Amazon va diffuser un entretien entre Anno, créateur d’Eva, et Matsumoto du duo comique Downtown. On a connu ce dernier en FR quand en 2007, il a présenté au festival de Cannes son film, Big Man Japan. L’occasion de parler Ultraman, et traité de sécurité Japon – États-Unis. 1/18
Certains d’entre vous ont peut-être déjà vu Big Man Japan, la comédie "kaijû" de Matsumoto. Pour ceux voulant éviter les spoils, passez votre chemin, car on va discuter de l’œuvre, en particulier sa toute dernière scène, apogée de ce film éminemment politique. 2/18
En effet, derrière ce « documenteur », se lit en filigranes la psyché des Japonais envers le passé du pays depuis l’après-guerre, en particulier son gigantisme lors de la période de haute-croissance (1954-1973) et la bulle spéculative des années 80. 3/18
Le héros, Daisatô Masaru, en est une relique, ou plutôt un héritier, rôle dont il se serait bien passé.
Un des moments les plus emblématiques de l’œuvre est sans doute la scène où Masaru parle du décès de son père qui voulait devenir « plus gros » au point d’en mourir. 4/18
Impossible de ne pas y voir la folie spéculative des années 80 née des accords du Plaza, qui forma une bulle économique pour finalement exploser en 89/90. Petite aparté: le nom du héros est une blague en soi sur cette folie des grandeurs: 5/18
Daisatô Masaru s'écrit: 大佐藤大. 大/Dai veut dire grand, 佐藤/Satô est le nom de famille le plus commun au Japon (notre Martin, si vous voulez), et 大/Masaru est une lecture alternative du caractère "grand" avec ici le sens de dépassement, victoire. Fin de l'aparté. 6/18
Il y a tant à dire sur ce film qu’un thread ne suffira pas. L'exemple ci-dessus servait juste à illustrer que regarder ce film avec une petite connaissance de l’histoire sociale et économique du Japon d’après-guerre vous ouvre à une dimension de lecture assez satisfaisante. 7/18
L’apogée est donc cette dernière scène, qui vous prend à contrepied, mais qui est d’une finesse inégalée dans son message, à l’opposé de son aspect burlesque. 8/18
Pour en discuter, parlons d’Ultraman et du traité de sécurité nippo-américain ! Dans Ultraman, la patrouille scientifique, sous la juridiction de la police scientifique internationale, a pour mission de défendre la Terre des invasions de monstres et extraterrestres. 9/18
Le schéma est souvent le même : la patrouille scientifique tente de se défendre (elle n’attaque jamais) sans jamais vraiment y parvenir. Quand tout semble perdu, Ultraman débarque et sauve le monde ! 10/18
Gardez ça dans un coin de la tête et regardons la politique de défense du Japon. Le fait est assez connu, mais je préfère le rappeler ici : le Japon n’a pas d’armée, mais des forces d’auto-défense. (lol, vu le niveau de leurs capacités) 11/18
Je passerai les détails de leur création, mais sachez qu’ils sont nés d’une interprétation de l’article 9 de la Constitution de 1947 (toujours en vigueur), par lequel le Japon renonce à son droit de belligérance, 12/18
c’est-à-dire qu’il renonce à son droit de déclarer la guerre et d’attaquer un autre État-Nation. D’un autre côté, et c’est encore le cas aujourd’hui, le Japon et les États-Unis ont signé un traité de sécurité... 13/18
...dont l’article 5 engage de facto les US à protéger le Japon si ce dernier venait à être attaqué par une force étrangère. En gros, si le Japon est attaqué, il peut se défendre, mais les États-Unis viendront à sa rescousse. 14/18
Maintenant que vous avez tous ces éléments, vous pouvez facilement faire l’analogie suivante : FAD japonais = patrouille scientifique d’Ultraman. Ultraman = États-Unis. Et c’est de ça que parle cette scène des plus ridicules. 15/18
D’un géant économique jusqu’à la fin des 80s qui,ayant perdu ce pouvoir et renoncé à sa force militaire, se retrouverait spectateur en cas d’attaque de son territoire. Bien qu'aujourd'hui, certains pensent que les US n'interviendraient pas à ce niveau en cas d'attaque... 16/18
Il est vraiment dommage que tous ces niveaux de lecture n’aient pas été compris à Cannes en 2007. Le film y a été jugé comme un navet, ce qu’il n’est absolument pas ! 17/18
Je ne peux pas nier l'effort à fournir en le regardant, tant l’humour qui se dégage des scènes d’interviews y est subtilement acerbe. Mais je ne peux que conseiller à tout le monde de le regarder ! 18/18
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