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En train de lire "La théorie postcoloniale et le spectre du capital" de V Chibber (éd. de l'Asymétrie), je découvre que sur 610 délégués du tiers état en 1789, près de 500 exerçaient des professions juridiques (p107) (j'pensais pas que c’était autant...). Table des matières 🔽
Lecture terminée. Quelques observations sur ce livre qui se révèle très bon.

L'auteur est Vivek Chibber, professeur de sociologie New York University,
en.wikipedia.org/wiki/Vivek_Chi…
Grâce à la théorie marxienne enrichie notamment des acquis de l’historiographie des Révolutions anglaise et française, V. Chibber réfute point par point les thèses des théoriciens subalternistes d’une façon méthodique et incisive.
Chibber discute essentiellement contre les principaux théoriciens des Subaltern Studies : Chatterjee (Nationalist Thought and the Colonial World, 1986), Guha (Dominance without hegemony, 1997), et Chakrabarty (Provincialiser l’Europe, 2000).
L’ouvrage de Chibber est salutaire car il met à nu les présupposés conceptuels des théories subalternistes. On est ainsi frappé de l’extrême faiblesse de leur assise.
L’ambition de Chibber est de réfuter la thèse d’une division fondamentale entre Orient et Occident posée par la théorie postcoloniale (dont les Subaltern Studies sont la principale branche) (p 40-42)⤵️
Résumé de ce qui se joue (p 312)
⤵️
les th. postcoloniaux considèrent que les catégories marxistes sont aveugles à rendre compte de l’exploitation en Orient au vu de la persistance des hiérarchies raciales qui "sape l’idée d’universalisation du capital" (p.170-171) ⤵️
Chibber bat en brèche l’argumentation subalterniste en montrant que le capital sait parfaitement utiliser à son profit les différences (ethnie, race, caste, genre, nation, religion etc.) au sein du procès de travail. (p.176-177) ⤵️
Chibber montre que le capital (dit "Histoire 1" chez les th. subalternistes) englobe in fine l’Histoire 2 (les identités culturelles) ; les stratégies RH du multiculturalisme l’illustrent par exemple (p 349) ⤵️
Toujours sur le thème de l’ethno-différencialisme, les th. postcoloniaux affirment que la psychologie socio-politique (agency) des classes subalternes d’Orient est étrangère à la rationalité ("occidentale") et mettent l’accent sur la subjectivité culturelle propre à l’Orient
(p 278, 286, 295 par exemple)
⤵️
Ce faisant, les th. postcoloniaux tombent dans un essentialisme culturel, ce qui n’est pas le moins des paradoxes pour une théorie qui s’affirme postcoloniale (p 285) ⤵️
Ils détournent le sens du concept de travail abstrait chez Marx et lui font dire ce qu’il ne dit pas. Chibber montre que l’extraction du surtravail par les employeurs est le résultat d’une négociation avec les identités concrètes (p 215-216) ⤵️
Avec l’historiographie récente des Révolutions anglaise (1688) et française (1789), Chibber montre que les formes bourgeoises (impersonnelles, reconnaissance de l’égalité formelle etc.) ont été impulsées par les classes populaires, infirmant les thèses de Guha et Chakrabarty
Chibber indique que "le succès des classes populaires (...) eut précisément pour résultat d'intégrer davantage ces classes à l'ordre bourgeois" (p 220-221) ⤵️
Chibber conclut que :
- les Subaltern Studies échouent totalement à rendre compte d’une spécificité de l’Orient
- la théorie postcoloniale est au final une idéologie (chapitre 11)
Au premier abord, j’ai toujours été étonné des prétentions théorico-politiques des tenants des Postcolonial / Subaltern Studies.
En quoi l’Occident et l’Orient suivraient-ils des chemins séparés ?
En quoi les catégories de la théorie marxienne ne seraient pas adéquates pour comprendre ce qui se déroule dans les pays du Sud ? Où sont les faits et données empiriques ? Où sont les preuves ?
La théorie postcoloniale joue les "culturalites" contre les "matérialistes", prétend remettre en cause les catégories de la pensée rationnelle, surjoue les contrastes entre Occident et Orient, fait abstraction du réel avec des hypothèses contrefactuelles.
La théorie postcoloniale est conceptuellement très mal élaborée et empiriquement non étayée.
Le discours sur les identités culturelles ne mène nulle part, sauf à prospérer sur le marché des marchandises symboliques des identités ou à faire fonctionner un petit capital pseudo-radical.
Il semble donc que la petite-bourgeoise universitaire postmoderne soit en mal de radicalité. L'histoire en contient beaucoup d'exemples.
La lecture peut se prolonger sur le site dédié proposé par l’éditeur : subalternes.com

On peut lire notamment deux entretiens avec l’auteur : subalternes.com/une-interview-…

Coup de chapeau aux éditions de l’Asymétrie que je découvre donc.
La recension du livre par deux intellectuels postcoloniaux (cf. site de la revue Période) prête à sourire. Ils n’ont pas peur du ridicule en appelant à un "dialogue" avec la théorie marxienne.
Désolé mais il n’y a rien à négocier avec une idéologie. Elle se réfute et on passe à autre chose. Game over.
Chez ces théoriciens, on a vraiment l'impression que le problème n’est pas tant le contenu de la théorie marxienne que son origine européenne.
La critique des postcoloniaux est finalement purement rhétorique (la "subversion des discours impérialistes", "le rapport savoir-pouvoir") et elle se paye de mots ("eurocentrique", "eurocentrisme", "acquérir l’hégémonie dans un champ" etc.).
A noter que les deux universitaires postcoloniaux spéculent sur ce que pourrait être un "matérialisme postcolonial".
Sur ce point, on les renvoie à ce qui se passe en Algérie en ce moment (mais aussi au Soudan). Et la théorie postcoloniale n’est d’aucune utilité pour en rendre compte.
Le cas algérien est intéressant : une révolution politique d’inspiration libérale (intrinsèquement bourgeoise) semble prendre forme.
A titre de comparaison, et toutes choses égales par ailleurs, la Corée du Sud avait connu ça durant la période 1980-1987 conduisant à la libéralisation du régime politique. Idem pour la Tunisie en 2011.
Sur le site de l’éditeur, on peut lire de la critique de Kolja Linder qui centre son article moins sur le livre de Chibber que sur l’affirmation d’une "défaillance du marxisme",
l’appelant (je cite) au "pluralisme, c’est-à-dire l’art du compromis et de la médiation, (qui) apparaît intimement lié à la capacité à effectuer son autocritique."
subalternes.com/koljalindner/
Je pense que la cohérence interne de la théorie marxienne (ses bases) n’est pas contestable ; elle rend compte adéquatement du réel.
Personne ne conteste la nécessité de réinvestir, enrichir, actualiser la théorie marxienne… mais pas avec n’importe quoi et n’importe comment.

Cf. à ce propos la lettre d'Engels à Weiner Sombart du 11 mars 1895 :
« Toute la manière de concevoir, chez Marx, ce n'est pas une doctrine, c'est une méthode. Elle n'offre pas de dogmes tout apprêtés, mais des points de repère pour une recherche ultérieure, et la méthode de cette recherche ».

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