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Oct 6 17 tweets 7 min read Read on X
Bonjour à tous, pour ceux qui me suivent pour la question syrienne.

Après une nuit, on a enfin eu les résultats pour les élus de la ville d'Alep. Et cela après une nuit de chaos...

Qui sont les élus ? Et pourquoi un tel retard ? Pourquoi un tel enjeu ? 1/ Image
Tout d'abord, je rappelle que la circonscription électorale d'Alep et sa campagne est la plus puissante de Syrie à elle seule : 20 sièges y étaient en jeu pour la part des sièges attribués pour les 70 % à élire par les collèges électoraux nommés par la présidence.

Tous les courants politiques se sont donc battus pour obtenir cette citadelle politique... 2/Image
Depuis hier après-midi, alors que les résultats étaient attendus, les rumeurs ont commencé à monter à Alep.

Un groupe aurait mis le chaos dans le vote puis dans le dépouillement, posant de potentiels problèmes de fraudes : les Frères Musulmans. L'organisation, très affaiblie, et désormais plutôt mal vue en Syrie, est marginalisée depuis la prise du pouvoir par Ahmad al-Sharaa. 3/
Depuis près de 10 ans, ayant imaginé la suite de la chute du régime, les Frères Musulmans avaient monté et organisé un parti politique : le parti Wa'ad (logo en illustration).

Mais Ahmad al-Sharaa, véritable vainqueur politique de la chute d'Assad, et plutôt distant vis à vis de la confrérie, en vue de ce scrutin, leur avait coupé l'herbe sous le pied en annonçant que les partis ne pouvaient participer au scrutin... 4/Image
Toute la nuit, des membres et proches de la confrérie, qui s'étaient présentés, individuellement donc, ont revendiqué des victoires. Obtenir les sièges d'Alep permettait à la confrérie d'exister dans l'assemblée et d'utiliser l'hémicycle comme tremplin. J

Je précise qu'elle a obtenu plusieurs sièges, notamment à Homs, avec l'élection de Nour al-Jandali, entre autres profils proches de ce courant. 5/
Regardons, désormais les élus proclamés ce matin pour la ville d'Alep.

Arrivé en tête des suffrages, Azzam Khanji. Ce riche homme d'affaires, impliqué sur la question sociale et éducative, ministre du gouvernement intérimaire syrien de l'opposition dès les années 2010, est très populaire. Il est très proche des intérêts turcs en Syrie. 6/Image
La Turquie, puisqu'on en parle, aura un poids considérable dans le parlement, via de nombreux élus d'Alep. Comme Mahid Issa. Syrien d'ascendance turkmène, il a reçu le second plus haut score pour les sièges de la ville. L'homme ne s'est jamais caché de sa proximité avec la politique du gouvernement Erdogan en Turquie. 7/Image
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J'en parlais hier dans le cadre des résultats préliminaires, mais Abdul Karim Aqidi a bien été élu. 8/

Également élu, le sheikh Ali al-Jassim. Il est très impliqué dans la vie religieuse et sociale locale. Il est élu plus spécifiquement pour le district de la campagne sud d'Alep. C'est un conservateur, également proche des intérêts turcs. Oui, décidément... 9/ Image
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Également élu, Abdulqadir Khoja, une célèbre famille d'ascendance turkmène également. C'était un des favoris de l'élection à Alep. C'est un modéré proche des intérêts turcs, mais aussi un libéral économiquement. 10/ Image
Également élu, Aref Razouq. Il avait organisé une campagne basée sur la reconstruction de la ville mais surtout pour lui redonner sa place de capitale économique du pays. Médecin célèbre dans la ville, il a été notamment chirurgien dans la zone assiégée d'Alep-est entre 2012 et 2016. 11/Image
Notons un profil conservateur élu à Alep, avec Tamam al-Loudami, dentiste également diplômé en droit islamique. Proche des Frères sans être membre de la confrérie (à vérifier). Il pourrait se rapprocher du camp "shariste" comme je le nomme depuis hier. L'homme s'est beaucoup impliqué dans la vie associative. 12/Image
Autre victoire : Abdul Aziz Maghribi. C'est un vétéran de l'opposition à Alep. Conservateur modéré, il a déjà été très impliqué politiquement en ayant dirigé le Conseil local d'opposition à Alep dans les années 2010, avant de grimper les échelons au sein de la politique d'opposition dans la région. 13/Image
Élu, également, Muhammad Ramez Kurj. Très impliqué dans la vie universitaire, aussi bien maintenant, que du temps de l'opposition (université libre d'Alep). Il est spécialisé en littérature classique mais aussi en droit islamique. 14/ Image
Conservateur modéré et proche de la Turquie, notons également l'élection d'Ammar Tawouz. Diplômé en droit islamique, membre de plusieurs organismes islamiques syriens d'opposition, avant de gagner une parole officielle depuis la chute de l'ancien régime. 15/ Image
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Je pourrais continuer ainsi un moment sur d'autres profils.

Faisons le bilan : sur la douzaine de sièges en jeu dont on attendait le bilan définitif, les conservateurs modérés et les libéraux économiques l'emportent. C'est une évidence.

