Michaël Mangeon Profile picture
Histoires du #nucléaire. Docteur, chercheur associé @evsumr5600, consultant, enseignant. Mes tweets n’engagent que moi.

Nov 23, 2021, 34 tweets

Savez-vous qu’au tournant des années 1980-1990, un docteur en physique nucléaire du CEA, Francis Temperville, vend à des espions russes une centaine de documents « secret défense » liés à la bombe #nucléaire française ?

Thread : L’incroyable affaire « Pétales de roses » 🌹

⤵️

1/ Francis Temperville est né à Dunkerque le 29 avril 1957. Ayant perdu son père à l'âge de 9 ans, il est élevé dans un petit village du Nord par sa mère. C’est un bon élève : Bac C, DUT de chimie, licence…

2/ Après avoir obtenu successivement une maîtrise de physique et un DEA de physique nucléaire à Orsay, il entre, en 1985, à l'Institut national des sciences et techniques nucléaires (INSTN, vidéo de 2003) sur le site du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) Saclay.

3/ En 1987, il soutient avec succès une thèse de doctorat en physique nucléaire. Le titre : Formalisme simplifié de calcul des puissances résiduelles en fonction des différents paramètres de fonctionnement d'un réacteur à eau pressurisée.
Sa thèse :
inis.iaea.org/collection/NCL…

4/ Pendant sa thèse, en 1986, Temperville, qui enseigne au Conservatoire des arts et métiers, dans des locaux situés au sein de l'INSTN souhaite arrondir ses fins de mois. Il passe alors des petites annonces pour donner des cours de mathématiques et de physique.

5/ L’histoire commence donc en 1987 lorsqu’un certain Serge répond à son annonce souhaitant consolider ses bases en math et physique pour son entreprise « une petite société d’ingénierie ».

6/ Serge se présente comme un Britannique et parle bien le français malgré un accent anglais prononcé. Il ne fournit ni son adresse, ni son nom de famille. Temperville lui donne régulièrement des cours, à raison de 3 à 4 heures par semaines pour environ 300 francs en liquide.

7/ Francis raconte à Serge son stage chez Technicatome en 1984, qui réalise les réacteurs nucléaires de propulsion navale (Vidéo du sous-marin le « Perle » en 1990) ou celui de 1985 à 1987 au Service d’étude des réacteurs et des mathématiques appliquées, toujours au CEA Saclay.

8/ Serge est un élève investi et les deux hommes se lient petit à petit d’amitié. Francis commence à rédiger des synthèses sur la radioactivité, la fusion, les lasers pour Serge qui se montre généreux et invite Temperville à plusieurs reprises dans des auberges des Yvelines.

9/ Francis fournit à Serge des documents internes au CEA même si la règle veut que ces informations ne sortent pas de l’organisme. Il considère que ces informations n’ont alors que peu d’importance…

10/ Le 1er octobre 1989, Francis obtient le graal et est affecté au Département d’Etude Thermonucléaire au centre CEA de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne) à la Direction des applications militaire (DAM) du CEA dans le Val de Marne (Vidéo du laser Phébus en 1995).

11/ Après une longue enquête, il se voit habilité au « secret défense ». Son nouveau travail consiste, avec d’autres ingénieurs, à interpréter les essais nucléaires français sur l’atoll de Mururoa (Polynésie française).

12/ Serge change de ton et commence à le menacer : « Je sais où tu travailles. Je veux des documents ultra-secrets sinon ta maman et ta grand-mère seront tuées ».

13/ Par peur et sans doute attiré par l’argent, Francis commence à remettre à Serge des documents de la DAM cachetés « VLC » ou Vulcain signifiant un secret de défense de nature particulière. Entre 1989 et 1990, Francis remet 6000 pages de documents de ce type à Serge.

14/ Francis Temperville imprime au CEA des documents sur les essais français et les armes nucléaires. Il s’agit de documents secrets sur 4 tirs projetés en 1991, les tirs de 1990, de 1989, 31 tirs de 1979 à 1980 et l'ensemble des tirs de 1970 à 1978.

