Dr Jérôme BARRIERE, MD. Profile picture
Jul 26 11 tweets 9 min read Read on X
🧵 FIL « À la recherche des causes cachées du cancer.
Quand l’ADN des tumeurs révèle les traces laissées par notre environnement »

Pourquoi développe-t-on un cancer du poumon sans jamais avoir fumé ?

Pourquoi un quarantenaire en bonne santé est-il touché par un cancer du côlon ?

Pourquoi voit-on apparaître des cancers ORL chez des non-fumeurs ?

Longtemps, on répondait à ces questions par une formule rassurante et frustrante :

« Le cancer est multifactoriel, il n’y a pas de cause unique. »

Mais aujourd’hui, grâce au progrès de la génétique, on sait lire les traces que la vie, l’environnement, et même notre propre biologie, laissent dans l’ADN des cellules tumorales.

Ces traces s’appellent signatures mutationnelles.

Prêts ?

C’est parti !

1/⤵️
On appelle signatures génomiques (ou mutationnelles) les types précis de mutations retrouvés dans l’ADN des cellules cancéreuses.

Ces mutations peuvent toucher des gènes liés au cancer (comme les oncogènes), mais aussi des zones sans fonction connue.

Concrètement, une mutation correspond à un changement d’une lettre de l’ADN (nucléotide).

Il existe six types principaux de substitutions :
•C>A
•C>G
•C>T
•T>A
•T>C
•T>G

Ces lettres représentent les bases de l’ADN (C pour cytosine, T pour thymine, A pour adénine, G pour guanine).

Par exemple, une mutation C>A signifie qu’à un endroit donné, une base cytosine (C) a été remplacée par une adénine (A).

Quand le changement remplace une base par une autre de la même famille chimique (par exemple C>T ou T>C), on parle de transition.

Quand il s’agit d’un changement entre deux familles différentes (comme C>A ou T>G), on parle de transversion.

2/⤵️
Quand une cellule devient cancéreuse, c’est qu’elle a accumulé des mutations dans son ADN.
Mais ces mutations n’ont rien d’aléatoire : leur nature dépend de leur origine.

👉Le tabac crée des mutations C>A, caractéristiques de la combustion.
👉Les rayons UV causent des C>T, souvent côte à côte.
👉Une toxine bactérienne peut provoquer des T>A dans un contexte bien défini.

Ces motifs précis, appelés signatures SBS (single base substitutions), sont comme les empreintes digitales d’un agent mutagène.

Et on peut aller très loin : en observant le nucléotide avant et après la base mutée, on distingue 96 motifs différents. On les cartographie, on les regroupe, on les compare.

Aujourd’hui, plus de 60 signatures sont connues.

Certaines sont exogènes (tabac, UV, pollution, toxines), d’autres endogènes (vieillissement, stress oxydatif, erreurs de réparation de l’ADN, infections virales…).
🔗 academic.oup.com/nar/article/53…
3/⤵️Image
Comment identifie-t-on l’origine d’un cancer ?
1️⃣On séquence l’ADN de la tumeur : on lit des millions de lettres et leurs erreurs.
2️⃣On quantifie et classe les types de mutations (C>A, T>G, etc.).
3️⃣On compare ce profil à une bibliothèque de signatures connues.
4️⃣On identifie la (ou les) signature(s) dominante(s) : tabac, UV, colibactine, alcool, etc.

Mais ce n’est pas tout.
On regarde aussi le moment où ces mutations sont apparues.
➡️ Si elles sont présentes dans toutes les cellules tumorales, ce sont des mutations précoces, peut-être déclenchantes.
➡️ Si elles apparaissent tardivement, elles sont plutôt secondaires.

4/⤵️
🫁 Cas n°1 : cancer du poumon chez les non-fumeurs

Une grande étude internationale (Sherlock-Lung, 2025; @Nature , j’en ai parlé ici hier ) a analysé 871 tumeurs pulmonaires de non-fumeurs.

🔗 nature.com/articles/s4158…
Résultat :
👉Peu de signatures du tabagisme passif (SBS4 absente ou rare).
👉Mais dans les zones à forte pollution (PM2.5), une charge mutationnelle plus élevée, et surtout… des signatures proches du tabac.

👉 La pollution de l’air laisse dans les poumons les mêmes blessures moléculaires que la cigarette.

☝️À Taïwan 🇹🇼 , certaines tumeurs présentaient aussi SBS22, signature d’une plante toxique utilisée en phytothérapie.