Les Frères Musulmans ne s'en sortent pas si mal avec plusieurs proches élus, dont Azzam Khanji. Mais ils n'obtiennent pas le score qu'ils voulaient.

Enfin, la grande gagnante, confirmant son rôle politique local, mais aussi par extension au sein de la future assemblée : la Turquie. 16/
In fine, pas d'élections de profils conservateurs de ligne dure. Uniquement des profils très convenus et très modérés. Alep a pourtant fourni des chefs, des cadres et des religieux bien plus proches de l'agenda politique originel qu'était celui d'HTS canal historique.

Ahmad al-Sharaa se dote d'une assemblée bien éloignée de son propre courant idéologique. 17/

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Oct 5
JOURNEE SPECIALE | Élections législatives indirectes en Syrie.

Bonjour à tous. J'entame ici le suivi des résultats de ces premières élections en Syrie depuis celles de juillet 2024 sous l'ancien régime. Les résultats tombent peu à peu depuis deux heures.

J'avais prévu une victoire des plus modérés, avec l'objectif d'Ahmad al-Sharaa de s'éloigner de ses anciens alliés les plus durs et conservateurs.

C'est parti pour une journée d'analyse. 1/Image
Tout d'abord, concentrons nous sur les résultats du seul bastion kurde qui était consulté ce 5 octobre 2025 : Afrin. Région qui fut longtemps tenue par le PYD puis occupée par la Turquie, qui y mena partiellement un nettoyage ethnique. Avant que le nouveau pouvoir n'autorise les kurdes à revenir.

La victoire est totale pour les kurdes qui remportent les trois sièges de la région. Les trois sont membres (ou associés) du Conseil National Kurde, qui milite pour une autonomie locale (mais c'est une coalition hostile au PYD et ses projets). 2/Image
Les célébrations à Afrin sont nombreuses depuis l'annonce de ces résultats.

Rappelons qu'Afrin doit servir de vitrine kurde, pour le nouveau pouvoir à Damas, face au modèle de l'AANES dans le nord-est de la Syrie. Ahmad al-Sharaa n'a pas hésité à ordonner de nombreuses expulsions de familles arabes et turkmènes ayant pris bien des logements dans la région après l'invasion turque et l'exode de nombreux kurdes. 3/
Read 73 tweets
Sep 21
Ahmad al-Sharaa sera le premier chef de l'État syrien à venir s'exprimer devant l'Assemblée des Nations Unies à New York depuis 58 ans. Tout le monde en parle.

Je préfère donc m'attarder sur la dernière prise de parole d'un dirigeant syrien, en 1967 : le président Nurredin al-Atassi. 1/Image
Historiquement, et peu de le savoir, la Syrie a été très tôt impliquée dans le soutien à l'ONU et ses principes. En 1945, alors que le projet est sur la table, la Syrie y apporte son soutien sous le président Quwatli.

En 1947, pour le dévoilement du drapeau officiel de l'ONU, c'est notamment le premier ministre syrien Fares al-Khoury qui le tient (ici au centre). 2/Image
En 1947, la même année, ce fut un tremblement de terre dans le monde arabe. L'ONU soumettait le principe d'une partition de l'ancien mandat de Palestine pour y fonder un État juif, Israël, et un État arabe, la Palestine. Un vote à l'assemblée de l'ONU qui fut contesté et boycotté par les délégations arabes, y compris celle d'al-Khoury. 3/
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Sep 20
En Syrie, les plus conservateurs et religieux de plus en plus déçus d'Ahmad al-Sharaa.

Campagne de levée de bannières du Tawhid (abandonné dès décembre par le nouveau pouvoir), contestation des programmes scolaires, dénonciations de l'accord sécuritaire avec Israël, rejet du principe électoral et de ses listes de candidats, etc...

Les mouvances salafistes et jihadistes qui ont combattu, et versé beaucoup de sang, pour la montée au pouvoir d'al-Sharaa, commencent à perdre patience.

On fait le point sur le divorce en cours entre le nouveau chef de l'Etat et une partie de ses anciens partisans. Mais comment aura lieu ce divorce ? 1/Image
Je ne commencerai que par une image symbolique : hier soir, pour célébrer une remise de diplômes, une grande fête a eu lieu à Damas. Musique de dancefloor et techno' à fond, femmes et hommes mélangés et dansant. Etc...

Beaucoup d'observateurs extérieurs à la Syrie de se dire que c'est bien. Mais d'oublier que les plus durs des soutiens à al-Sharaa y voit là tout le contraire de ce pourquoi ils se sont battus. Et c'est le sujet de ce matin. A Idlib, ancien bastion d'al-Sharaa, cette image eut été inimaginable. 2/
Depuis le 8 décembre 2024, c'est un peu la gueule de bois. Je l'avais prévenu avant même la chute d'Assad : il y aurait des déçus chez les plus conservateurs. Et nous y sommes.

Car une partie des hommes qui ont combattu pour la chute du régime depuis des années aux côtés d'Ahmad al-Sharaa avaient un agenda politique, et religieux annexe, très clair. 3/
Read 16 tweets
Sep 16
Beaucoup semblent être tombés de leur chaise suite à l'interview d'Ahmad al-Sharaa ayant révélé avoir négocié avec les russes pour obtenir le départ d'Assad.

