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Jun 17 • 26 tweets • 6 min read • Read on X
Histoire militaire de la guerre en Ukraine 🇺🇦/🇷🇺 - Chapitre 5 – Parlons logistique industrielle

La guerre a fait éclater au grand jour les faiblesses de l’industrie occidentale. Retour sur les facteurs explicatifs et les causes profondes de ces lacunes.

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Nous avions déjà écrit un thread à ce sujet, que vous pouvez retrouver ici, mais nous allons tout de même en dire deux mots
Depuis la fin de la guerre froide, les gouvernements ont largement réduit leurs dépenses militaires : ce furent les fameux «dividendes de la paix».

La taille des armées (et donc de leur dotation en équipement) a diminué et ces dernières se sont graduellement professionnalisées.
Ainsi, à titre d’exemple, à la fin de la Guerre Froide, l’armée française disposait d’environ 1350 chars, contre à peine 220 de nos jours !

La demande mondiale d’armement a donc chuté, tandis que les États-Unis captèrent la majorité des rares contrats internationaux. Image
Face à cette situation, les complexes militaro-industriels occidentaux, jetés dans une très rude concurrence pour écouler leurs stocks devenus soudain trop abondants et rentabiliser leurs lignes de productions bien trop vastes, se sont atrophiés.
Pendant un temps, cet appauvrissement a fait illusion, car les guerres expéditionnaire menées par les armées occidentales nécessitaient peu de matériel. Mais le retour de la guerre de haute intensité a changé la donne.
Or, reconstituer une industrie de défense est long et coûteux, car cela repose sur un écosystème complet, mobilisant des compétences variées (métallurgie, électronique, chimie, etc.) qui ne s’improvisent pas. Augmenter la cadence, c’est revoir toute la chaîne de production. Image
C’est négocier de nouveaux contrats de matière première (parfois à très long terme : l’offre sur les marchés mondiaux fait preuve d’une grande inertie), créer de nouvelles filières de formation et de nouvelles coopérations entre entreprises et même pays différents.
En somme, les investissements requis dépassent de loin le simple fait d’ouvrir de nouvelles usines. Les industriels ne peuvent consentir à de tels efforts que s’ils ont la garantie de réaliser des profits.
Or, dans la mesure où le marché international de l’armement est assez restreint, les entreprises de l’armement ne vont, en pratique, mettre la main à la pâte que si la commande des Etats concernés prend le relai une fois la guerre en Ukraine terminée.
Car de tels investissements se rentabilisent sur une décennie ou plus, et la continuation de la guerre en Ukraine a toujours été incertaine : nul ne savait si un changement stratégique ou politique n’allait pas y mettre fin de manière impromptue.
Il faut donc, pour stimuler ces investissements, que les pays concernés s’engagent à acheter cette production nouvelle. Ce qu’ils ne sont pas prêts à faire, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, parce qu’ils sont pour la plupart très endettés et ont peu de marge de manœuvre. Image
Il faut également savoir que la production militaire est très « périssable ». Les composants chimiques dans les obus se délitent souvent en une ou deux décennies.

