Manuel de pseudo-glandage à l'usage des professeurs novices, par Robert d'Artois. #Thread Partie II (j'ai pensé que ça vous plairait plus que #Macron20h) ⤵️
On m'a demandé quelques précisions ou "trucs". Je rappelle que ce texte est plus un guide général, destiné en priorité aux novices, qu'un manuel pratique. Mais allons-y.
Travailler le plus possible sur place = salle des profs ou salle vide. Si vous avez la chance d'avoir une salle à vous, procurez-vous l'EDT général de cette salle et prenez-là dès qu'elle est vide.
Le CDI est une excellente solution pour travailler sereinement. Assurez-vous que vous ne dérangez pas le documentaliste et profitez-en pour le connaître.
Vous serez parfois obligés de travailler chez vous. Il vous faut un coin bureau. Alors, je sais : novices, payés au lance-pierre, vous galérez souvent pour trouver ne serait-ce qu'un studio décent : avant d'avoir une pièce dédiée, cela sera long. Pas de panique, Robert est là.
Que vous viviez seul ou en couple, déterminez un coin bureau et posez, au choix, un paravent chiné pour pas cher, ou un rideau sur baguette amovible. L'idée est de marquer dans l'espace votre environnement de travail. Vous entrez là, vous bossez (avec mesure du temps passé).
Ce point est capital, même s'il semble anecdotique. Ce qui fait que beaucoup de collègues partent en burn-out tient à l'essence du métier : on ne s'arrête jamais. On bosse chez soi, au musée on regarde ce qui pourrait nourrir un cours, un documentaire, une lecture, etc.
Alors marquez votre bureau, chez vous. Mentalement, pensez-le comme une extension du job. Quand vous en sortez, c'est terminé. Et sachez combien de temps vous y avez passé. C'est capital. Vous vous éviterez ainsi des semaines de 50 heures (sans compter les réunions et autres).
Dans cet esprit, avec la maîtrise, vous savez "monter" un cours efficace en trois heures, puis deux, puis une - puis moins. C'est la continuation de ce que je vous disais sur le nombre de documents utiles à un cours. Faire simple est la marque de la maîtrise, en général.
*Pas simpliste ou je-m'en-foutiste, hein. Simple.
Enfin, quelques mots sur votre lieu de travail : connaissez-le, dans toutes ses facettes. Cela a l'air facile, dit comme ça, mais peu de profs le connaissent réellement. Détaillons un peu.
Connaissez sa configuration. Procurez-vous un plan et jetez-y un œil. Vous repérerez les coins oubliés dans lesquels vous récupérerez vos 4eB qui sèchent votre cours en fumant des clopes et en se roulant des pelles.
Connaissez ses travailleurs. Prof est un métier solitaire, par définition ; mais ce n'est pas une excuse. Connaissez la secrétaire de direction, sur qui tout repose en général, l'intendant, la documentaliste, les CPE et les AED. Sans oublier les agents de service.
Nous sommes une profession qui se réclame de Bourdieu la moitié du temps, mais bien peu de collègues connaissent les ouvriers — ce qui m'a toujours fait ricaner, intérieurement. Connaissez-les.
Et lorsqu'ils vous rendent service, à l'instar du documentaliste qui vous accueille pour corriger vos copies, n'oubliez de leur témoigner votre gratitude : une tarte avec une bouteille de cidre, des chocolats, etc.
"Rien n'est acquis, même quand c'est dû. La loi du monde du travail dure, est."
Confubob.
Ces petites choses, mises bout à bout, vous garantissent une bonne réputation et l'assurance qu'au moment voulu on vous rendra service, même en cas de direction défaillante (c'est-à-dire dans un environnement où les services se tirent dessus sans contrôle).
Ainsi, vous aurez gagné du temps sur l'année entière, en acceptant d'en "perdre" un peu au début.
Le bonus du vieux renard : vous avez, HASARD, des 4eB en cours à 13h30. Dès le mois d'octobre, arrangez-vous pour passer à la cantine en faisant la queue, comme les élèves. Mangez, allez en cours et ne dites rien. Normalement, la question finira par tomber :
"Pourquoi vous avez fait la queue, m'ssieur Robert ?"
Répondez, l'air serein :
"Pour me rendre compte de l'attente. Maintenant que je sais, les retards dus à la cantine seront traités comme ils le méritent."
