#Thread
Hier soir j’étais avec des amis, tout se passait bien, lorsqu’une des personnes a souhaité me partager son avis sur la scolarisation des enfants des « gens du voyage » en proposant une « sédentarisation forcée des familles » durant la période des 3 à 16 ans de l’enfant
Face à cette proposition, qui m’a quelque peu ému, j’ai eu la surprise de voir les autres personnes présentes acquiescer et je me suis dit que peut-être ces analyses simplistes étaient partagées par le plus grand nombre.
Pour commencer, il n’y a pas une réalité mais des réalités, aussi diverses que variées, puisque la catégorie administrative « gens du voyage » englobe des dizaines de communautés très différentes les unes des autres, parfois même sans aucun lien ethnique, culturel ou religieux.
On peut dire que les « gens du voyage » ne sont pas nomades, car seuls 15% des personnes régies par cette catégories administrative sont aujourd’hui « itinérantes » si on s’en réfère au chiffre du Conseil de l’Europe.
Ainsi on trouve des enfants vivant une mobilité tout au long de l’année, d’autres occasionnellement et d’autres jamais. En réalité, en 2019 la plupart des « enfants du voyage » grandissent au sein de familles adoptant un mode de vie sédentaire.
Parmi ceux qui voyagent, certains se déplacent sur le territoire d’un département, parfois même de quelques villes. D’autres se déplacent à l’échelle d’une région ou du territoire métropolitain, certains vont jusque dans les outres-mers.
Selon l’étendue et la fréquence de la mobilité, la scolarisation est plus ou moins simple.
Ce mode de vie mobile n’est pas l’apanage des « gens du voyage ». Certaines familles, dont les parents exercent des professions fortement mobiles, imposent ce rythme à leurs enfants.
Certains sous contrat public comme les fonctionnaires nationaux ou européens oeuvrant dans le secteur de la diplomatie par exemple. D’autres sous contrat privés ou hors contrat et là les cas se déclinent à l’infini, de l’artiste à l’homme/femme d’affaire.
Il existe aussi certains cas plus atypiques de parents menant à bien un projet de vie itinérante à travers le monde. Ceux-ci agrègent la sympathie et la curiosité du grand public et constituent même une source d’inspiration.
Pourtant une différence de taille existe, si ces derniers modèles de vie rencontrent une sympathie large, la mobilité comme mode de vie séculaire et culturel d’une communauté produit un tout autre effet sur le grand public.
Des communautés, qui pourtant en majorité sont sédentaires, celles des Rroms, Stinti, Voyageurs, Manouches, Travellers, Gitans … Bref celles que l’on peut regrouper par facilité de langage et de discours sous le terme « Tsigane », ou comme on le fait en France « gens du voyage »
Cette hostilité ne date pas d’hier et continue aujourd’hui, on lui trouve même un petit nom l’antitsiganisme, Je vous propose un très synthétique texte en guise de perspective historique : laviedesidees.fr/La-France-cont…
Sur la période du XXe siècle, je vous renvoie également à ce thread (
), lui aussi très synthétique. Pour approfondir, préférez lire Henriette Asseo, Ilsen About ou Marc Bordigoni par exemple.
Sur la situation européenne, la littérature est très prolifique, mais vous pouvez vous reporter à celle proposée par le Romani Studies Program du @ceu : ceu.edu/unit/romani-st… ou les textes des institutions européennes : coe.int/fr/web/roma-an… qui ne sont pas trop mal fait.
@ceu Quant à la question de savoir ce que recouvre la notion d’antitsiganisme, est-ce qu’il s’agit d’un
racisme etc. Je vous laisse le soin d’explorer par vous même la littérature existante et le travail d’associations, comme par exemple @lavoixdesrroms .
@ceu@LaVoixdesRroms Peut-être en guise de lecture je peux vous conseiller dans le tweet suivant, cet article de Leonardo Piasere, anthropologue italien, qui constitue une des références en matière d’études tsiganes
@ceu@LaVoixdesRroms (Piasere, Leonardo. « 11. Qu’est-ce que l’antitsiganisme ? », Catherine Coquio éd., Roms, Tsiganes, Nomades. Un malentendu européen. Editions Karthala, 2014, pp. 237-262.)
@ceu@LaVoixdesRroms Mais revenons à nos moutons, l’antitsiganisme s’alimente aussi d’une méconnaissance de certaines réalités, comme le fait qu’il existe des classes sociales chez les « gens du voyage ».