Conclusion : chez beaucoup de patients, le cancer n’est pas « sans cause »: c’est la conséquence visible d’expositions invisibles et anciennes.

5/⤵️Image
Image
🧬 Cas n°2 : cancer du côlon chez les jeunes

Pourquoi observe-t-on des cancers colorectaux chez les moins de 50 ans, alors même qu’il s’agit d’une maladie plutôt des plus de 60 ans ?

L’étude de Díaz-Gay et al. (@Nature 2025) a analysé plus de 800 cancers du côlon de 11 pays.

🔗 nature.com/articles/s4158…

Chez les patients jeunes, deux signatures ressortent :
👉SBS88 : mutations T>A typiques d’une toxine bactérienne appelée colibactine, produite par certaines souches d’E. coli.
Une bactérie !! Ce qui rappelle par ex que des cancers de l’estomac sont aussi causés par une autre bactérie : Helicobacter pylori qui s’éradique pas un simple traitement antibiotique
👉ID18 : petites insertions/délétions, également liées à la colibactine.

Ce qui est fascinant :
▪️Ces mutations apparaissent très tôt dans la tumeur.
▪️La bactérie n’est plus présente au moment du diagnostic.

➡️ Elle est passée dans le microbiote il y a 10 ou 20 ans, a provoqué des lésions… puis est partie. Mais l’empreinte est restée.

Chez les plus de 50 ans, ces signatures sont rares.

On retrouve plutôt SBS1 et SBS5, dues au vieillissement normal de l’ADN (désamination spontanée des cytosines).
Leur accumulation est linéaire avec l’âge, comme une horloge biologique qui s’emballe.

6/⤵️Image
Image
🗣️ Cas n°3 : cancers ORL, entre tabac, alcool et HPV

Les cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS : bouche, gorge, larynx) sont classiquement liés au tabac et à l’alcool.

L’étude de Torrens et al. (2025) montre :
👉Les fumeurs ont souvent SBS4 et SBS92, signatures de la combustion du tabac.
👉Les buveurs excessifs ont SBS16, liée à l’acétaldéhyde.
👉Ces signatures sont précoces (early clonal), donc potentiellement initiatrices du cancer.

Mais chez les non-fumeurs et non-buveurs ?

➡️ Les cancers HPV positifs (qui peuvent de prevenir donc en se vaccinant à l’adolescence) montrent des mutations SBS2 et SBS13, dues à l’enzyme APOBEC, activée par l’infection virale.
➡️ Ces cancers ne portent aucune signature du tabac ou de l’alcool, même chez des fumeurs.

Autrement dit :

Ce n’est pas parce qu’une personne fume qu’elle développe un cancer lié au tabac.
Et inversement, on peut développer un cancer sans facteur de risque visible, mais avec une signature bien réelle dans l’ADN.
🔗 nature.com/articles/s4158…
7/⤵️Image
Image
Ces exemples montrent que chaque cancer a une histoire unique, mais que cette histoire peut se lire objectivement.
👉Le poumon d’un non-fumeur peut porter l’empreinte de la pollution ou de plantes médicinales.
👉Le côlon d’un trentenaire peut porter la marque d’une bactérie éphémère du microbiote.
👉La gorge d’un adulte sain peut porter les séquelles d’un HPV attrapé 15 ans plus tôt.

Et ces traces sont quantifiables, datables, et spécifiques.

8/⤵️
Ce que ça change
1️⃣La prévention : vaccination HPV, réduction de la pollution, lutte contre certaines toxines bactériennes…
2️⃣ La compréhension des causes réelles : le « hasard » recule au profit d’explications précises.
3️⃣ La déculpabilisation des malades : être malade n’est pas toujours lié à ses choix, mais parfois à des expositions anciennes ou involontaires.
4️⃣Une nouvelle médecine de la mémoire cellulaire : l’ADN tumoral devient une source d’informations précieuse pour comprendre, anticiper, prévenir.

9/⤵️
🔚 En conclusion

Aujourd’hui, le cancer n’est plus seulement une énigme médicale.
C’est aussi une histoire inscrite dans l’ADN : une histoire qu’on peut désormais lire.

Grâce aux signatures mutationnelles, on comprend que :
👉certains cancers naissent d’expositions précoces, parfois oubliées,
👉d’autres sont liés à notre environnement, notre microbiote ou des infections anciennes,
👉et tous portent les cicatrices moléculaires de leur passé.