L’électronique, les câbles, les courroies de transmission sont rongés par le temps.
Avez-vous déjà essayé de faire démarrer une voiture rouillée toute droit sortie d’une décharge ? C’est encore pire dans le cas des chars : leur moteur est généralement si délicat qu’il faut souvent opérer une révision après 500 ou 600km en opération.
Un pays ne peut donc pas se contenter de stocker le matériel militaire qu’il a acheté : il faut l’entretenir à fond, ce qui peut se révéler plus coûteux que l’achat initial. Le problème étant que si on les entretient, il y a peu d’incitation à en acheter de nouveaux.
L’armée américaine est d’ailleurs victime de cet écueil : aucun missile Tomahawk (principal vecteur d’attaque de l’US Navy) n’a été produit en 20 ans, car tout l’effort passe dans l’entretient des stocks existants. Il en va de même pour les chars M1 Abrams.
Il y a donc là un dilemme : soit l’on fait tourner « à vide » l’industrie en continuant de commander des armes que l’on n’aura pas le budget pour entretenir, soit l’on entretient ses stocks, mais alors le nombre de commandes sera faibles et l’industrie réduira ses capacités.
Cela explique largement pourquoi les pays occidentaux ont continuellement surestimé la montée en puissance de leur industrie : les Américains, qui espéraient produire 100 000 obus par mois, n’en produisaient que 40 000 environ fin 2024 (et encore). Image
Le problème de l’industrie de la Défense vient précisément que, par sa nature même, elle n’est guère compatible avec le libre marché et demande une sérieuse planification étatique à long terme, qui requiert d’arbitrer entre des décisions qui possèdent toutes des inconvénients.
Sans vouloir être pessimiste, quarante ans de désindustrialisation ne se rattrapent pas en deux ans, et les Occidentaux risquent fort, à ce rythme, de sortir de ce conflit plus désarmés encore qu’ils ne l’étaient à son commencement.
Nouveau thread sur l'histoire de la guerre en Ukraine par @kaczinskpilled, cette fois, avec un focus sur l'industrie de défense, avant de reprendre, demain, notre historique à la bataille du Donbass.

atummundi.fr/julien-lazzaro…

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Jun 18
Histoire militaire de la guerre en Ukraine 🇺🇦/🇷🇺 - Chapitre 6 – Les sièges du Donbass (2024)

L’année 2024 marqua une accélération des avancées russes dans le Donbass, qui emportèrent plus de 4000 kilomètres carrés. Retour sur cet épisode.

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Une fois l’échec de l’offensive d’été clairement établi, Moscou retourna à ses projets de conquête du Donbass.

Les Russes prirent notamment d’assaut la ville d’Avdiivka, véritable forteresse assise en haut d’une colline et surplombant les environs à des kilomètres à la ronde. Image
La bataille fut rude, avec de nombreuses pertes pour l’assaillant, mais début 2024, la ville était prise. Cela était en partie dû aux fameuses « bombes planantes » russes, des bombes non-guidées de plusieurs tonnes auxquelles l’on rajoutait un système GPS et des ailerons. Image
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Jun 16
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Nous avons exposé la genèse de l’offensive dans un précédent fil. Penchons-nous désormais sur le déroulement de la bataille.

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Par @kaczinskpilled
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Jun 15
Histoire militaire de la guerre en Ukraine 🇺🇦 - Chapitre 4 : L’été des illusions (juin-sept. 2023). Part.1

La contre-offensive ukrainienne de 2023 suscita beaucoup d’espoirs et fit couler beaucoup d’encre. Mais elle échoua. Comment l'expliquer ?

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Le problème est que la reconquête des frontières de 1991 reste l’objectif officiel de Kiev.

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Jun 14
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Par @kaczinskpilledImage
… avaient certes remporté de belles victoires à Kherson et Kharkiv, mais ils avaient échoué à obtenir un vrai déblocage stratégique : pas de destruction de formations russes majeures, ni de dynamitage des lignes logistiques au Donbass ou à Zaporizhia. Image
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Jun 13
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atummundi.fr/julien-lazzaro…
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@kaczinskpilled
pour Atum Mundi. Image
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Jun 12
Histoire militaire de la guerre en Ukraine 🇺🇦/🇷🇺

Chapitre I - Invasion (février-avril 2022)

Le 24 février 2022, 150 000 à 200 000 soldats russes passent la frontière sur 4 axes avant de se replier du nord de l'Ukraine en avril - Récit

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Les objectifs affichés par le Kremlin (« dénazification », « démilitarisation » et « neutralité ») sont relativement flous, mais peuvent se résumer en une soumission politique et militaire de l’Ukraine.

Lien article complet :

Par @kaczinskpilled atummundi.fr/julien-lazzaro…Image
Pour ce faire, Moscou poursuit un plan relativement complexe, dont on peut deviner les grandes lignes en se penchant sur la répartition des forces russes (en gros, 40% à Kiev, 30% dans le Donbass, 15-20% dans le sud de l’Ukraine, 10% dans les villes du nord-est). Image
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