15/ Francis quitte le centre du CEA le soir avec un sac plastique rempli de papiers. Pour lui remettre les documents secrets, Serge lui impose alors un stratagème complexe qui vaut son pesant d’or :

16/ Francis doit disposer les documents dans un sac poubelle d’aspect usagé dans laquelle il place des mégots de cigarettes (pour éloigner les chiens errants). Ensuite le sac est déposé au pied d’un poteau électrique dont le lieu a été convenu lors du contact précédent.

17/ Une demi-heure plus tard, Francis doit vérifier que le sac a été récupéré. Pour cela, un paquet de cigarettes vide de marque « Dunhill » est déposé près d’un panneau stop à proximité. Si le paquet de Dunhill est absent, Francis doit reprendre le sac.

18/ Si Serge veut rencontrer Francis en urgence, celui-ci trouve sur son trajet quotidien des pétales de roses, au pied d’un pilier du viaduc près de la gare d’Orsay (photo de 1992). Il doit alors retrouver Serge d’urgence dans un restaurant particulier.

19/ Et enfin, si Francis veut voir Serge, il dépose des pelures d’oranges près d’un poteau télégraphique, non loin de la piscine d’Orsay.

20/ Pour faire plus simple, Serge tente de donner à Francis un mini appareil photo avec de petites pellicules, fonctionnant comme un scanner, mais il ne parvient pas à l'utiliser. La méthode complexe avec Dunhill, pétales de roses et pelures d’organe est donc privilégiée !

21/ Ce système va fonctionner de long mois, jusqu’à ce que Francis se fasse licencier du CEA en juillet 1990…mais pour une autre histoire ! Francis est pris la main dans le sac car il vole des fournitures de bureau pour les envoyer, via les services du CEA, à sa mère, libraire.

22/ Le CEA ne soupçonne alors pas Francis d’autres méfaits. Le 1er février 1991, Francis réalise même son rêve et ouvre une école de physique, l’ICOSUP dans l’Essonne. Les problèmes semblent derrière lui…

23/ Mais Serge ne l’a pas oublié et il lui envoie, en septembre 1991, un ami, René, qui tente de le convaincre d’entrer dans d’autres laboratoires français. Francis, qui n’est plus très réceptif, va tout de même encore fournir quelques documents qu’il détient chez lui à René.

24/ Cette histoire aurait pu tomber dans l’oubli mais elle va ressurgir brutalement en 1992 dans le contexte de l’effondrement de l’URSS (Vidéo INA de 1991).

25/ En juillet 1992, le colonel Victor Otchenko, ancien du SVR (ex-KGB), attaché scientifique de l’ambassade de Russie à Paris, passe à l’Ouest et se réfugie à Londres. A titre de garantie, il donne des informations sur le service qu’il a dirigé…et le nom de Francis Temperville.

26/ Pour les services de renseignements français c’est le choc. L’agent du CEA était une taupe des Russes ! Le 14 septembre 1992, Francis Temperville est arrêté par la direction de la Surveillance du territoire (DST) à son domicile à Orsay.

27/ Mais les agents russes sont introuvables : Serge, en réalité Sergueï Jmyrev, officier du KGB et travaillant à l’ambassade soviétique à Paris a déjà quitté la capitale depuis plusieurs mois. René, ou plutôt Valentin Makarov a également disparu.

28/ Après 5 ans de détention préventive, Francis Temperville est jugé devant une cour d’assise spéciale le 30 octobre 1997. Malgré la présentation faite de ses avocats comme un simple irresponsable un peu perdu.

29/ Si Francis Temperville explique qu’il ne savait pas qu’il avait affaire à des agents du KGB, l’argent semble être sa principale motivation : les Russes auraient débloqué 2 millions de francs pour corrompre Temperville selon Victor Otchenko.

30/ Francis Temperville, coupable de trahison est condamné à 9 ans de prison. L’affaire que les médias nommeront « Pétales de rose » restera dans les mémoires du renseignement comme un épisode peu glorieux en matière de sécurité et de gestion des informations sensibles.

31/ Aucune information supplémentaire ne filtrera de cette affaire. Francis Temperville et les agents Russes n’apparaissent d’ailleurs sur aucune photo, sans doute pour que l’affaire « Pétales de rose » ne devienne pas un problème…plus épineux.

FIN

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