Cette lecture n’est pas seulement technique.
Elle ouvre des portes concrètes : mieux prévenir, mieux soigner, éviter les erreurs d’interprétation.

10/10 🙏🙏

• • •

Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh
 

Keep Current with Dr Jérôme BARRIERE, MD.

Dr Jérôme BARRIERE, MD. Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

PDF

Twitter may remove this content at anytime! Save it as PDF for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video
  1. Follow @ThreadReaderApp to mention us!

  2. From a Twitter thread mention us with a keyword "unroll"
@threadreaderapp unroll

Practice here first or read more on our help page!

More from @barriere_dr

Jul 24
🧵 Revenons aux bases voulez-vous ?
L’alimentation 🍏🍇🍕🥓que nous mangeons est elle à risque de cancer ?

Evidemment !

À cause des résidus de pesticides ?

Rien n’est moins sûr !

1/⤵️
Tout d’abord la part des cancers liés aux facteurs évitables
On voit ce visuel très souvent et il est bon
Mais attention : le visuel avec la flèche est faux !
Car on ne parle que du benzène et de l’arsenic dans l’article initial !

Honnêteté intellectuelle oblige 😇


2/⤵️ejcancer.com/article/S0959-…Image
Image
Image
Des pesticides peuvent ils donner le cancer ?

Oui

C’est pourquoi certains sont interdits depuis longtemps !
👉Chlorothalonil : fongicide classé “cancérogène possible” (Groupe 2 B), interdit en UE depuis mai 2020 .
👉Endosulfan : banni en France dès 2006.
👉Atrazine : interdite dans l’UE depuis 2003.
👉Lindane : interdit en France et dans plus de 50 pays (organochlorés).
👉Chlordécone : interdit début 1990 après le scandale aux Antilles. (Risque relatif de 1.8 pour cancer de la prostate)

Mais …

3/⤵️
Read 7 tweets
Jul 24
🧵 THREAD Pourquoi l’idée que « les entreprises qui vendent les pesticides sont les mêmes qui vendent les traitements contre le cancer » est un non-sens logique et scientifique.

@sandrousseau affirme que certaines entreprises « font un double profit » en vendant à la fois des pesticides et des traitements anticancer.

Une formule choc, mais un raisonnement aussi fragile que toxique pour le débat public.

1/⬇️Image
Cette idée repose sur une logique simpliste :
➡️ Les pesticides provoquent le cancer
➡️ Les labos vendent les pesticides
➡️ Ces mêmes labos vendent les traitements

Donc ils auraient intérêt à provoquer le cancer ?

C’est infondé, toxique et dangereux.

Et en plus « ça n’est pas complotiste ce que je dis »

Bah …

2/⤵️
Le seul exemple souvent cité : Bayer, groupe pharmaceutique allemand, qui a racheté Monsanto (Roundup/glyphosate).

Oui, Bayer vend aussi des médicaments contre le cancer.

Mais ce n’est pas une preuve de stratégie cynique : c’est une conséquence de son histoire industrielle.

Et le glyphosate ?
Réponse ici :
lel.media/glyphosate-le-…
Ils auraient pu trouver mieux quand même …

3/⤵️
Read 7 tweets
Jul 20
🧵 Petit focus : la méningite 🧠

En France, début 2025 est marqué par une recrudescence notable des infections invasives à méningocoque : 95 cas en janvier, suivis de 89 en février , bien au‑delà des niveaux habituels.
Ces infections comportent une létalité de 10–12 %, avec 20–25 % de séquelles graves (surdité, amputations, séquelles neurologiques) ce qui reste trop peu relayé.

👉Tout décès d’enfant non vacciné est un échec collectif

1/⤵️Image
En 2024, le bilan a été particulièrement lourd : près de 600 cas, le plus haut taux depuis 2010, et environ 60 décès .
Les sérogroupes W et Y, plus virulents, augmentent depuis 2022, renforçant le besoin d’une action vaccinale

2/⤵️
💉Mais… des vaccins efficaces existent !
Depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, le vaccin ACWY (6 mois + 12 mois) et le vaccin contre le serotype B (3‑5‑12 mois) sont obligatoires chez les enfants < 2 ans.

En passant de la recommandation à l’obligation, les autorités envoient un message fort : « c’est indispensable », ce qui aide à surmonter les incertitudes et réticences.

Un rattrapage est possible jusqu’à 4–5 ans.

