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Al Kalam est un projet porté par des étudiants et des universitaires visant à vulgariser la recherche historique et la documentation sur les débuts de l'islam.

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#Thread đź§¶ : Les origines du diable

Le diable fascine autant qu'il effraie. Mais qui est-il vraiment ? Quelles sont ses origines ?

Dans ce thread, on retrace l'évolution de Satan depuis les mythes proche-orientaux jusqu'au Coran, en passant par la Bible.⤵️

Pour commencer, le thread s'appuiera en grande partie sur le livre incontournable de Neil Forsyth intitulé "The Old Enemy: Satan and the Combat Myth".

Dans cet ouvrage, l'auteur démontre que notre conception du diable découle d'une longue évolution qui plonge ses racines dans des mythes proche-orientaux qui mettent en scène un affrontement entre le « Bien » et le « Mal », qui sont incarnés par une (ou plusieurs) entité(s) surnaturelle(s).

On donnera ci-après de nombreux exemples. ⤵️

Dans l'Égypte ancienne, il y a le combat bien connu entre le dieu Seth et son frère Horus.

Seth est une divinité foncièrement mauvaise. Meurtrier de son père Osiris, il est fréquemment représenté sous la forme d'un serpent ou d'un cochon, parfois de couleur rouge.

Les historiens estiment aujourd'hui que le combat entre les frères ennemis reflète en réalité les luttes dynastiques entre les rois de Haute-Égypte (Horus) et de Basses-Égypte (Seth).

Certains de ses traits physiques, comme sa couleur rouge et son aspect bestial influenceront durablement la représentation classique du diable, qui hérite également des cornes et de la queue d'Anubis.

On part maintenant en Mésopotamie, à la rencontre du célèbre Gilgamesh.

Dans son épopée, Gilgamesh se rend au bois de cèdres, gardé par le monstre-dragon Huwawa, « l’adversaire ».

Vient-il simplement couper du bois ou, comme le disent des versions plus tardives, délivrer son peuple du mal, symbolisé par Huwawa ?

Quoi qu’il en soit, il réussit à le tuer, rapporte sa tête au
roi des dieux, Enlil, qui est furieux et déclenche une vague de terreur sur le pays.

Avec le temps, l’histoire va subir un certain nombre d’évolutions. La forêt, qui symbolisait au départ la Syrie ou le Liban, le pays des cèdres (du grec lebanon, cèdre), devient le monde sombre et tragique préfigurant l’enfer.

Certains épisodes viennent se greffer à l’histoire d’origine : il y est question notamment d’un arbre sacré gardé par un serpent, qui rappelle évidemment le récit d’Adam et Eve...

Dans la mythologie babylonienne, le thème du combat entre le Bien et le Mal revient de façon récurrente.

Il est question notamment d'un mythe qui met en scène le combat de Ninurta contre l’oiseau Anzu, un messager du dieu Enlil.

Mais Anzu est un oiseau rebelle, qui complote contre Dieu afin de prendre son pouvoir. Il constitue ainsi le prototype de l’ange rebelle, bien connu de la tradition judéo-chrétienne et musulmane.

Toujours chez les Babyloniens, on ne peut s'empêcher d'évoquer un autre mythe, dans lequel les hommes, nés du sang du démon Kingu, sont intrinsèquement mauvais, et où le mal se transmet de génération en génération (vous avez dit péché originel ?)

Tous les maux de l'existence sont infligés par des démons aussi cruels qu'effrayants, à l'image de l'Assyrien Pazuzu, devenu mondialement célèbre grâce au film L'Exorciste (l'originel de 1973, pas les remakes bidons !)

Chez les Grecs, comme chez les Romains, il n'existe pas de diable. La multitude des dieux limite la puissance de chacun et engendre des rivalités entre eux, qui suffisent à expliquer l'existence du mal.

Ă€ la rigueur, la figure qui se rapprocherait le plus du diable serait Pan, le dieu cornu Ă  face de bouc.

Venons-en maintenant au diable mazdéen, Ahriman, souvent considéré par les historiens comme le prototype de Satan.

Dans la doctrine zoroastrienne, il existe un dieu suprĂŞme, Ahura Mazda, ainsi que deux esprits jumeaux, le bon, spenta manyu, et le mauvais, ahra manyu, ou
Ahriman, en lutte perpétuelle.

Ce dernier, représenté comme un serpent, possède une
armée de démons à son service : Azazel, démon des lieux déserts, qui sera incarné dans le Bouc émissaire, Léviathan et Rahab, démons du chaos, et Lilith.

