« Je n’aime pas lire des mauvais romans » déclarait il y a peu #EmmanuelMacron, s’inscrivant dans une lignée de « présidents lecteurs ». Au Moyen Âge, les seigneurs laïcs affichent aussi leur supériorité sociale via une maîtrise de la culture lettrée. Un thread ⬇️ ! #histoire
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les chevaliers du milieu du Moyen Âge ne sont pas uniquement, voire pas du tout des brutes épaisses. Bien sûr, la violence fait partie intégrante de leur vie, notamment par l’activité guerrière
Sur ce point, cf ces excellents threads récemment de @FraySebastien sur la violence aristocratique, la pratique de la guerre au XI-XIIee siècle, son rapport à l’identité nobiliaire, etc...
Néanmoins, l’élite aristocratique médiévale justifie aussi sa domination sur des sujets majoritairement paysans par sa maîtrise de la lecture et de l’écriture. Lire ou se faire lire des œuvres littéraires est à la fois un passe-temps nobiliaire et un symbole de prestige social
Le Roman de Thèbes, écrit vers 1150, déclare dans son prologue que seule l'élite est digne de suivre ce récit : « Que tout le monde se taise à ce sujet, sauf clercs et chevaliers, car les autres ne peuvent rien apprécier, si ce n’est comme un âne à la harpe »
Une partie – difficile à estimer mais non-négligeable – des chevaliers sait donc lire et écrire le latin, sûrement de plus en plus à partir de la « renaissance » culturelle du XIIe siècle, qui entraîne une multiplication des écoles et des textes
Et de nombreux textes mettent en valeur la figure du « chevalier lettré ». Ainsi de Lancelot, figure du chevalier parfait, décrit ainsi dans le Lancelot en prose : « il n’y avait, en son temps, de chevalier plus instruit que lui ». Bref, courage et érudition vont de pair
Au XIIe siècle, les Gestes des comtes d’Anjou louent la culture du comte d’Anjou Foulques II le Bon : « il connaissait parfaitement le latin, la grammaire et la logique d’Aristote et de Cicéron, mais on le plaçait aussi parmi les meilleurs des chevaliers courageux »
De nombreux souverains médiévaux se constituent des bibliothèques personnelles – même si à l’époque on lit peu « dans sa tête », préférant se faire lire des textes. Selon Guillaume de Tyr, le roi de Jérusalem Amaury Ier « se délaissait en lisant des fictions »...
Les chevaliers ne sont pas seulement des lecteurs – ils peuvent aussi être des auteurs. Sur la centaine de troubadours que l’historiographie a identifiés pour le milieu du Moyen Âge, la moitié appartient à la noblesse.
On peut ainsi citer Conon de Béthune, qui participe à la quatrième croisade (1204). Chansonnier prolifique, il décrit notamment la douleur du chevalier quittant sa dame pour partir en croisade :
La quatrième croisade suscita en outre d’autres expériences littéraires : le modeste chevalier picard Robert de Clari ainsi que le très noble maréchal de Champagne, Geoffroy de Villehardouin racontent leurs visions de l’événement, chacun dans un style différent
Quelques chevaliers se sont essayés à un genre plus ambitieux, à savoir le roman, long récit de fiction en langue vernaculaire. Le seigneur de Franche-Comté Robert de Boron affirme ainsi être l’auteur d’un gros Roman du Graal
Le pouvoir souverain se légitime aussi par sa capacité à montrer son intelligence supérieure. Une chronique du XIIIe siècle garde ainsi de l’empereur Baudouin Ier de Constantinople l’image d’un souverain « d’une sagesse exquise »
À la fin du Moyen Âge, l’émergence de la culture « humaniste » devient une ressource essentielle pour les princes italiens en quête de légitimité. Frédéric de Montefeltro, duc d’Urbino, se fait peindre vers 1475 en armure, mais l’épée posée à terre et un livre dans les mains
Les présidents contemporains aiment eux aussi s’afficher comme de grands lecteurs. Gardons à l’esprit que la culture, aussi belle soit elle, est également un outil de domination
Rappelons-nous également que les dominants affichent une maîtrise (souvent partielle...) de la culture « élitiste », mais très souvent ils ont hérité d’une capital culturel et symbolique qui leur facilite cette maîtrise (tout en leur permettant de définir la « bonne culture »)
Des chevaliers lecteurs ou auteurs de romans... pour le plaisir, mais aussi pour contribuer à leur domination politique et symbolique. Retrouvez notre article du jour sur notre blog : actuelmoyenage.wordpress.com/2020/05/14/un-…
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A l'heure de faire l'appel et de découvrir les prénoms de nos élèves, saviez-vous que le Moyen Âge est une période marquée par un changement complet dans la manière de nommer les gens ?
