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Blog de diffusion de la recherche en histoire médiévale. Compte Twitter tenu principalement par Florian Besson

Nov 19, 2019, 17 tweets

Depuis l’été dernier, le gouvernement a annoncé une privatisation d'ampleur des #barrages hydrauliques français. Mais... a-t-il le droit de faire ça ? Petite excursion dans le droit médiéval, aux sources de l'idée de "bien commun". Un thread ⬇️ ! #histoire #MedievalTwitter

Au milieu du XIIe siècle, de nouvelles idées politiques émergent. Des juristes, des historiens, des philosophes adaptent des concepts anciens (la « majesté », coucou la #teamromains !) ou fabriquent de nouveaux concepts. Et notamment celui de « royaume »...

Certes le terme royaume (regnum en latin) n'est pas neuf. Mais à cette époque il change peu à peu de sens. Le royaume ne se réduit plus à la personne royale ; au contraire, c’est de plus en plus le royaume qui définit le roi.

Ce qui revient à dire que le roi ne possède pas le royaume : il l’a reçu de Dieu et doit le gérer au mieux. A partir de là, les juristes élaborent (progressivement et ça varie beaucoup en fonction des lieux) un autre concept : celui d’inaliénabilité du domaine royal.

C'est une idée simple : le roi n’a pas le droit de vendre, de donner, d’échanger, bref d’amoindrir de quelque façon que ce soit le royaume. Le roi peut donner son cheval, son manteau ou sa bague : il ne peut pas donner son palais, une région du royaume ou ses forteresses...

Un exemple : en 1185, Baudouin IV de Jérusalem, le roi lépreux (oui, « comme dans Kingdom of Heaven »...) nomme comme héritier Guy de Lusignan et lui fait jurer « de ne pas transférer ou aliéner les villes et châteaux que le roi possède »

En 1264, à l'autre bout de la chrétienté médiévale, le prince de Novgorod s'engage de même devant ses sujets à « ne pas aliéner de territoire » sans le consentement de l'assemblée des Novgorodiens

Cette interdiction semble se traduire dans la pratique. Quand l’empereur byzantin Jean Comnène ordonne au prince d’Antioche de lui donner la ville, ce dernier répond qu’il n’en a pas le droit : il dirige certes la ville, mais elle appartient à l'ensemble des citoyens, pas à lui !

Et cette interdiction est bien affirmée dans les textes de lois : le premier chapitre du Livre au Roi (début XIIIe siècle, royaume de Jérusalem) explique avec insistance que le roi ne peut pas donner ou vendre les forteresses du royaume

L'interdiction concerne en particulier les ordres religieux-militaires (Templiers, Hospitaliers) et les communes marchandes italiennes. Ces entités n'ont donc pas le droit de recevoir des parties du royaume. Bref, osons l'anachronisme : on interdit les #privatisations !

Ajd, le gouvernement dit qu'il est nécessaire de vendre les barrages (ou la Française des Jeux, ou les aéroports de Paris...) pour trouver de l'argent. Argument apparemment imparable... mais les médiévaux y avaient déjà pensé !

Très précis, le Livre au Roi explique en effet que cette interdiction reste valable « peu importe le besoin que le roi pourrait en avoir ». Le roi ne peut donc pas arguer de son besoin d’argent : les biens du royaume sont intouchables, point.

Petit à petit, le royaume est ainsi défini comme un bien commun, appartenant à tous (enfin... à tous les nobles, au moins), comme une « chose publique » - en latin, « res publica », une autre idée redécouverte à cette époque

C'est à cette époque que le mot « publique » se multiplie dans les chartes, pour désigner une route, un puits, un moulin, etc, que les dirigeants peuvent exploiter mais pas détruire ou vendre. Une nouvelle conception du commun (et des communs) apparaît alors

Conception qui autorise même les soulèvements : selon le Livre au Roi, si le roi tente de vendre les forteresses, les chevaliers doivent se rebeller contre lui, car il "trahit" son devoir. La fidélité envers le royaume passe donc avant la fidélité envers le roi !

Ces textes médiévaux donnent ainsi une leçon politique claire : la « chose publique » est précisément ce que le dirigeant ne peut pas vendre. Par conséquent, quand l'Etat décide de vendre les barrages, NOS barrages, il trahit son identité profonde

En faisant des barrages une « chose privée » qu'il peut vendre à son gré (et à bas prix en plus... !), l'Etat semble oublier qu'il n'existe que pour servir le bien commun. Retrouvez notre article complet sur @libe :
actuelmoyenage.blogs.liberation.fr/2019/11/04/fai…

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