Michaël Mangeon Profile picture
Histoires du #nucléaire. Docteur, chercheur associé @evsumr5600, consultant, enseignant. Mes tweets n’engagent que moi.

Jun 20, 2023, 21 tweets

Point de situation au 20 juin 2023, avec un éclairage historique, concernant la sûreté de la centrale #nucléaire de Zaporijia depuis la destruction du barrage hydroélectrique de #Kakhovka.

Un fil à dérouler 🔽🇺🇦🇷🇺🧵

1/ Dans la nuit du 6 juin 2023, le barrage hydroélectrique de #Kakhovka, sur le Dniepr (Nova Kakhovka, oblast de Kherson) est détruit entrainant en aval de fortes inondations aux conséquences humaines, sanitaires et environnementales dramatiques.

2/ Construit dans les années 1950, le barrage (photos) a créé en amont le réservoir de Kakhovka sur le Dniepr, long de 240 km et jusqu'à 23 km de large. L’ensemble barrage/réservoir permet notamment l'irrigation de terres agricoles du sud de l'Ukraine et du nord de la Crimée.

3/ En 1980, l’URSS débute la construction de la centrale #nucléaire de Zaporijia (6 réacteurs VVER 1000 MW), à proximité de la ville d’Enerhodar, sur les berges du réservoir de Kakhovka, à environ 120 km en amont du barrage.

4/ Pour assurer le refroidissement des réacteurs (on parle de « source froide »), un bassin de rétention (cooling pond) est créé « sur le réservoir » lors de la construction de la centrale. On peut voir la construction du bassin de rétention sur ces images satellites (1979-1986).

5/ Ce bassin (1) est de taille très importante : 8,2 km2 et 47 millions de m3 d’eau. Il suffit à lui seul à refroidir les 6 réacteurs (2) quand ces derniers sont en exploitation.

6/ L’alimentation en eau du bassin de rétention (1) est assurée grâce au réservoir de Kakhovka. La prise d’eau dans le réservoir est au nord du site (3), à proximité d’une centrale thermique construite entre 1971 et 1977 (4).

7/ L’eau prélevée dans le réservoir de Kakhovka sert de source froide pour la centrale thermique via un canal (5). Une station de pompage assure un transfert vers un autre canal (6), qui alimente le bassin de rétention (1) de la centrale nucléaire avec ses 6 réacteurs (2)).

8/ La centrale nucléaire dispose également de bassins fontaines (spray ponds, 7), qui pulvérisent l'eau chaude dans l'air plus frais pour la refroidir. Ces bassins fontaines suffisent pour le refroidissement lorsque les réacteurs sont à l’arrêt (bien moins de chaleur à évacuer).

9/ Revenons sur les conséquences de la destruction du barrage hydroélectrique de #Kakhovka pour la centrale de Zaporijjia. Tout d’abord, il convient de rappeler que les réacteurs sont à l’arrêt depuis plusieurs mois. Les bassins fontaines suffisent pour le refroidissement.

10/ C’est notamment en raison de ces différents systèmes de refroidissement sur le site que les spécialistes d’organismes comme l’AIEA ou l’IRSN ont été plutôt rassurants sur la sûreté à court terme après la destruction du barrage.

11/ En quelques jours, le niveau d’eau a fortement baissé dans le réservoir de Kakhovka (image satellite du 5 juin et du 18 juin 2023) autour de la centrale.
L’objectif numéro 1 a été de remplir un maximum les différents systèmes de refroidissement de la centrale.

12/ Selon l’AIEA, au 16 juin 2023, l'eau du canal de la centrale thermique alimente les bassins fontaines de la centrale, qui refroidissent les six réacteurs arrêtés et le combustible usé dans les piscines, et maintient le niveau bassin de rétention en compensant l'évaporation.

13/ Sans l’eau du réservoir, la centrale peut donc fonctionner « quelques mois » avec les réserves disponibles sur le site. D’autres points d’eau (réserves souterraines, puits, voir même possibilité de pomper ailleurs dans le réservoir de Kakhovka) sont envisagés.

14/ Toutefois, il faut surveiller l’intégrité de ces systèmes de refroidissement, qui peuvent être bombardés/sabotés, ou, pour le cas du bassin de rétention, présenter des fuites, voir une rupture des digues, en l’absence de contrepression exercée par l’eau du réservoir (IRSN).

15/ Enfin, la problématique de redondance l’alimentation électrique n’est toujours pas résolue. Il reste une seule ligne de 750 kV en fonctionnement et la centrale a déjà démarré plusieurs fois ses diesels de secours pour palier à la perte des alimentations électriques externes.

16/ Point important : Les différents systèmes de refroidissement que nous avons détaillés nécessitent de l’électricité pour fonctionner (des pompes notamment)....

17/ Si l’ensemble des systèmes de refroidissement sont indisponibles (destruction, perte de l’électricité, …), il faut environ une dizaine de jours pour arriver à la dégradation des combustibles et l’émission de radioactivité. Bref, un accident nucléaire (extrait IRSN).

18/ La situation socio-organisationnelle sur le site est toujours très compliquée. Les Russes occupent militairement le site mais ils semblent en diriger également l’exploitation. Un ordre de mise en arrêt à froid du réacteur 5 par l’autorité de sûreté ukrainienne a été ignoré.

19/ Enfin, la centrale se situe à proximité de la ligne de front. Le réservoir, quasiment à sec par endroit, ajoute également de nouvelles possibilités et incertitudes sur la suite du conflit dans le secteur

A suivre donc.

Fin

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