3/⤵️Image
Read 5 tweets
Jul 19
🧵Le biais de surconfiance face à la science

Une étude publiée dans Science Advances révèle un paradoxe frappant :

Les personnes les plus opposées aux consensus scientifiques sont celles qui en savent objectivement le moins, mais qui pensent en savoir le plus.

Toute ressemblance avec des faits d’actualité est bien sûr le fait du hasard 🤓😜

📉🔍 Illustration d’un biais cognitif massif 👇( d’après Thibault Fiolet)

1/6⤵️Image
Moins on sait, plus on croit savoir

Sur 7 sujets scientifiques (climat, OGM, vaccins, nucléaire, homéopathie, Big Bang, évolution), les auteurs montrent :

✅ Une forte opposition au consensus est corrélée à une baisse du score de connaissances objectives
❌ Mais elle est associée à une hausse de la confiance en ses propres connaissances !

2/⤵️Image
Un écart de confiance dramatique

Ce décalage crée ce que les auteurs appellent un « écart de confiance » :
➡️ Les plus opposés au consensus sont aussi les plus sûrs d’eux.
➡️ Mais leur savoir réel est parmi les plus faibles.

C’est une forme amplifiée du biais de Dunning-Kruger, avec des implications sociales majeures.

Que certains politiciens ont très bien compris !

3/⤵️
Read 6 tweets
Jul 17
Petit 🧵 d’épistémologie appliquée à la santé.

🗣️ À force d’agir sur des signaux faibles sans seuil clair, on détourne l’attention des vrais risques et on fragilise la confiance dans la science : un danger que plusieurs philosophes et historiens des sciences ont déjà identifié.
Ou
Pourquoi certaines alertes sanitaires captent toute l’attention… alors qu’elles reposent sur des signaux faibles ?
Et pourquoi ceux qui demandent plus de rigueur sont aussitôt accusés de « minimiser » ou de « couvrir » quelque chose ?

1/⤵️
Prenons un facteur X supposé cancérigène.
(Aspartame, cadmium, glyphosate … on en a un par semaine dans la presse grand public !)

Certains scientifiques y consacrent leur vie, les médias s’en emparent, le public s’inquiète.

Mais si, après une lecture honnête de la littérature, on ne trouve rien de probant, et qu’on ose le dire…
➡️ On est accusé de malhonnêteté.
Ou pire : de conflits d’intérêts.
Je peux en témoigner …
(Poke @lel_media )

2/⤵️
Pourtant, toute étude a ses limites. Et toute corrélation n’est pas une causalité.
Ce que la philosophie des sciences nous apprend, c’est que :
👉 Un signal faible n’est pas une preuve
👉 Et qu’il faut se fixer des seuils pour ne pas agir à tort
Ainsi décider qu’une augmentation de risque de +10 % ou de 20% est « importante » ou « négligeable » dépend d’objectifs de santé publique, de coûts sociaux, de seuils moraux.
Dire le contraire, c’est masquer le rôle des valeurs plutôt que le supprimer.
Ça aboutit inéluctablement à un brouhaha médiatique et plus grave de décisions politiques hors sol

3/⤵️
Read 11 tweets
Jul 14
📊 Cancers chez les moins de 40-50 ans : j’aimerais remettre les chiffres en perspective car je lis très souvent des inexactitudes sur le sujet, bases à des récupérations médiatiques et politiques inacceptables

Le chiffre qui est cité A CHAQUE FOIS : +79% en 30 ans.
Certains l’arrondissent à 80% et d’autres parlent même de « doublement » des cas

Et la mortalité ? Accrue de près de 28 % !

Vrai ?

1/⤵️Image
D’où vient ce chiffre ?

De cette étude :

C’est juste c’est ce qui est rapporté.

Sauf que …

2/⤵️bmjoncology.bmj.com/content/2/1/e0…
On oublie qu’entre 30 ans la population mondiale a augmenté !!

1990 : 5.3 milliards
2019 : 7.8 milliards

La population a donc augmenté de 47.2% !!



3/⤵️ populationpyramid.net/world/1990/Image
Image
Read 10 tweets

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3/month or $30/year) and get exclusive features!

Become Premium

Don't want to be a Premium member but still want to support us?

Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal

Or Donate anonymously using crypto!

Ethereum

0xfe58350B80634f60Fa6Dc149a72b4DFbc17D341E copy

Bitcoin

3ATGMxNzCUFzxpMCHL5sWSt4DVtS8UqXpi copy

Thank you for your support!

Follow Us!

:(