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Blog de diffusion de la recherche en histoire médiévale. Compte Twitter tenu principalement par Florian Besson

May 14, 2020, 18 tweets

« Je n’aime pas lire des mauvais romans » déclarait il y a peu #EmmanuelMacron, s’inscrivant dans une lignée de « présidents lecteurs ». Au Moyen Âge, les seigneurs laïcs affichent aussi leur supériorité sociale via une maîtrise de la culture lettrée. Un thread ⬇️ ! #histoire

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les chevaliers du milieu du Moyen Âge ne sont pas uniquement, voire pas du tout des brutes épaisses. Bien sûr, la violence fait partie intégrante de leur vie, notamment par l’activité guerrière

Sur ce point, cf ces excellents threads récemment de @FraySebastien sur la violence aristocratique, la pratique de la guerre au XI-XIIee siècle, son rapport à l’identité nobiliaire, etc...

Néanmoins, l’élite aristocratique médiévale justifie aussi sa domination sur des sujets majoritairement paysans par sa maîtrise de la lecture et de l’écriture. Lire ou se faire lire des œuvres littéraires est à la fois un passe-temps nobiliaire et un symbole de prestige social

Le Roman de Thèbes, écrit vers 1150, déclare dans son prologue que seule l'élite est digne de suivre ce récit : « Que tout le monde se taise à ce sujet, sauf clercs et chevaliers, car les autres ne peuvent rien apprécier, si ce n’est comme un âne à la harpe »

Une partie – difficile à estimer mais non-négligeable – des chevaliers sait donc lire et écrire le latin, sûrement de plus en plus à partir de la « renaissance » culturelle du XIIe siècle, qui entraîne une multiplication des écoles et des textes

Et de nombreux textes mettent en valeur la figure du « chevalier lettré ». Ainsi de Lancelot, figure du chevalier parfait, décrit ainsi dans le Lancelot en prose : « il n’y avait, en son temps, de chevalier plus instruit que lui ». Bref, courage et érudition vont de pair

Au XIIe siècle, les Gestes des comtes d’Anjou louent la culture du comte d’Anjou Foulques II le Bon : « il connaissait parfaitement le latin, la grammaire et la logique d’Aristote et de Cicéron, mais on le plaçait aussi parmi les meilleurs des chevaliers courageux »

De nombreux souverains médiévaux se constituent des bibliothèques personnelles – même si à l’époque on lit peu « dans sa tête », préférant se faire lire des textes. Selon Guillaume de Tyr, le roi de Jérusalem Amaury Ier « se délaissait en lisant des fictions »...

Les chevaliers ne sont pas seulement des lecteurs – ils peuvent aussi être des auteurs. Sur la centaine de troubadours que l’historiographie a identifiés pour le milieu du Moyen Âge, la moitié appartient à la noblesse.

On peut ainsi citer Conon de Béthune, qui participe à la quatrième croisade (1204). Chansonnier prolifique, il décrit notamment la douleur du chevalier quittant sa dame pour partir en croisade :

La quatrième croisade suscita en outre d’autres expériences littéraires : le modeste chevalier picard Robert de Clari ainsi que le très noble maréchal de Champagne, Geoffroy de Villehardouin racontent leurs visions de l’événement, chacun dans un style différent

Quelques chevaliers se sont essayés à un genre plus ambitieux, à savoir le roman, long récit de fiction en langue vernaculaire. Le seigneur de Franche-Comté Robert de Boron affirme ainsi être l’auteur d’un gros Roman du Graal

Le pouvoir souverain se légitime aussi par sa capacité à montrer son intelligence supérieure. Une chronique du XIIIe siècle garde ainsi de l’empereur Baudouin Ier de Constantinople l’image d’un souverain « d’une sagesse exquise »

À la fin du Moyen Âge, l’émergence de la culture « humaniste » devient une ressource essentielle pour les princes italiens en quête de légitimité. Frédéric de Montefeltro, duc d’Urbino, se fait peindre vers 1475 en armure, mais l’épée posée à terre et un livre dans les mains

Les présidents contemporains aiment eux aussi s’afficher comme de grands lecteurs. Gardons à l’esprit que la culture, aussi belle soit elle, est également un outil de domination

Rappelons-nous également que les dominants affichent une maîtrise (souvent partielle...) de la culture « élitiste », mais très souvent ils ont hérité d’une capital culturel et symbolique qui leur facilite cette maîtrise (tout en leur permettant de définir la « bonne culture »)

Des chevaliers lecteurs ou auteurs de romans... pour le plaisir, mais aussi pour contribuer à leur domination politique et symbolique. Retrouvez notre article du jour sur notre blog :
actuelmoyenage.wordpress.com/2020/05/14/un-…

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