J'ai commencé un polar qui se passe durant les JO antiques. C'est écrit par une collègue de lettres classiques - je ne la connais pas, mais on me la présente comme une éminente spécialiste.
C'est. Bourré. D'erreurs. Grossières.
Je veux dire : affirmer que les jeux néméens étaient en l'honneur d'Héraclès (non : de Zeus), c'est pourtant facile à éviter, suffit d'ouvrir une encyclopédie, n'importe laquelle. Mais bon, passe encore.
Mais ÇA, bon sang, j'étais pas prêt !!!
Du coup, je craque, je souligne, je mets du rouge et des points d'exclamation dans les marges.
("confusion entre olympionice et périodonice"
"Bilistiché est la concubine de Ptolémée II, non son épouse"
"confusion entre nudité des athlètes et celle des entraîneurs")
Des perles à chaque page.
L'action se passe donc sous Ptolémée II (roi de 283 à 247). Et on accuse un malheureux Costas (passons sur ce nom...) d'avoir lu Philostrate (II-IIIe siècle APRES JC) mais pas Cicéron (né en 106 avant) !
Bon, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai fini ce pensum. Je vous ferai un petit best of, parce qu'il en vaut la peine !
Allez, quelques mots sur ce chef d'oeuvre du polar historique !
Tout d'abord, l'intrigue. Ce roman policier est tellement bien construit qu'on ne sait toujours pas à à la fin du bouquin pourquoi on nous présentait un objet (le fouet d'un cocher) comme un élément clef. L'auteur l'a manifestement oublié en route.
Le héros est un Macédonien d’Égypte, un nommé Alexandros.
Ah, on apprend seulement p. 63, et au détour d'une phrase, que c'est "le fils du pharaon" (en l'occurrence, Ptolémée II). Un détail.
Le livre est écrit avec soin, dans un style raffiné, comme vous avez pu le voir dans l'extrait que j'ai déjà cité, et comme on le voit encore dans celui-ci. On constate que l'auteur et l'éditeur ont très bien relu le manuscrit.
Je râlais car l'auteur appelait olympionices les vainqueurs des 4 concours de la Période (Olympie, Delphes, Corinthe, Némée). Ce sont en fait des périodonices (c'est logique). L'auteur s'en est rendu compte en chemin, et a essayé de se corriger. Toujours pas. #EssaieEncore
Les policiers d'Olympie sont tantôt appelés alytes (correct - oui, comme les crapauds), tantôt alipes - à causes des entraîneurs, dont le nom translittéré donnerait aleiptes ? Et je passe sur les nomophyloques (-phylAques !), sur les différents noms historiques martyrisés...
Je passe sur les très nombreuses erreurs concernant les concours olympiques (non, le lancer de javelot ou le saut ne sont pas des épreuves indépendantes mais font partie du pentathlon ; la course de trot n'est pas la cours de l'apobatès, etc., etc.)
Mais manifestement, l'autrice, qui est censée être une spécialiste des JO antiques, ne sait pas qu'ils sont réservés aux citoyens grecs ! Que font ces Égyptiens ici ?
Encore mieux : un Gaulois, maintenant ! Il suffit pourtant d'avoir lu Astérix aux Jeux Olympiques (une bien meilleure source) pour savoir combien leur présence à Olympie était problématique - a fortiori au IIIe s. av. J.-C. !
De manière générale, c'est tout le monde grec qui semble fort mal connu de l'autrice (ou de quiconque a écrit cela). Par exemple, les Grecs ne connaissaient pas le nom de famille.
Alors qu'ici, la femme de Glaucos Agathos s'appelle évidemment Helena Agathos.
L'arrivée du roi macédonien, Ptolémée II, est assez spectaculaire. Quoique Grec et en pays grec, il tient manifestement à revêtir les attributs égyptiens. Tient, ça rappelle un certain film, ça. Ou une certaine BD.
Ah, mais en fait, c'est un vrai de vrai Égyptien ! Il ne parle même pas le grec ! Eh ben, ça, c'est de l'assimilation rapide !