Laissez-les là-dessus.
Enfin, connaissez le fonctionnement d'un EPLE. Perdez un peu de temps à vérifier le code de l'éducation, sachez comment fonctionne un conseil de classe, une commission x, un conseil péda, le régime des sanctions / punitions, etc.
Par ex., un C.C ne note que le travail. Si un élève fait montre d'un comportement détestable, n'appuyez pas dessus ou vous vous ferez retoquer. Dans le même esprit, vous individualisez souvent trop les commentaires du C.C et écrivez 10 lignes sur chaque élève. Alors :
Soyez justes, mais laconiques. Tout le monde se fout, les parents en premier, de votre avis éclairé sur Johanna assorti d'une (mauvaise) analyse de son comportement. En revanche, soyez attentifs à l'orthographe et à la syntaxe. On n'est pas sur Twitter.
Rien de mieux pour ruiner votre réputation qu'un bulletin trimestriel comportant, à côté de votre nom, de belles et grasses fautes d'accord ou de conjugaison. Aux yeux de 80% des parents, vous passez instantanément pour un blaireau. Sans parler des collègues.
Si vous vous savez fragiles sur ce point, ce n'est pas la fin du monde. Mais il faut immédiatement vous améliorer en bossant. Votre crédibilité professionnelle est en jeu. Dans cet esprit, les commentaires laconiques sont, là aussi, vos amis : ils limitent la casse.
Inutile de venir me râper les joyeuses avec les linguistes qui nous rappellent que la faute est une évolution et qu'au XIVe siècle blabla. Je parle de choses pratiques, et dans la pratique un professeur qui fait 3 fautes par commentaire passe pour un con et n'est plus crédible.
C'est en partie sans doute injuste, mais rappelez-vous que le problème est le sadisme ordinaire, la volonté de se sentir mieux en se comparant ; pas l'orthographe en soi. Vous devez offrir une image conforme à votre statut, c'est ainsi.
Enfin, connaissez vos classes, la situation de chaque élève, le % des diverses CSP, tant au niveau de la commune que dans vos classes. Pour ce faire, prenez rendez-vous avec la CPE qui aura préalablement établi un bilan de ces renseignements. Une demi-heure de rdv suffira.
N'oubliez pas de la remercier, et passez dans le bureau des AED qui auront probablement fourni le gros du travail que vous aviez demandé. Remerciez-les aussi. En général, passez les voir 5 mn par semaine. Ils vous connaissent, vous les connaissez.
Voilà quelques petits trucs qui peuvent fonctionner. La règle : connaissez votre environnement. Ainsi, quand les temps seront à la tempête, vous maîtriserez la casse. Et vous gagnerez temps et sérénité.
Tout ceci a rallongé mon thread initial. La partie suivante sera consacrée à votre santé mentale, ou disons, plus modestement, à votre bien-être. Je verrai ça ce soir, après avoir entendu ce que Prétentieux Ier a déblatéré (et après l'ingestion nécessaire de rhum).
Prétentieux Ier a été à la hauteur de sa propre mesure.
Avec un ptit rhum, je reprends le Thread partie II ici, consacré à votre bien-être mental. Toujours pour vous, les novices ; pour nous les vieux c'est râpé depuis 1998.
Donc,
Le métier de professeur, quand on le prend à cœur et c'est votre cas, est un de ceux les plus soumis aux injonctions contradictoires. C'est infernal. Vous devez instruire (ce n'est pas un gros mot) tous vos élèves de façon égale mais porter une attention particulière à certains.
Vous devez inculquer les principes de la République tout en individualisant cet enseignement le plus possible. LOL.
Pardon, j'essaie d'être sérieux-neutre, mais parfois on ne se maîtrise pas.
Vous devez bosser chez vous, payer vos livres, votre électricité, etc. au bénéfice de la structure qui ne vous accorde même pas un abonnement aux articles scientifiques récents de votre discipline. Mais vous devez être un expert - comparativement à ce qui est attendu.
Vous devez (plus ou moins, selon les lieux) surnoter le travail rendu. Au collège, la mode des compétences a gagné de la place : tout ceci est aussi fait pour vous "occuper", comme on "occupe" un bidasse qui jamais ne doit se trouver sans rien faire.
