Troupes européennes en Ukraine : on ne peut pas tout demander à la France et au Royaume Uni.
Alors certes, les difficultés de Paris et Londres sont réelles pour déployer plus de 5000 à 10 000 hommes dans le cadre des forces de réassurance, c'est vrai 1/
C'est lié à notre modèle de forces respectif, qui a fait le choix de troupes terrestres très professionnelles, plutôt peu nombreuses, déployables loin, mais ne disposant pas d'une masse importante. Un choix cohérent dans les années 90-2000... 2/
...et qui sera très long à faire évoluer (si on le souhaite, pas certain). Mais en parallèle, n'oublions pas que Français et Britanniques font beaucoup d'autres choses... 1) les rares "enablers" européens (Awacs, avions de GE, satellites), c'est surtout nous qui les avons. 3/
De même, nous devons maintenir notre dissuasion et les forces conventionnelles qui la protègent. Nous avons aussi des marines qui doivent protéger les approches maritimes de l'Europe et ses voies lointaines d'approvisionnement. 4/
On ne peut pas nous demander de tout faire. Dans le graphique du Time, le plus gros problème n'est pas que France et le Royaume Uni ne soient qu'à 10 000, mais que les autres soient à ZERO. 5/
Il y a là un mélange d'incapacité nationale et de manque de volonté politique. C'est un énorme problème. Mettons de côté nos amis finlandais, exposés au premier chef en première ligne et qui ont une défense territoriale plutôt dépendante de réservistes. 6/
Mais que les autres refusent, c'est très problématique. Espagnols et Italiens sont dans la sécurité stratégique, leurs forces nationales sont limitées mais professionnelles, ils "pourraient" contribuer, au moins de 5000 à 10 000 hommes chacun. 7/
Idem pour l'Allemagne, même si le contexte politique est incertain jusqu'à l'intronisation du nouveau chancelier. Une contribution allemande de 10 000 hommes semblerait un minimum. 20 000 serait idéal. 8/
Idem pour la Pologne. Ce n'est pas la peine de se "payer" une force terrestre gigantesque et de demander des assurances collectives pour ne rien faire et rester chez soi. Alors là encore, le contexte électoral est délicat. Espérons que Varsovie évolue bientôt. 9/
On touche bien là aux limites de l'effort européen actuel, qui ne rend pas optimiste : 1) France et RU sont sur-sollicités par rapport à leurs capacités. Nous ne sommes pas de petites Amériques. On ne peut pas tout nous demander de faire en Europe à la place de l'US Cavalry. 10/
2) les Européens qui ont "perdu un protecteur gratuit" en cherchent un autre, pour continuer de ne rien faire, alors qu'il faut prendre un destin collectif en main, ce qui est une révolution mentale difficile à faire avancer dans l'esprit des dirigeants et des peuples. 11/
3) la dépendance aux processus électoraux en matière de politique de défense est un défi de continuité. S'il faut ne plus rien dire 6 mois avant les élections et qu'un engagement dans une force en Ukraine dépend pour sa pérennité du jeu électoral... 12/
...on n'avancera jamais. Le fait est que nous devons trouver collectivement des mécaniques engageants sur le plan capacitaire et contraignants une fois lancés (des traités capacitaires) pour relancer la machine collective, avec ou sans les Américains. 13/
Ces atermoiements n' incitent donc guère à l'optimisme et on a l'impression que l'espace européen s’embourbe et tourne en rond. Beaucoup de pays font des annonces de dépenses tonitruantes en n'ayant manifestement ni idée de modèle de force, ni volonté politique d'implication. 14/
Il s'agit pour certains (Espagne, Italie, peut-être Allemagne) de faire un chèque pour calmer Washington, tout en ménageant des opinions publiques vivant encore dans le confort d'un pacifisme illusoire qui espère que "tout va finir par s'arranger". 15/
Tandis que d'autres (les Polonais ? ) semblent s'enfermer dans une stratégie obsidionale de dissuasion conventionnelle qui, là encore, attend tout des autres sans vouloir s'impliquer en échange. Compliqué à faire vivre. 16/
Et tout ce petit monde, dans le même temps, reproche à la France et au Royaume Uni de ne pas assez "mettre de moyens sur la table". Mais on ne peut pas tout nous demander. Protéger le navires marchands contre les Houthis, assurer la dissuasion pour nous et les autres... 17/
...et assurer demain peut-être le maintien durable d'une force aéro terrestre en Ukraine, impliquant d'être en capacité d'affronter la Russie, sans certitude manifeste que nos "alliés" européens viendraient à notre aide en cas de pépin. 18/
L'équation sécuritaire en Europe reste donc bien incertaine. On ne peut pas "inventer" une nouvelle architecture de sécurité qui nous protège même en cas de défaillance de Washington si aucun volonté n'est là d'agir. 19/
La déconstruction des mécanismes de mesure de la force et d'action armée est profonde et durable. Au delà de manifestations collectives de volonté abstraite, on peine à transformer l'essai. Espérons que la persévérance de Paris paye. Londres semble se lasser...
...espérons aussi qu'il ne faille pas attendre une nouvelle agression russe pour avoir une nouvelle prise de conscience. Avec de sérieux doutes. L'Italie ou l'Espagne viendraient-elles au secours de Baltes ? Ou accepteraient-elles leur destruction et par là même celle de l'UE ?
