La théorie du « grand remplacement » occupe le devant de la scène (oui, on pense à la Une choquante de Causeur, entre autres). Les sociétés médiévales ont elles aussi connu des phénomènes migratoires, dont l’ampleur est encore débattue... Un thread ⬇️! #histoire #medievaltwitter
L’un de ces épisodes est l’installation de populations scandinaves païennes en Angleterre et en Normandie, à partir du IXe siècle. Alors, rétrospectivement, y a-t-il eu « grand remplacement » ou pas ?
À partir de la fin du VIIIe siècle, les monastères, ports et autres établissements côtiers de la mer du Nord sont la cible de pillards scandinaves appelés vikings (un terme qui ne désigne pas un peuple mais une activité économique mêlant commerce et pillage)
Les premiers raids sont ponctuels et rapides. Devant l’absence de résistance, les vikings (sans majuscule, donc, car ce n'est pas un peuple...) organisent de plus grandes expéditions, hivernent sur place et commencent à envisager une installation plus durable.
Signe de cette évolution : les guerriers viennent de plus en plus souvent accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Le chroniqueur Reginon de Prüm rapporte l’entrée victorieuse des vikings à Angers « avec leurs femmes et leurs enfants, comme s’ils allaient y habiter ».
Car le phénomène viking ne se limite pas au pillage. Pendant que certains pillent le royaume carolingien ou la Mercie, d’autres colonisent les îles presque désertes de la mer du nord (Orcades, Shetland, etc), puis l'Islande, le Groenland et même brièvement le Vinland !
En Angleterre, les Normands imposent leur autorité. Les jarls scandinaves cherchent à rallier les populations en nommant des « rois clients » issus de lignages locaux. Ils s’efforcent aussi de gagner le soutien du clergé, notamment en se convertissant au christianisme...
L’établissement de ces nouveaux pouvoirs s’accompagne d’une immigration sans doute importante (même si la question fait débat). La langue anglaise absorbe de nombreux mots norrois : husband, fellow, le pronom they, etc.
Et l’archéologie a révélé un grand nombre d’objets du quotidien d’inspiration scandinave, comme des fibules ou des pendentifs, y compris dans les campagnes.
Bien sûr, les porteurs de ces objets ne sont pas forcément scandinaves eux-mêmes. La diffusion et la persistance de ces modes témoigne de l’existence d’un milieu culturel mixte, au contact de populations immigrées probablement assez nombreuses.
Ces échanges ont un impact durable sur l’identité des pays de l’Est anglais, qui prennent à partir du Xe siècle le nom de Danelaw (Dena Lagu), la « Loi des Danois » - alors même qu’en réalité les lois de cette région sont très largement originales.
En Normandie, donnée en 911 par le roi des Francs au chef scandinave Rollon, de nombreux toponymes sont d’origine norroise. Les emprunts linguistiques sont également nombreux, surtout dans le champ lexical de la navigation : crique, agrès, et même "bateau"... !
Dudon de Saint-Quentin rapporte que « la ville de Bayeux préfère la langue danoise à la langue romane ». Au milieu du Xe siècle, le lieutenant du duc Guillaume Longue Épée à Bayeux est un certain Harald...
Malgré cette présence scandinave, la construction de l’identité de la région suit un processus complexe. Dudon de Saint-Quentin veut montrer que les Normands sont d’aussi noble ascendance que les Francs : il en fait donc des descendants des Troyens, comme les Francs !
À l’inverse, les chroniqueurs francs, à l’image de Richer de Reims († 998), entretiennent la légende noire des pillards vikings en qualifiant systématiquement les ducs de Normandie de « prince des pirates » (princeps pyratarum)...
Pour conclure. L’immigration scandinave a eu une influence durable sur l’identité des régions conquises. Au point de pouvoir parler d’un « grand remplacement » ? La formule semble bien trop simpliste.
Les nouveaux venus adaptent systématiquement leur mode de vie et de gouvernement afin de pouvoir s’intégrer le plus rapidement possible. Des identités mixtes apparaissent, dans les tombes ou dans les lois, preuve d'échanges culturels, de rencontres, de croisements.
Finalement, le regard porté sur ces vikings dépend surtout des sources : de la « loi des Danois » au « duc des pirates », l’étranger est dans l’œil de celui qui juge péjorativement... Retrouvez notre article du jour sur notre blog !
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