La tradition judéo-chrétienne ainsi que musulmane héritera également de ces démons.

📚 Partie 2 : le diable dans la Bible

Jusqu'à maintenant, on a parlé des "ancêtres" du diable dans les mythes du Proche-Orient. Mais qu'en est-il de la Bible ?

De manière surprenante, le diable est quasiment absent dans l'Ancien Testament.

Le nom satan vient de la racine hébraïque stn qui signifie « l’adversaire », « celui qui met obstacle », ou encore « l’accusateur ».

La traduction grecque de la Bible, la Septante, rendra le mot satan par diabolos, du verbe diaballein, « mettre obstacle ».

Mais dans l’Ancien Testament, satan n’est pas encore le diable à proprement parler. Parfois, il désigne simplement un ennemi humain. Dans d'autres cas, il désigne un ange faisant partie de la cour de Dieu.

Fidèle serviteur de Yahveh, sa principale fonction est d'accuser les hommes auprès du tribunal céleste. Il parcourt la terre pour observer leur comportement et rendre compte à Dieu de leurs péchés.

Autrement dit, Satan est d'abord et avant tout un procureur, au sens littéral et juridique du terme. Dans la vision de Zacharie, il joue le rôle de procureur dans le procès du grand prêtre Josué : « Le satan se tenait à sa droite pour l’accuser » (Zacharie 3 : 1)

Évidemment, on ne peut parler du diable dans la Bible sans évoquer le récit d'Adam et Eve... et du serpent.

Mais contrairement à ce que l'on croit habituellement, le serpent du Jardin d'Éden n'est pas le diable ! Il s'agit d'un simple animal, certes particulièrement rusé. On a vu que dans de nombreux mythe proche-orientaux, le serpent représentait les forces démoniaques, ce qui a pu faciliter le rapprochement avec le diable.

L'identification formelle entre le serpent et le diable est le fait de sectes juives postérieures.

Pour les auteurs anciens, le choix du serpent comme symbole du Mal était sans doute évident vu la terreur qu'inspire ce vil animal. Des études fort intéressantes montrent d'ailleurs que la peur des serpents, commune chez les primates, serait innée et proviendrait de notre évolution biologique.

Si le diable est absent ou presque dans l'Ancien Testament, il est en revanche incontournable dans les textes du Nouveau Testament.

Dans les Évangiles, Satan est présent presque à chaque page, et il est même qualifié de « prince de ce monde ».

Alors comment est-on passé d'un personnage, serviteur de Dieu, à la figure du Mal par excellence ?

C'est qu'entre temps, plusieurs courants juifs sectaires sont passés par là. Ces courants, proches de la secte de Qumran, ont eu la bonne idée de laissé derrière eux de nombreux écrits, dont l'un aura une importance particulière : le Livre d'Hénoch, du nom d'un patriarche mythique présenté comme l'arrière-grand-père de Noé.

Influencés par les mythes babyloniens, ces écrits expliquent l'existence du mal par une révolte des anges conduits par leurs chefs Azazel et Semihazaz.

Attirés par la beauté des femmes, ils descendent sur Terre pour s'unir à elles, engendrant une race bâtarde qui sèmera le chaos sur la Terre. C'en est trop, Dieu provoque alors la déluge pour débarrasser l'humanité de ce fardeau.

Les anges rebelles sont punis également : selon certaines versions, ils deviennent des étoiles qui tombent du ciel, ce qui donnera en latin l’expression Lucifer, « porteur de lumière ».

Conclusion :

Comme toute chose, le diable a une histoire. La sienne remonte aux mythes proche-orientaux oĂą s'affrontent le Bien et le Mal.

Dans l'Ancien Testament, Satan est une figure en retrait, et pas spécialement maléfique ou rebelle. Le changement s'opère peu avant notre ère, dans des sectes juives, qui imaginent la figure du diable comme celle d'un ange déchu, devenu à la fois ennemi de Dieu et de l'homme.

Dans le prochain thread, on se concentrera spécifiquement sur le diable en islam, Iblîs. Nous verrons comment le Coran, et la tradition musulmane, reprennent à leur tour les mythes proche-orientaux, auxquels viennent s'ajouter les représentations rabbiniques et syriaques.

📚 Pour en savoir plus sur ce sujet passionnant, rendez-vous dès maintenant sur notre site al-kalam.fr pour découvrir notre article consacré à Iblîs : al-kalam.fr/rites-et-croya…

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