On parle de "double révolution anthroponymique", et c'est passionnant. Un thread ⬇️
Première révolution : la fin des noms romains/romanisés et, notamment, du système des tria nomina (Marcus Tullius Cicero). Avec l'arrivée en Occident de peuples germaniques, ces noms passent peu à peu de mode, même si certains survivent (Marcus, Julius, Felix, etc).
A leur place, on voit apparaître des prénoms... germaniques ! Clovis, Sigebert, Dagobert, Galswinthe, Brunehaut... Ou, moins connus, Leutgarde, Fryshilde, Gansbold, Hildevoud, Protline, Framberte... (oui je sais ça fait rêver hein ?)
Un soldat africain pendant la bataille d'Hastings (1066) ? Réponse de médiéviste : 1/ c'est possible ; 2/ c'est très improbable ; 3/ on s'en fiche car c'est de la fiction ; 4/ ces réactions outrées sont très signifiantes.
1/ C'est possible. Les sociétés anciennes sont plus connectées qu'on ne le pense souvent, et l'Afrique, y compris l'Afrique subsaharienne, n'est pas coupée de la Méditerranée. Il y a des flux de biens et de personnes (marchands, soldats, esclaves, pèlerins, etc).
1/ Ces flux ont d'ailleurs laissé des traces archéologiques, y compris en Grande-Bretagne : dans cet article, des fouilles dans un cimetière anglais du VIIe siècle ap JC où on a retrouvé une personne ayant un ancêtre récent originaire d'Afrique de l'Ouest
On a pris notre courage à deux mains avec @HMedievale et on a regardé « Saint Louis raconté par Philippe de Villiers » diffusé dimanche soir sur CNews. On n’a pas été déçu du voyage, car comme toujours de Villiers propose une vision très personnelle...
Un fil à dérouler ⬇️!
Tout d’abord, deux éléments de contexte. 1/ Philippe de Villiers s’est sans doute appuyé pour cette émission sur son livre « le Roman de saint Louis » publié en 2014, qu'on a lu. 2/ L'émission est sortie dimanche 24 août, veille du 25, jour de la Saint-Louis.
Dès le début, Villiers annonce la couleur : « la vie de saint Louis est un trésor. Les enseignements que j’en ai tiré sont des lumières pour aujourd’hui ». Saint Louis « incarne le beau, le grand, le bien [et] notre civilisation, qui est la civilisation chrétienne »
Quand on pense à la Muraille de Chine, on imagine souvent un édifice comme le Mur dans Game of Thrones...
Mais de nouvelles fouilles archéologiques montrent que ces fortifications médiévales avaient des buts variés, et souvent plus civils que militaires. Un thread ⬇️
Ici, on n'est pas dans la partie la plus célèbre de la Muraille de Chine, mais dans ce qu'on appelle le Medieval Wall System, un ensemble de fortifications de 4000km de long construit entre le Xe et le XIIe siècle, essentiellement par la dynastie Jin
Les archéologues ont fouillé une partie du mur et un fortin situés sur la partie mongole de cet ensemble. Or, la surprise, c'est que le mur en lui-même est un simple fossé accompagné d'une petite pile de terre. Aucune efficacité contre une armée d'envahisseurs... !
Au début de l'année 1195, Lothaire de Segni, un clerc qui va ensuite devenir pape sous le nom d'Innocent III, écrit un petit traité intitulé "Misère de la condition humaine". Il est ici traduit et commenté par O. Hanne (@BellesLettresEd). Un thread (déprimant 😅)⬇️!
Ce texte s'inscrit dans le contexte des traités du type "Mépris du monde", souvent écrits par des moines, qui listent les raisons de détester et de se détacher du "monde", càd du siècle, de la vie laïque avec ses tentations et ses péchés.
Classiquement, le futur pape explique ainsi que l'être humain est bien malheureux. Fabriqué par Dieu dans la terre, la moins noble des substances, conçu dans "le vil sperme", il vient au monde au milieu du sang, des larmes et des cris.
Vous avez (trop) chaud ?
Et si je vous disais que durant les croisades, les croisés ont eux aussi souffert de la chaleur, au point parfois... de mourir ? Je ne sais pas si ce thread va vous rafraîchir, mais ça vous cultivera... Un thread ⬇️!
La chaleur frappe violemment les croisés quand ils arrivent en Orient. Les chroniques de la croisade le répètent tout le temps, preuve que ça a marqué les contemporains : "les nôtres étaient brûlés par la chaleur dévorante", "la chaleur avait grandement affaibli l'armée"
Les mois d’été sont les plus redoutables. Les auteurs mettent en garde contre le « redoutable mois d’août » ou encore contre « juillet, mois insupportable à cause de l’ardeur du soleil ». Autant que possible, on décale les opérations militaires pour éviter d'agir en plein été.