@ceu@LaVoixdesRroms Très loin de la bichromie médiatique qui n’accepte aucune autre représentation entre celles du voyageur riche roulant en Porsche donc forcément malhonnête et le rrom pauvre vivant dans les bidonvilles donc « n’ayant pas vocation à vivre en France ».
@ceu@LaVoixdesRroms Bref, vous aurez compris que dans cette multitude de cas et il existe autant de problématiques en matière de scolarisation, et donc pas de solutions miracles et universelles.
@ceu@LaVoixdesRroms Aujourd’hui lorsque vous êtes parents d’un « enfant de familles itinérantes et de voyageurs » (EFIV) vous avez deux choix : soit vous scolarisez votre enfant dans chaque école des villes où vous vous rendez, soit vous passez par le CNED autrement dit les cours par correspondance
@ceu@LaVoixdesRroms À noter qu’il existe des écoles mobiles, mise en place en cas de manque d’aires d’accueil, pour une très courte période, ou qui voyagent avec les familles, mais le plus souvent ce sont des écoles privées dont jouissent soit les grands cirques, soit les grandes familles de la fête
@ceu@LaVoixdesRroms Pour tous les autres, le parcours scolaire s’apparente souvent à un parcours du combattant. Dans le cas de l’enfant voyageant toute l’année, il n’est pas rare de fréquenter plusieurs dizaines d’écoles par an. Cela à été mon cas pendant des années. Ici le suivi est très compliqué.
@ceu@LaVoixdesRroms Dans les années 1990 nous n’avions pas internet et le suivi se résumait en un simple carnet, rempli plus ou moins consciencieusement par les instituteurs.
@ceu@LaVoixdesRroms La difficulté pour eux d’intégrer un enfant sur une courte période est réelle, l’avancé dans les programmes et les différences de niveaux n’étant pas toujours les mêmes que celles de leurs classes.
@ceu@LaVoixdesRroms Beaucoup d’enseignants préféraient par exemple me mettre au fond de la classe avec des coloriages, décision justifiée soit par le manque de temps, soit par le manque de moyens.
@ceu@LaVoixdesRroms Parfois par le manque d’envie et avec le recule je pense que cette dernière situation est très souvent nourrie par une méconnaissance et un ensemble de préjugés.
@ceu@LaVoixdesRroms Dans certains cas isolés il est même arrivé que des enseignants tiennent des propos racistes, parfois bien assumés. Dans mon expérience ces cas sont minoritaires mais se sont bien produits.
@ceu@LaVoixdesRroms Aujourd’hui les conditions sont différentes, les nouvelles technologies aidantes, le suivi entre enseignants se fait de manière plus fluide et régulière. Pour autant de nombreuses difficultés persistent, en réalité ce sont les mêmes que dans les années 1990.
@ceu@LaVoixdesRroms Plusieurs pistes de travail sont envisagées par les pouvoirs publics, la première est la formation des enseignants à travers des programmes comme Eduscol directement piloté par le ministère, une deuxième est d’établir un lien de confiance et d’adhésion avec les parents d’EFIV.
@ceu@LaVoixdesRroms Dans les rapports de l’éducation nationale on laisse sous-entendre que les parents d’EFIV sont culturellement désintéressés (ce sont mes termes) par les questions scolaires et qu’il convient de leur en démontrer l’intérêt pour l’enfant.
@ceu@LaVoixdesRroms Encore une fois la réalité est bien plus complexe. D’une part, la plupart des parents d’EFIV ont parfaitement conscience de l’importance d’une éducation académique et vous diront toujours qu’il est important que leurs enfants sachent bien lire et compter.
@ceu@LaVoixdesRroms D’autres part, la mise en place de politiques visant à une meilleur prise en charge de ces enfants dans le milieu scolaire ne peut être efficace qu’aux conditions de donner les moyens matériels et immatériels aux familles de le faire.
@ceu@LaVoixdesRroms Il convient également pour l’école de prendre en compte l’existence des savoirs, savoir-faire et savoir-être de ces familles.
@ceu@LaVoixdesRroms Premier cas, lorsque vous envoyer un enfant suivre les cours du CNED, il est impératif que les parents ou d’autres personnes puissent assurer un suivi scolaire efficient.