J'ai évoqué cela dès avant la chute du régime : les russes ne menaient plus aucune frappe dans la zone de Homs, puis, pendant près de 36 heures, l'autoroute entre Damas et la côte a été laissée ouverte et sécurisée, permettant à des centaines d'officiels et leurs proches de partir en ordre vers la Russie.

Ahmad al-Sharaa a simplement dit officiellement ce qui s'était passé. Ce n'est pas une révélation. Et c'est pour cela que je qualifie sa prise de pouvoir, tout en la cadrant dans un contexte révolutionnaire, de coup d'État. Cela en a bien plus la forme.Image
Une fois que l'on a établi ce constat, on peut alors installer Ahmad al-Sharaa dans une longue chronologie de coups d'Etat en Syrie. Y compris dans les méthodes : c'est une insurrection menée par plusieurs officiers venus du nord qui finit par effrayer Shishakli en 1954, le poussant à la démission.

On a un contexte, sur le temps très long, qui nous permet de voir que cet épisode de 2024 s'inscrit, toujours avec le contexte révolutionnaire que l'on ne niera pas, dans cette manière de prendre le pouvoir dans le pays. Shishakli au début des années 1950. Hafez al-Assad en 1970. Etc.

Et je ne parle même pas des tentatives très régulières : y compris au sein des clans familiaux. On se souviendra du coup d'État raté de Rifaat al-Assad contre son propre frère en 1984.
Cela ne vise pas à définir al-Sharaa par rapport à ces hommes précédents. Mais à rappeler que les persistances historiques.

Ce recul donné à voir que la chute du clan Assad n'est plus seulement un épisode, mais un énième événement politique dans un contexte d'instabilité profonde de l'Etat depuis l'indépendance de la Syrie.

Et dans la peau de celui qui veut mettre fin à ce chaos : Ahmad al-Sharaa. Prenant une posture très bonapartiste, oui, j'ose le dire, il indique en quelque sorte que le temps des régimes instables depuis les années 1940 doit prendre fin (avec lui au pouvoir). La révolution, selon ce qui se dessine, est terminée à ses yeux.Image
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Aug 28
Sur Facebook, la branche gériatrie du web, la génération du baby boom se monte le bourrichon.

Et on a des moments formidables comme cette mise aux enchères de la semaine de travail. Michel dit 45 heures ! Corinne dit 48 heures ! Eric tente les 48 heures également. Qui dit plus ?

Comment voulez vous discuter avec ces inactifs ?

Les 39 heures, c'est 1982. Et c'est 'a génération qui était active quand elle a voté, pour elle même, les 35 heures via les législatives de 1997.

Les 40 heures, c'était même en... 1936.

Bref.

Merci Bayrou, car tu les fais sortir du bois aux yeux de tous les adolescents et actifs du pays qui voient comment se comportent ceux qui, avec le totem de l'âge désormais, se pensent intouchables et peuvent donc dire n'importe quoi.Image
Martine est en colère. Ça fait 27 ans qu'elle est en retraite après n'avoir travaillé que 33 ans dans sa vie. Dans la journée, sommet exceptionnel avec Louisette et François, ça va barder.

Rappel : on surendette le pays sur 5 générations, y compris celles qui ne sont pas encore nées, pour payer ces gens...Image
Parfois, ils ne se rendent même pas compte qu'ils disent publiquement qu'ils n'ont rien foutu. Philippe qui se souvient tout de même qu'il a travaillé 6 ans en temps plein dans sa vie.

Philippe vit sur le dos des actifs actuels qui travailleront temps plein pendant... 44 annuités à cotiser. Pour le payer lui et ses souvenirs indécents.Image
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Aug 12
Les Maldives.

Ses plages. Ses palmiers. Ses petites maisons de vacances sur pilotis en bord de mer. L'inquiétude de la hausse du niveau de cette dernière par ailleurs.

Et... ses combattants en Syrie. Je vous l'avais promis, on en parle ce jour. Les Maldives, au prorata de leur population, ont fourni un des plus hauts niveaux de combattants étrangers en Syrie. Oui, vous lisez bien. Certains, qui ont combattu aux côtés de l'opposition syrienne, y vivent toujours.

On revient sur cette étrange particularité très peu connue du grand public... 1/Image
Au cours de mon travail sur la Syrie, centré sur le nord-est syrien, la Djézireh ou Jazira, j'aborde notamment l'engagement des combattants étrangers dans la région. Et j'ai eu à me pencher, dans le cadre du suivi des actions de l'Etat Islamique, sur le cas très étrange des combattants maldiviens en Syrie.

Attention, par ailleurs, tous n'ont pas combattu pour l'EI, loin de là... 2/
Je ne peux avancer ici sans citer les travaux de gens qui ont abordé ce sujet bien plus en profondeur que moi. Comme John Kachtik, Shirish Thorat ou encore Animesh Roul... J'en oublie bien évidemment et ils me pardonneront j'espère. 3/
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