En 2003, le monde de l'ESR est secoué par des difficultés budgétaires, l'achèvement relatif de l'augmentation du nombre d'étudiants et la pression du processus de Bologne qui parle un peu trop d'« économie de la connaissance » pour être honnête.
Ces inquiétudes se concentrent dans un « projet de loi sur l'autonomie des établissement d'enseignement supérieur », qui fleurent bon la LRU avant la LRU.
En effet, les dispositions prévues initialement dans la loi de 2003 font rêve : regroupement, découplement recherche/enseignement, précarisation, asservissement aux entreprises, diversification des financements, y compris par les frais d'inscription...
Mais ce n'était que reculer pour mieux sauter, et la loi de
2006 reprit l’essentiel des dispositions du projet de loi d’orientation et de programmation pour la recherche et l’innovation de 2003.
C'est entre ces lois de 2003 et de 2006 que s'organisèrent les Etats Généraux de la Recherche (EGR), visant à « poser les bases d'un nouveau pacte entre le monde de la recherche et la société française ».
La suite montrera que l'enjeu était énorme.
EGR prend sa source dans l'appel "Sauvons la Recherche !" (SLR), lancé le 7 janvier 2004 par 150 responsables, et visant à lancer un grand débat national.
Le ministère contre-attaqua (en vain ?) avec des « Assises de la Recherche », dont le nom restera comme un cicatrice.
Auto-organisés en comités locaux, les chercheurs se mirent au boulot pour faire des propositions... Et cela donne un rapport vraiment très sensé : les propositions sont raisonnables, chiffrées, et on y perçoit un soucis du bien commun de la société rafraîchissant.
Las... Comme on le sait déjà, les propositions ne furent globalement pas suivies par les gouvernements, que « la sagesse politique » ne semble pas étouffer.
Mais la façon dont elles furent détournées, avec le recul, me semble tout à fait pertinente à observer.
Sur le front des propositions suivies par les gouvernements (les alternances n'ont pas altérer le mouvement), et pas des moindres :
La création des PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur), mis en place avant d'être remplacés par les COMUEs en 2013.
Ou encore la création d'institutions indépendantes du ministère : HCS pour piloter, CEOR pour évaluer et CoFiPS pour financer les opérateurs.
Elles ressemblent fort au couple ANR/HCERES (ex-AERES) que nous connaissons aujourd'hui.
Sur le front des propositions proprement ignorées, on retrouve pourtant des choses très simples, et qui ont un écho particulier aujourd'hui.
Par exemple, les Etats Généraux de la Recherche étaient #NoFakeScience « before it was cool » (c'était il y a 15 ans).
Encore plus frappant : le Crédit d'Impôt Recherche.
Les opportunités étaient parfaitement saisies, ainsi que leurs conditions de réalisation.
Las, V. Pécresse le réforma en 2007, mais pour le transformer en une vulgaire niche fiscale.
Dommage...
Ce qui est frappant avec ces deux exemples ignorés est qu'ils ne demandaient rien d'autre que du courage politique, ou au moins un soucis du bien commun.
Ce qui est frappant avec les deux exemples récupérés est qu'ils étaient compatibles avec les plans politiques déjà écrits.
En effet, les PRES étaient compatibles avec les PUP, proposés dans « Pour un modèle européen d’enseignement supérieur » (Attali 1998).
Ainsi le financement par projet était pensé seulement en complément d'une dotation de base suffisante, et pour « augmenter la réactivité ».
Il sert aujourd'hui à mettre en concurrence les chercheurs pour obtenir les moyens de base pour travailler.
In fine, c'est comme si les gouvernements, dans un élan de cynisme sidérant, avaient utilisé ce rapport non pas pour fixer une direction, mais pour piocher des éléments de langage permettant de rendre acceptables leurs propres plans aux yeux des chercheurs.
Cette hypothèse me parait se confirmer lorsqu'on regarder la partie « Comment réformer ? » du rapport.
Alors que les réformes successives peuvent avoir l'apparence de la 3ème voie (réformer vers le haut), tout porte à croire que leur objectif est celui de la 2ème (sauver 10%).
En tous cas, cette deuxième voie semble compatible avec bien des actions (IDEX, EUR...) et discours (« Bois mort ») contemporains.
Quoi qu'il en soit, il est certain que la direction du globale proposée par les Etats Généraux de la Recherche est parfaitement orthogonale à la direction qu'à pris notre système d'ESR depuis 15 ans.
Il faudrait en tirer quelques conclusions.
La première me parait à écarter : les EGR aurait été naïfs, ou aurait manqué de connaissances managériales, et auraient ainsi prêté le flanc au détournement.
Il faut donc recommencer, mais en mieux, en plus avisé.
J'en doute. Tout texte peut être ainsi détourné sans difficulté.