C'est un peu gênant quand on songe que l'autrice a écrit un ouvrage de vulgarisation sur les Ptolémée, hein... 😏
Enfin, le plus beau, ce sont les questions de chronologie. Vous vous rappelez Costas (oui, @museolepse, lui-même) qui avait lu des auteurs qui lui étaient postérieurs de plusieurs siècles ?
Maintenant, j'apprends que Hérodicos (médecin du Ve siècle av. J.-C.) est contemporain de Ptolémée ; que Rome et Pergame sont déjà une menace pour Alexandrie en 280 ; qu'Apollonios d'Alexandrie (93 ap. J.-C.) a déjà été disqualifié...
Et puis, parfois, c'est juste une question de maths !
Si les JO ont lieu tous les 4 ans, que les 1ers ont eu lieu en -776, à votre avis, en quelle année tombe la 217e olympiade ?
Indice : pas durant le IIIe s. avant...
Enfin, le plus beau (à mes yeux), c'est probablement ceci :
Ils sont forts, hein, ces athlètes de l'époque hellénistique ! Ils savaient déjà qu'ils vivaient avant Jésus Christ et pouvaient même calculer en combien avant Lui ils vivaient !
Bon. Maintenant, l'autrice.
Une grande dame, pourtant. Elle a même publié des ouvrages historiques, chez Perrin, aux Belles Lettres (!!), etc.
Ah, avec des accusations de plagiats.
Du bon gros plagiat qui tâche, bien visible, bien maladroit.
Tout cela ne sont bien évidemment que de viles calomnies de collègues jaloux et de wikipediens ignares.
La vérité, elle figure sur son site perso.
Sur son site perso, on apprend que cette grande dame est tout simplement l'auteur le plus lu et le plus traduit à l'étranger.
Rien que ça.
Il faut dire qu'elle a du mérite. Alors qu'elle aurait pu connaître les feux des projecteurs en tant que mannequin, elle choisit l'humble voie de la recherche et de l'écriture.
Et son dévouement à l'histoire lui a permis de fouiller tous les sites antiques de Méditerranée.
Oui, tous.
Et au passage, de découvrir la vérité sur la tombe d'Alexandre.
Comme elle est bien organisée, elle a eu le temps également de devenir une pianiste virtuose, invitée partout.
Le fait qu'on ne trouve aucune trace de ses concerts et de ses disques est dû à un simple problème technique, je suppose;
Bref, une telle dame mérite bien qu'on lui consacre quelques thèses et travaux de recherche !
(le fait qu'on ne trouve aucune trace de ces thèses sur doit aussi être dû à un bête problème technique). theses.fr
Elle mérite, pour faire court, qu'on lui reconnaisse la place qui est la sienne dans l'histoire du XXe siècle (et probablement du XXIe).
Une grande dame, vous dis-je ! Et honni soit qui mal y pense !
#EndOfFlood
Post-scriptum: on me signale que le FB de la dame en question est aussi sacrément gratiné.
Pour ma part, je crois que j'ai eu ma dose de WTF, mais si le coeur vous en dit...
J'ai fini par faire mon cours sur l'épidémie qui a frappé Athènes en 430. Je l'avais mise dans le programme dès cet été, mais forcément, ça change un peu les choses de donner ce cours en cette période...
Du coup, j'ai repris le texte de Thucydide, et bon sang, quel texte !
Alors, je suis sûr que plein d'autres antiquisants l'ont déjà fait, mais je ne résiste pas à l'envie de partager quelques morceaux.
Rappel du contexte : début de la guerre du Péloponnèse, tous les Athéniens ont été évacués derrières les murailles de la ville et du Pirée.
"L’épidémie prit naissance en Éthiopie. De là, elle se répandit en Égypte (...) et dans une grande partie de la Perse. Puis elle s’abattit soudain sur les Athéniens, frappant d’abord les habitants du Pirée, où le bruit courut que les Péloponnésiens avaient empoisonné les citernes