En gros, la superstructure vous infantilise. Vous-mêmes risquez de vous infantiliser en ne fréquentant que des ados et, finalement, en n'ayant, pour beaucoup d'entre vous, jamais quitté l'école. Attention, danger. Surtout si vous travaillez sans cesse.
D'autant plus que vous sortez de l'INSPé, dont l'infantilisation des étudiants semble être une des spécialités. C'est dans l'air du temps, je vous l'accorde, mais vous n'êtes pas des "djeuns". Vous êtes des adultes - et les élèves vont vite se charger de vous le rappeler.
Ou même les parents. Soyez prudents. Dans ce contexte, et en tenant compte que vous allez exercer jusqu'à 64, 65, ou même 67 ans, ne vous faites pas briser à 25/30 ans.
Participent à votre bien-être tout ce qui a été détaillé plus haut. Mais aussi, et surtout :
savoir déléguer et savoir ne pas prendre le poids du monde sur vos épaules. C'est le point capital. J'ai trollé l'INSPé, tout à l'heure, mais je fais confiance à vos formateurs : ils vous ont nécessairement avertis des dangers de l'attitude "Zorro". La plus dangereuse, la pire.
"Zorro", c'est le tour d'esprit qui vous fait croire que vous allez pouvoir, vous et vous seuls, régler une situation compliquée voire dangereuse. Vous allez échouer. Sur tous les plans. Ne faites jamais cela.
Quand un ou une élève vous fait confiance et vous demande le secret pour une confidence, répondez par une promesse de discrétion seulement. Si ce que vous entendez est infâme, rapportez à qui de droit. Le CPE, que vous connaissez, fera le lien avec les personnes concernées.
Vous lui passez le problème car sa fonction est aussi de centraliser, avant de distribuer, l'information. Vous n'êtes pas la solution. La vérité ? Derrière ce mouvement, bien naturel, d'aider un jeune en difficulté ; se cache en réalité l'ego.
Un ego sournois, qui utilise les bons sentiments et la justice comme masque. Car vous avez du cœur, et n'êtes pas insensibles comme des machines. Mais : méfiance.
Si Johanna est frappée ou harcelée dans le cadre de l'école, n'allez pas, de vous-mêmes, trouver ses agresseurs et les menacer ou simplement les accuser.
Car vous ne savez même pas si c'est vrai. Attention.
Vous en référez et, au besoin, vous jetez un œil.
Si Lucas est frappé par ses parents (dit-il), ne commencez pas à écrire des commentaires tendancieux dans le bilan du C.C. Vous en référez après avoir noté. Il y a des CPE, des AED, parfois même une infirmière (si), des perdirs qui savent sur quels boutons appuyer.
Si vous vous en mêlez sans aucune preuve (même avec), arrivera inévitablement le moment dans lequel la structure vous rappellera que vous n'êtes pas à votre place. Si vous n'écoutez pas, on finira par trouver étrange que vous vous préoccupiez tant de ce cas. Vous le voyez venir ?
De là, une glissade infinie vers les abîmes des emmerdements premiums avec, à la clef, une réputation au minimum écornée et une dépression, pour faire bonne mesure.
Vous avez constaté comment la structure prend soin de ses personnels, au vu des actualités récentes.
Quand une personne est en difficulté, elle est seule.
Et, seul, on perd.
(Au fait : syndiquez-vous)
N'oubliez jamais que vous entrez dans une structure dans laquelle on a jugé bon, il y a une vingtaine d'année, de muter de force un CPE qui réclamait l'application stricte de la loi sur l'utilisation des machines de son lycée pro (résumé d'histoire vraie) :
Comme il résistait, on l'a interné de force en hôpital psychiatrique pendant 24h, jusqu'à ce que le psychiatre, outré lors de la visite, ne le relâche. Muté loin de chez lui et de sa famille pendant des années, malgré un avis du conseil de la fonction publique,
il n'a retrouvé une vie normale que des années après. Vous m'avez bien lu. Des vieux de la vieille auront encore son nom, sans doute - mais tout ceci est réel.
Ne vous faites aucune illusion si vous vous trouvez sur le chemin de l'administration. Alors, prudence, et déléguez.
Gardez toujours vos distances.
La distance permet de prévoir et d'anticiper.
La dernière partie de nos réflexions viendra plus tard. Elle concernera aussi l'annualisation du temps de travail, et comment retourner cette situation à votre avantage. J'y avais déjà réfléchi. Car ça tombera, inévitablement.
FIn
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