Thread by @larroumec2733

La plus grande erreur de la France de ces 30 dernières années c’est d’avoir cru qu’elle vivait dans le monde d’Aghion.
À cause de cette erreur de diagnostic, nous avons détruit notre tissu industriel et nous nous sommes paupérisés durablement. Fil à dérouler 👇

Que dit Aghion fondamentalement ? Que dans les pays à la frontière technologique, la croissance nait de la capacité à créer de l’innovation en favorisant la concurrence et la destruction créatrice. Que dans un pays à maturité industrielle, où le capital humain, technologique et financier est abondant, l’État doit encourager la prise de risque, et libérer les forces du marché.

Tout cela est très solide théoriquement et empiriquement.
Mais il y a un énorme hic, une erreur de diagnostic fatal : la France n’est pas un pays à la frontière technologique. Le paradigme aghionien ne s’applique donc absolument pas à notre pays.

Tout le fantasme national depuis Sarkozy au moins, c’est de croire que la France devrait s’inspirer de la Sillicon Valley des années 2010 alors que nous sommes beaucoup plus proches de la Chine des années 90.

Notre plus grande erreur et notre plus grand drame en tant que Français est d’avoir refusé de nous regarder en face, et d’avoir par égo, nostalgie et effet de rémanence, refusé d’accepter un simple fait : nous ne sommes plus un pays de frontière technologique, mais un pays en rattrapage. Notre industrie a chuté de 25% à 10% de notre PIB, notre productivité stagne depuis bientôt 20 ans, nous importons 90% de nos robots et 100% de nos GPU.

Pour les pays en rattrapage comme la France, la politique aghionienne est dramatique car elle détruit avant de créer.
Nous avons ouvert nos marchés sans base industrielle, dérégulé sans capital productif, et célébré la concurrence dans un pays qui n’avait plus d’usines.

En Chine, dans les années 1990, l’État a fait l’inverse : droits de douane massifs, transferts technologiques judicieusement orchestrés, crédit public orienté vers l’industrie, construction de centaines de zones industrielles et des millions d’ingénieurs formés : en quinze ans, la Chine est passée de 3 % à 28 % de la production manufacturière mondiale.

Seulement ensuite dans les 15 dernières années, une fois la frontière technologique approchant et son système industriel consolidé, la Chine est passée à un système aghionien, jouant sur une féroce concurrence interne pour produire de l’innovation.

Une seule prise de conscience est nécessaire pour que nous nous en sortions : nous sommes la Chine des années 90. Nous sommes pré-aghioniens. Nous n’avons donc que trois choses à faire :

1. – Transférer le maximum de technologies américaines et asiatiques dans nos filières stratégiques : IA, semi-conducteurs, robotique, énergie.
Cela veut dire acheter, copier, licencier, racheter, comme la Chine l’a fait avec Boeing, Siemens ou Fanuc.
Pour raccourcir de dix ans le cycle d’apprentissage industriel.

2. – Créer une demande intérieure massive et soutenable pour nos propres technologies : commande publique prioritaire sur le cloud souverain, la santé, la défense, l’école et les usines automatisées.
L’État et le CAC 40 doivent devenir le premier client du made in France technologique, non le simple guichet de subventions.

3. – Subventionner massivement et intelligemment la production.
Investir dans le dur : usines, compute centers, énergie, formation, robotique.
Garantir une électricité abondante et bon marché via le nucléaire, créer des zones franches technologiques à réglementation allégée, accélérer la délivrance de permis industriels, doubler le nombre d’ingénieurs et techniciens formés chaque année.

Notre objectif n’est pas de faire la danseuse pour attirer des fonds américains, mais de remettre des machines en marche.
Il faut accepter de ne pas être cools pendant 10 ou 15 ans. D’être moqués, ringardisés et sous-estimés comme l’a longtemps été la Chine.

L’objectif est de serrer les dents et faire le sale boulot pour se réveiller en 2040 avec une productivité manufacturière doublée, des coûts énergétiques divisés par deux et une France enfin à la frontière technologique.