@ceu@LaVoixdesRroms Dans mon cas, seul mon père maitrisait les fondamentaux de la lecture et des mathématiques, ce qui m’a permis de suivre une scolarité à peu près « normale » jusqu’à ce qu’il se sépare de ma mère.
@ceu@LaVoixdesRroms Ensuite il a fallut se débrouiller seul à l’âge de 10 ans. Mon plus jeune frère lui s’est retrouvé dans cette situation à l’âge de 6 ans, le résultat est qu’aujourd’hui à 25 ans passés il peine à lire et écrire.
@ceu@LaVoixdesRroms C’est ce que l’on appelle le capital culturel, celui de mes parents étant différent de celui que la société exige.
@ceu@LaVoixdesRroms Autre cas de figure, pour les familles parquées à l’année dans des aires d’accueil, normalement personne ne doit rester plus de quelques mois dans une aire d’accueil.
@ceu@LaVoixdesRroms Ce qui serait le cas si les schémas départementaux établis tous les 6 ans pour l’accueil étaient respectés par les collectivités et s’il y avait une vraie politique d’inclusion et non pas de sédentarisation.
@ceu@LaVoixdesRroms Or le plus souvent un très grand nombre des aires également prévues ne sont pas construites ou insalubres. Pourquoi me direz-vous ?
@ceu@LaVoixdesRroms Et bien pour des raisons de différentes natures, mais le plus souvent politiques. Les élus savent très bien que la construction/rénovation de ces aires sont impopulaires auprès de leurs électorats (je reviendrai sur ce point une prochaine fois).
@ceu@LaVoixdesRroms À titre personnel je suis globalement contre les aires d’accueil, qui à mon avis, ne constituent en définitif rien de plus qu’un moyen de contrôle.
@ceu@LaVoixdesRroms Bref de nombreuses familles se retrouvent ainsi, pour des raisons matérielles, bloquées à l’année sur des aires d’accueil.
@ceu@LaVoixdesRroms Cette réalité est un facteur aggravant de pauvreté car elles sont situées dans la majorité des cas loin des centres urbains, à la lisières de zones le plus souvent inhabitées ou franchement inhospitalières.
@ceu@LaVoixdesRroms S’ajoute à cette situation une crainte, justifiée par une expérience vieille de plusieurs siècles en France et en Europe (parfois aussi liée à une méconnaissance) de nombreuses familles quant à laisser leurs enfants aux mains des gadje (« gadjé », désigne les personnes non-rom).
@ceu@LaVoixdesRroms D’autres facteurs entrent dans l’équation, une politique de contrainte de la circulation, de surveillance, une criminalisation des comportements par le droit et les médias, le rejet, les parcours administratifs complexes, la mauvaise prise en charge des populations allophones …
@ceu@LaVoixdesRroms Bref, tout ceci est un imbroglio dont il est nécessaire au préalable d’avoir une lecture de l’antitsiganisme pour le comprendre.
@ceu@LaVoixdesRroms En restant très schématique on note deux types d’antitsiganisme, celui qui veut tuer l’homme chez le Tsigane, c’est-à-dire celui mis en oeuvre par les nazis au XX siècle, basé sur la race.
@ceu@LaVoixdesRroms Le second est celui qui veut tuer le tsigane chez l’Homme, c’est à dire celui de nos démocraties néolibérales, qui considère tous les hommes comme égaux et donc souvent par déformation uniformes. Ici il faut sédentariser les populations, les intégrer ou les assimiler c'est selon
@ceu@LaVoixdesRroms Autrement dit, le problème est le mode de vie différent, mais jamais la Société qui rejette le mode de vie différent.
@ceu@LaVoixdesRroms Cela s’illustre par le droit et l’incapacité politique de la France et de nombreux autres Etats européens à prendre en compte de manière intelligente et constructive l’existence de peuples autochtones ou minoritaires.
@ceu@LaVoixdesRroms L’antitsiganisme touche aussi les familles catégorisées « gens du voyage » alors même qu’elles vivent de manière sédentaires sur des aires d’accueil, des terrains familiaux ou leurs terrains privés.
@ceu@LaVoixdesRroms Ici la différenciation des traitements n’est plus justifiable autrement que par le simple fait que les traités sont Tsiganes.
