureaucratique, et donc tarifs plus abordables. Les compagnies historiques répliquent alors par une guerre des prix.
Sauf que si les avions se retrouvent mieux remplis avec une clientèle loisirs, les compagnies historiques continuent de perdre de l'argent. Et loupent des recettes de la clientèle affaires ne pouvant plus prendre des billets au dernier moment car les avions sont déjà pleins
Or cette clientèle particulièrement rentable est justement disposée à payer un prix supérieur au tarif de marché, facteur temps primant sur tout
A l'heure de l'informatique et retour d'expérience sur la sensibilité aux prix, Delta se dit qu'il faut repenser la fixation des prix
Car jusqu'alors, l'usage en vigueur chez les compagnies, et encore + dans un contexte de guerre tarifaire à outrance, c'était que la fixation du prix était au jour le jour mais… basé sur le flair du chef des prix (au mieux un panier de plusieurs estimations).
Delta investit alors plusieurs millions $ pour un système informatique destiné à fixer en temps réel et de façon différenciée en fonction remplissage & sensibilité au prix des acheteurs le prix des billets. Bingo dès la 1re année. Le truc permet d'engranger 300 millions $ en +
Les autres compagnies adoptent à leur tour cette nouvelle méthode de fixation des prix, appelée initialement revenue management, et qui évoluera avec l'automatisation par algo développée par American Airlines en yield management.
Et c'est justement à la porte d'American Airlines que viendra frapper le groupe de travail qui n'apparait dans aucun organigramme de la direction commerciale de la SNCF. American se dit que tout ce qui peut embêter Air France mérite attention. Et accepte de vendre sa solution.
Qui deviendra Socrate, pour Système Offrant à la Clientèle des Réservations d’Affaires et de Tourisme en Europe. Oui, faut qu'on vous dise, y'a une mineure Acronymes à l'X.
Socrate s'appuyant sur 2 logiciels maison de la SNCF, Thalès qui optimise l'allocation des places via le recours à Aristote, outil d'archivage et d'analyse des informations sur les trafics passés. Manquait plus que Pythagore
Le Directeur Grandes Lignes de la SNCF qui pousse Socrate a pour lui d'être un X-Ponts. Ca permet en tout cas, à défaut de franc enthousiasme de l'état major, de ne pas avoir un tir de barage, le DG et 3 des 4 DGA de la SNCF de l'époque étant X-Ponts eux-aussi.
Après quelques tests, qui vaudront quelques recours au Conseil d'Etat, ce dernier prenant un malin plaisir à rappeler aux requérants que ce ne sont que des tests, mesures préparatoires, toussa, le lancement TGV Nord Europe fournit l'occasion de basculer conseil-etat.fr/fr/arianeweb/C…
Et anticipant un probable contentieux + massif, le gouvernement sollicite alors en 1993 l'avis du Conseil d'Etat sur le yield management, pour savoir si c'est compatible, tant avec les principes du service public qu'avec le cahier des charges SNCF. conseil-etat.fr/jadefile/avisa…
Sur le fond, le Conseil d'Etat estime que cette rupture d'unicité du tarif de base ne porte pas atteinte aux principes du service public dès lors que cela répond à un objectif d'intérêt général (encourager le recours au ferroviaire) et que les algos sont auditables.
Il invite en outre la SNCF à généraliser (ou abandonner) le système sur l'ensemble des liaisons TGV, pour ne pas créer une rupture d'égalité, le voyageur TGV Nord Europe n'étant pas foncièrement différent des voyageurs TGV PSE et TGV Atlantique.
Le prix des billets est alors calculé à partir d’un tarif plancher pour chaque desserte, fondé sur la captivité du micromarché. A ce tarif de base s'additionnent comme depuis 1982 un supplément en cas de circulation en période de pointe, ainsi qu'un prix fixe de réservation.
Le yield management introduit des contingents de places à tarifs réduits dont la taille varie selon le niveau de remplissage du train, sa composition, le moment d'achat du billet et les prix proposés par la concurrence.
Enfin, on intègre d'autres variables : possibilité de rembourser le billet ou de l’échanger (avec ou sans frais), détention d'une carte commerciale…
Et pour finir, on rajoute une touche de surbooking, comme dans l'aérien (et, faut-il le rappeler, les trains classiques d'avant le TGV qui ne comportaient aucune garantie de place assise) , compte tenu du fait qu'une partie des voyageurs ne se présenteront pas lors du départ
S'écartant de la tarification marginale (qui repose sur le coût) le yield management (qui repose sur la propension à payer de l'utilisateur au-delà d'un tarif de base couvant les coûts) est donc l'aboutissement de la tarification différenciée théorisée 150 ans plus tôt.
On pourrait objecter qu'il réinstaure un tarif de classe, en privant les voyageurs aux revenus contraints de voyager aux heures de pointe. D'autres estiment au contraire qu'il permet de dégager des ressources précieuses pour rendre accessibles des formules + abordables
Et que dans un contexte où il faut accompagner la décarbonation des transports, et que la tarification de l'aérien a durablement impacté les voyageurs, on ne peut se permettre de se priver de recettes indispensables pour continuer d'investir dans le ferroviaire, bien commun.
Car quoiqu'on puisse reprocher (en tant que consommateur) au yield management, il est un fait que ce système est redoutablement efficace pour générer de la marge et donc de l'autofinancement. Une fois en place, il coute pas cher à faire tourner. C'est de l'algo.