La seconde est plus sérieuse : il ne suffit pas d'exprimer, il faut contrôler.
Aussi sensé soit le texte, exercer un rapport de force permanent pour vérifier que les dirigeants ne s'écartent pas de trop des volontés des dirigés est indispensable.
C'est le prix de la démocratie.
La troisième est inquiétante : si les dirigeants peuvent à ce point détourner les volontés, sensées et raisonnables, des dirigés... Alors nous ne sommes plus en démocratie.
Le dialogue est, et doit, être rompu, et ce jusqu'à une preuve de retour à une démocratie raisonnable.
Dans cette troisième perspective, il serait urgent que les gouvernements renouent un lien de confiance avec la communauté universitaire.
Ça ne sera pas facile... D'autant que je n'en vois aucune volonté.
Mais ça me parait indispensable.
Car s'il est facile pour les dirigeants d'être sourds aux dirigés, le contraire est tout autant vrai.
Or, les grandes transformations que opérons à l'heure actuelle sont vouées à l'échec sans le concours de ceux qui doivent les mettre en œuvre.
Peut-être est-ce là le grand enjeu de l'ESR pour les prochaines années : arriver à effacer la trahison de 2004, renouer la confiance, et repartir -ensemble- dans une direction communément acceptée.
Et pour finir : Je n'y étais pas. J'ai reconstruit cette histoire à partir des rapports et des écrits. Il est donc tout à fait possible que je fasse complètement fausse route.
C'est pourquoi, si un ancien passait par là, pour donner son témoignage ou son avis...
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"L’obéissance jusqu’à l’absurde des fonctionnaires"
Cette histoire d'écoles se pliant à une demande (factice) absurde, me fait penser à une histoire que je me suis raconté pour comprendre la puissance de l'évaluation #ESR.
Avec justement des chapeaux.
Les évaluations qu'on connait aujourd'hui revêtent une apparence de rationalité.
Si on lit par exemple les tous premiers critères d'évaluation Hcéres, ça parait sérieux.
En fait, c'est toujours plus ou moins absurde.
Par exemple ici, il faut identifier des ambitions à long terme, ce qu'on pourrait estimer absurde alors qu'on a une visibilité budgétaire qui ne dépasse pas 2 mois depuis au moins une vingtaine d'années.
Que justifie le total silence du parti présidentiel sur cette question, alors qu'il a modifié le Code de l’Éducation tous les 8 jours en moyenne depuis son arrivée au pouvoir ?
Pourquoi ne pas n'expliquer son orientation politique et son projet ?
Cette histoire de délais de réponse dans #Parcoursup est un sujet vraiment passionnant quand on s'intéresse à l'action publique et à la techno-bureaucratie de l'#ESR.
Avant #Parcoursup, il y avait APB.
L'affectation s'y faisait avec une échéance collective, pour la hiérarchisation des vœux, puis une machine calculait les affectations en moins de 24h, et ensuite tous les candidats recevaient leur réponse en même temps. letudiant.fr/etudes/parcour…
Pour une raison peu claire, la hiérarchisation des vœux a été supprimée, et la machine ne peut donc plus calculer l'affectation en 24h.
A place, on mis la phase de réponse en continue de #Parcoursup, qui allait de mai à.. septembre. 5 mois.
[ #VeilleESR #LRU ] Document de travail acte II de l'autonomie
- suppression de la qualification et généralisation des CPJ
- suppression des 192h/384h et modulation des services
- « assouplissement » des ATER et vacations
- généralisation des EPE et dévolution
RH : on peut résumer par « supprimer les statuts des personnels », pour permettre aux présidences d'individualiser les recrutements, temps de travail et rémunérations.
Emmanuel Macron s'y était engagé.
Budget et finance : on peut résumer par « YOLO », avec financement à la « performance » plutôt qu'aux besoins, possibilité de faire n'imp avec le fond de roulement et possibilité de s'endetter.
Bref, un encouragement à flamber.
Résultat du Quizz « l'Education Nationale, ce bastion impossible à réformer », en image.
Voici les modifications du Code de l'éducation depuis l'élection de M. Macron.
(Attention, certains articles ont été modifiés plusieurs fois, ce qui ne se voit pas ici.)
Autre visualisation des modifications du Code de l'éducation, cette fois-ci pour un bachelier de l'an dernier, qui serait donc entré en maternelle en 2009.
(Attention, le gros ajout du début est sans doute de la consolidation de code, à droit constant.)
Depuis l'élection de M. Macron, le Code de l'éducation a été modifié par 55 lois, 15 ordonnances et 331 décrets (voir liste ci-dessous).
Pendant la scolarité d'un bachelier de l'an dernier, ça aura été 120 lois, 34 ordonnances et 589 décrets.