Cédric Labrousse Profile picture
Créateur de https://t.co/cuFnaOQpbI. Fils de marin-pêcheur. Doctorant sur Nord-est syrien. Fondateur #SRO. Régionalisme, liberté toujours, a bossé dès 16 ans.

Mar 8, 12 tweets

Un dernier bilan porte à désormais 300 civils tués, fusillés et massacrés par des groupes armés en Syrie. J'avais évoqué, un des premiers en France, ces horreurs, notamment à al-Muktariyya et, plus globalement, dans la périphérie de Lattaquié.

Faisons le point sur la pire journée depuis la chute du régime d'Assad. Avec cette question : qui sont les responsables ? 1/

Pour le chef de l'Etat, Ahmad al-Sharaa, qui se voit rappeler que ses anciens combattants ne lui obéissent pas forcément, loin de là, sans parler de ceux ayant refusé de se soumettre en rejoignant la nouvelle armée, c'est un désaveu terrible.

Ses lignes directives pour une justice transitionnelle efficace, répétées fermement le 25 février dernier, n'ont pas été suivies. Menant à des horreurs. 2/

Les exécutions concernent très majoritairement des hommes. Prisonniers ou simplement abattus gratuitement dans certaines zones (comme à al-Shalfatiyya, où ils ont été abattus en pleine rue sommairement).

Elles ont aussi eu lieu dans des zones agricoles de l'arrière pays alaouite, avec des exécutions gratuites et sommaires, clairement à visées confessionnelles, contre des ouvriers, fermiers, etc. 3/

Il semble que les hommes aient été les cibles régulières. Un reportage, avec témoignages, de @jenanmoussa, confirmé des opérations de sélections des hommes pour être abattus dans les zones de Tartous notamment. 4/

Alors, posons, ce matin, les questions des responsabilités et des acteurs de ces actes sordides qui se sont déroulés sur une bonne partie de la journée du 7 mars 2025. Éloignons nous des théories complotistes pitoyables de piliers de bars et regardons les faits avec un contexte.

1) Le gouvernement ? Il n'est pas à la manœuvre. Ne contrôlant qu'une partie du pays et, plus grave et inquiétant, qu'une partie des hommes armés dans ce pays. De plus, le nouveau pouvoir lorgne sur la levée des sanctions internationales : il a besoin d'une stabilité et d'une gestion la plus acceptable possible vis à vis de la communauté internationale.

Ce gouvernement découvre surtout, ce matin du 8 mars 2025, que son autorité est désavouée par une partie des hommes armés du pays et que cela va créer des doutes sur sa gestion. 5/

2) Des membres des forces de sécurité du nouveau régime ?

C'est désormais de plus en plus clair : des membres des nouvelles forces de sécurité et de l'armée, anciens d'HTS ou d'autres formations ayant rallié la nouvelle autorité, ont participé, hier à ces exécutions. C'est le cas notamment dans la région de Tartous. Ils ont de facto rompu avec les ordres donnés et les appels à ne pas faire dans l'extra-judiciaire.

Il faudra saisir l'ampleur, au sein de ces forces, de ces hommes et de leurs idées. Purge probable à venir. 6/

3) Des jihadistes syriens et/ou étrangers ayant refusé de se soumettre aux nouvelles autorités ?

C'est une des grosses pistes sérieuses pour les massacres de masse. Principalement commis autour de Lattaquié. Il y a plusieurs semaines, j'avais documenté, seul en France, le meurtre de plusieurs fermiers par des jihadistes ouïghours et kirghizes stationnés alors près de Jableh. Suite à quoi, les jihadistes avaient été expulsés de la région par le nouveau pouvoir.

Il semble cependant que certains aient profité de la répression des insurgés pour mener des massacres. Plusieurs vidéos, désormais vérifiées, attestent de la présence de ces jihadistes hier dans la zone de Lattaquié. Principalement d'Asie Centrale. Correspondant bien à leur zone d'action, proche d'Idlib. Certains de ces jihadistes ont, pour beaucoup, refusé de se plier au nouveau pouvoir et considèrent qu'Ahmad al-Sharaa est un traître. 7/

J'ai été des premiers, dès le 8 décembre 2024, à évoquer le sentiment de trahison à venir des hardliners comme je les appelle. Ces hommes, syriens ou étrangers, qui ont combattu contre Assad, pour l'établissement d'un état islamique ferme, et qui se considèrent les "cocus" de l'affaire avec un Ahmad al-Sharaa qui discute avec les FDS, place des femmes laïques aux conseils de transition, ou encore accorde deux jours de fête fériée pour Noël (un seul jour sous l'ancien régime). Pour eux, et ils ne s'en cachent pas, al-Sharaa les a trahi.

Ces hommes, sans aucun contrôle de facto des autorités sur eux, forment un réel problème pour la suite. 8/

3) Des reliquats de l'ancienne ANS. Cette Armée Nationale Syrienne qui n'était en réalité qu'un corps syrien expéditionnaire au service des intérêts turcs. Fondée à partir de 2016. L'ANS a une histoire de banditisme, d'extorsion, de vols, de viols ou encore de massacres d'opposants, politiques comme armés (rappelons nous le meurtre d'Hevrin Khalaf, en illustration, en 2019).

Si une partie de l'ANS a annoncé son intégration au sein de l'armée, une autre n'a pas voulu se soumettre aux nouvelles autorités. Et l'on a pu voir, dès la nuit du 6 au 7 mars, une partie des convois de l'ANS rejoindre la région de Lattaquié. Zones des pires massacres. Certaines tenues de camouflage correspondent, sur certaines vidéos, à des tenues fournies à l'ANS.

Nous avons donc la certitude que des membres de l'ANS ont participé aux horreurs. 9/

Et rentrons désormais dans le détail.

Sur l'axe Tartous, les forces de sécurité et armées étaient notamment menées par un homme bien connu, mais en mal, des syriens : un certain... Abu Amsha. Ancien chef au sein de l'ANS, réputé pour être un bandit et un dangereux individu, a été nommé général de la division d'armée de Homs.

Celle qui s'est immédiatement mise en route vers Tartous dans la nuit du 6 au 7 mars 2025. Il a lui même été filmé cette nuit-là. Ce sont ses hommes qui ont participé aux opérations entre Homs et Jableh. Un homme qui a de très mauvaises relations, historiquement, avec Ahmad al-Sharaa. 10/

Les documents attestent de sa direction des opérations dans la zone s'étendant de Homs jusqu'à Jableh en passant par Tartous.

Cet homme, certes désormais impliqué dans l'appareil militaire, est connu pour ne rien respecter. Alors qu'Ahmad al-Sharaa évoquait la pluralité et l'apaisement en Syrie, il publiait, le même jour, sans aucun devoir de réserve, une critique frontale de la transition en cours... 11/

Ce matin, il faut, au vu des éléments en main, pointer clairement du doigt, dans la droite ligne de ce qu'il a commis depuis près d'une décennie, Abu Amsha.

Rappelons que c'est aussi l'ANS, au nord, près de Lattaquié, si vous avez suivi ce développement, intervenant depuis le Rif d'Alep, qui a participé aux massacres. L'ancienne formation et ses anciens cadres sont en roue libre et n'obéissent, de facto, à personne. La Turquie ne laisse pas un formidable cadeau à la Syrie post-Assad... 12/

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