Au delà du besoin de réparer notre modèle de forces, il ne faut donc pas se lancer dans la chimère d'une France omnipotente. Il faut faire comprendre à nos alliés qu'avoir des forces c'est bien, mais oser s'en servir, même pour d'autres, c'est indispensable. FIN
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Quelques mots sur Pegase 25, le "signalement" et son interprétation. En deux mots, le signal géographique et diplomatique me semble bien plus visible et crucial que le signalement qui serait lié à la dissuasion nucléaire, à ne pas surestimer. 1/
Alors oui, bien entendu, les Rafale qui participent venaient de Saint Dizier et des FAS. Et bien entendu, le mot d'ordre de la mission Pegase est "Dissuader, protéger, agir ensemble". Mais je ne pense pas qu'il s'agisse vraiment d'un "signal nucléaire" français direct. 2/
D'abord parce qu'il n'est pas présenté comme tel. Certes, le sous-entendu c'est important et les déclarations d'ambassadeurs aussi. Mais il n'y a pas eu de mise en avant publique de cette question par l’Élysée à cette occasion à ma connaissance... 3/
Deux choses : 1) oui, la fabrication additive (l'impression 3D) révolutionne l'usine du XXIe siècle. Cela permet de créer rapidement des unités de production flexibles et légères, avec une scalabilité accrue, 2) non, ça ne fait pas tout... 1/
Ce qu'on voit ici, c'est largement une unité d'intégration/production de composants qui sont produits sur place avec d'autres (moteurs, électroniques, batteries) qui viennent d'ailleurs, probablement d'Asie. C'est la caractéristique de l'industrie moderne, sa complexité. 2/
Le nombre de composants, matériaux et matières s'est envolé depuis un siècle. L'équivalent du drone FPV en 1915, c'était peut-être le mortier (un tube d'acier essentiellement, un peu de verre pour l'optique) et son projectile (acier, explosif sans fumée, cuivre, détonateur). 3/
Je crois que tous les gens qui prennent de haut les pays qui se retirent de la convention d'Ottawa en leur donnant des leçons de morale (poke le dernier papier de Julia Grignon de l'@IRSEM1 ) feraient bien d'écouter ce que ces pays ont à dire... 1/
...et de prendre en compte le contexte de la guerre en Ukraine. Pour les pays du flanc de l'est, depuis Bucha, il est clair qu'une invasion russe ne sera pas "une guerre comme une autre", mais une lutte pour leur existence en tant que nation, face à des criminels. 2/
Si les mécanismes de maîtrise des armements ont un sens, c'est de créer d'avantage de sécurité collective, ce qui, en retour, est meilleur d'un point de vue humanitaire. mais face à une Russie désinhibée qui multiplie les crimes de guerre de manière sadique et systématique... 3/
Absolument. Même si un débat peut exister sur des usages de l'arme nucléaire qui ne seraient pas les mêmes que prévus par la doctrine actuelle, cela ne veut pas dire "revenir au champ de bataille nucléaire", concept daté et franchement peu engageant. 1/
Obtenir un effet militaire "tactique" en manoeuvre sur le champ de bataille avec une arme nucléaire serait singulièrement compliqué, aléatoire et - mis de côté le cout politique gigantesque - très difficile à exploiter (après, en mer, c'est un autre sujet - ça se discute). 2/
Le fait qu'on puisse se poser la question de la pertinence de "composantes sol sol intermédiaires" ou d'évolutions doctrinales "pas forcément uniquement stratégiques" ne veut pas dire qu'il faille "convoquer le spectre de la FATAC". 3/
Ce qui est finalement l'application personnelle à la carrière du "not in my backyard". Tout le monde veut des usines, mais pas devant chez soi. Et personne ne veut y travailler. Tout le monde veut des paysans, personne ne veut aller "aux champs" (on l'a vu en 2020). 1/
La société occidentale moderne s'est construite, depuis le compromis de l’État social de 1945, sur l'idée d'une élévation permanente du niveau de la vie, notamment par l'éducation et la protection sociale, mais aussi par la victoire du réformisme. 2/
Ceci, conjugué à la "tertiarisation" et à la montée en puissance des services et des secteurs "non producteurs" a fait que, socialement comme économiquement, les carrières des secteurs primaires et secondaires sont "démonétisées" et peu désirables. 3/
Absolument. Je souscris pleinement au point de vue de @blablachars. Croire qu'il "suffit" d'acheter des Leopard 2A8 pour "muscler" la composante blindée française est une fausse bonne idée. Améliorer sa disponibilité, son entrainement et ses soutiens est prioritaire ! 1/
Aujourd'hui, le segment "lourd" français (je n'aime pas trop le terme "décision") est handicapé à la fois par la faiblesse des ses effectifs, mais aussi par l'anémie de ses soutiens. Le génie est tragiquement faible, l'appui feu insuffisant, la DSA basse couche anémiée... 2/
Le retex de l'Ukraine est implacable. Face à un adversaire russe sur le champ de bataille, il faut à la fois des moyens de mobilité et de contre mobilité, suffisants, bien protégés et soutenus. Sinon les opérations se "grippent" très vite, les blindés sont paralysés. 3/