En clair, 1 € de CA généré en + est pratiquement 1 € de marge supplémentaire. Et non, même dans un service public la marge n'est pas sale. C'est ce qui permet d'améliorer l'existant tout en finançant l'avenir et sans tirer sur les finances publiques. Pourquoi s'en priver ?
Voilà, ce #Thread long comme un train de fret ferroviaire 🇺🇸 touche à sa fin. Il n'avait d'autre ambition que de rappeler que la perception fantasmée dans l'imaginaire collectif d'un bien commun ne résiste pas à une petite analyse historique, socio-économique ainsi que juridique.
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Des nouvelles de la formidable adéquation avec les attentes du marché (car oui, gros mot, mais un agent compétent est un acteur économique qui a de la valeur) de la politique RH de la fonction publique.
Exemple même de la fausse bonne idée, qui va assécher le recrutement public
Car une telle mesure délivre un bien funeste message aux futurs experts qui sera traduit ainsi “ne vous engagez pas chez nous, car vous ne pourrez en sortir, et ça sera la mort à petit feu de vos idéaux . Et vous n'aurez plus aucune valeur sur le marché au bout de 10 ans”
Car le problème n'est pas tant la rémunération, qui en début de carrière bien qu'en retrait reste en phase avec les grilles du marché. Non, le vrai sujet, c'est la montée en compétences + rémunération&co passé le seuil des 5 ans. Et là, c'est la catastrophe, décrochage abyssal
Quand on vous dit que 1973 était une putain d'année. Il y a 50 ans, le 22 mai 1973, un chercheur de Xerox posait les bases d'un nouveau protocole de transmission : #Ethernet, qui allait révolutionner en les démocratisant les liaisons informatiques, et in fine Internet #Thread
Car voyez-vous, Internet n'est pas né comme ça tout d'un coup. A l'image de l'évolution biologique, il est le fruit de nombreuses itérations, de trucs qui ont planté, d'autres idées qui au contraire ont ouvert le champ des possibles. Ethernet en fait indubitablement partie.
Et au même titre que TCP/IP, Ethernet est des piliers sans lequel Internet n'aurait pas pu se développer en direction des petites structures et du marché de masse, dans un premier temps en simplifiant les réseaux locaux, puis en devenant un vrai protocole de transmission télécom
Petit rappel : le déploiement de la fibre passe *par les mêmes infrastructures* que le cuivre. Là où il y a des poteaux, ça restera en aérien. Et ce qui est vétuste, c'est pas le câble, mais les infrastructures d'accueil, mal entretenues par Orange qui en a hérité gratuitement
A la décharge d'Orange, elle a hérité d'une situation dont elle n'est nullement responsable. Les poteaux en bois qui tombent sont avant tout la conséquence du choix imposé par le politique de renoncer aux poteaux métalliques (pourtant + robustes) ⬇️
Attention aux indicateurs. En terme de créations, et si on considère qu'une extension est une création, oui. En terme d'emplois créés, c'est + nuancé, traduisant une certaine prudence des investisseurs face à :
➡️complexité administrative
➡️coût de l'énergie
➡️partage valeur
Et avant que tout le twitter marxiste(gauche) / maurassien(droite) de canapé ne s'indigne, précisons cette notion de partage de la valeur.
Le choix de société opéré en France depuis 50 ans fait que le niveau de vie est assuré par une part de + en + significative hors salaire net
(Car il n'y a qu'une France qu'on s'autopersuade que la cotisation employeur ne concerne pas le salarié, tout en parlant en même temps de salaire différé : c'est du décaissement rattaché à un salarié qui part à la redistribution collective, et autant en moins pour le salarié)
A quoi on reconnait l'abandon progressif et insidieux des totems de l'état de droit qui nous différencient des régimes illibéraux ?
A cela. Une étude d'impact expliquant qu'en fin de compte le juge judiciaire est un empêcheur de réglementer en rond. legifrance.gouv.fr/contenu/Media/…
Dans un état de droit, on n'inverse pas la charge de la preuve. Tout aussi autorité administrative qu'il puisse être, le demandeur d'une mesure portant atteinte, même justifiée, à une liberté publique est tenu de démontrer ses prétentions.
A quoi on reconnait qu'une étude d'impact est bâclée ?
A cela.
(on rappellera que le DSA impose de passer par une autorité *judiciaire* pour prononcer le blocage d'un site relevant de la catégorie des très grandes plateformes : et si Pornhub se déclarait VLOP ?) #PJLNumerique
Mesure de blocage sans juge qui sera contestée par les FAIs au regard des impacts systémiques sur leurs réseaux & société de l'information.
Car contrairement aux sites porno, on parle ici d'une plateforme qui fait l'objet d'une régulation particulière de compétence 🇪🇺
Car bloquer Twitter, ça flatte l'égo, mais c'est fragiliser dangereusement réseaux et sites Web, dont un nombre incalculable de pages vont se retrouver en erreur (et donc susceptibles de générer une congestion monstre) car les redirections vers Twitter ne fonctionneront plus
L'impact de Twitter sur les réseaux & sites Web n'est pas tant en volume de données (c'est rien comparé à la vidéo) qu'en terme de sessions ouvertes où là c'est carrément monstrueux avec le moindre site d'info qui embarque une foule de redirections vers Twitter.