@ceu@LaVoixdesRroms Quelques chiffres pour illustrer ce thread, en France dans les années 1990, 5 % des « enfants du voyage » fréquentaient la maternelle, 50 % d’enfants étaient scolarisés de façon épisodique à l’école élémentaire et moins de 1% accédaient au collège
@ceu@LaVoixdesRroms En 2006 en France, les inscriptions des "enfants du voyage" sont de 66,7 % à l’école maternelle, 81,8 % à l’école primaire et 78,8 % au collège.
@ceu@LaVoixdesRroms Mais ces chiffres cachent une autre réalité, par exemple en Haute Garrone la même année seuls 19% des collégiens suivaient la section ordinaire (hors SEGPA et classe aidée).
@ceu@LaVoixdesRroms Les chiffres qui concernent leur présence dans l’enseignement supérieur sont quant à eux quasi-nuls.
@ceu@LaVoixdesRroms À l’heure de la démocratisation des nouvelles technologies de nombreuses solutions peuvent être mise en oeuvre afin de conjuguer école et mode de vie mobile. Mais cela impose de passer par deux chantiers préalables : la connaissance et la reconnaissance.
@ceu@LaVoixdesRroms Pour clôturer ce thread je vous propose ces quelques portraits vidéos réalisés par Fabienne Caraty formatrice au sein de la CASTNAV (centre académique pour la scolarisation des enfants du voyage) d’Aix-Marseille en 2010, qui en disent certainement plus que mon texte.
Et une nouvelle dégueulasserie environnementale ! Cette fois-ci à Reims où on prévoit d'installer à proximité directe de l'aire d'accueil des gens du voyage un nouvelle centrale d'enrobés dont les émanations de composés organiques volatiles sont fortement cancérigènes.
Là encore aucune étude d'impact ne s'est penché sur l'existence et l'incidence de l'installation au regard des personnes qui vivront à proximité.
L'association Air Environnement Grand Reims a introduit un recours pour faire cesser les travaux de la centrale qui ont dores et déjà commencés.
L'usine d'enrobés de Saint-Rogatien (17) est suspectée d'être à l'origine d'un nombre délirant de cancers pédiatriques déclaré dans cette petite ville. C'est pourtant ici que l'Etat envisage d'installer une aire d'accueil des gens du voyage. charente-maritime.gouv.fr/Actions-de-l-E…
On va encore mettre des gens, au milieu de zones d'épandage de pesticides, entre une unité de compostage et une usine d'enrobé aux odeurs abjectes d'hydrocarbure et d'excrements.
L'installation d'un chenil pour chiens y serait probablement interdite, pas celle de gens du voyage
Bon (long) thread sur cette affaire, parce que j'en vois certains qui ne comprennent pas que même dans les espaces qui leur sont spécifiquement réservés, les Voyageurs puissent se faire expulser.
Et oui nous ne sommes en sécurité résidentielle nulle part, même pas l'hiver ⤵️
Les aires d’accueil sont conçues pour "accueillir" temporairement des Voyageurs.
Les territoires ont développé ce réseau d’aires, qui atteint aujourd’hui environs 1400 sites en France, largement insuffisants pour répondre aux besoins. visionscarto.net/aires-d-accuei…
Alors on pourrait imaginer que le problème rentrera dans l’ordre le jour où toutes les communes qui ont une obligation d’accueillir, le feront.
12 chiens sont morts sur l'aire d'accueil de Saint-Pierre des Corps ces dernières semaines.
12 morts de chiens en bonne santé qui restent inexpliquées.
À moins que la situation environnementale catastrophique de cet équipement y soit pour quelque chose... ⤵️
Une fois n'est pas coutume (surtout en matière d'aire d'accueil), "l'aire des gens du voyage" de Saint-Pierre des Corps (près de Tours) est construite à l'écart de la ville, en bord de nationale (sans glissière de protection au passage) et sur une ancienne décharge.
La décharge est enterrée à moins de 3 mètres de profondeur et produit encore des émanations qui viennent à faire soulever la surface bitumée du terrain.
Des années que la situation est dénoncée sans qu'aucune mesure de relocalisation ne soit prise. francebleu.fr/infos/societe/…
Sans que cela ne pose un quelconque problème aux autorités locales et à l'Etat. L'aire d'accueil n'étant même pas prise en compte dans les études préalables.
Un deux poids deux mesures qui n'étonne plus, alors même que le ministère de l'intérieur édictait en 2022 une circulaire visant à éviter ce type de localisation.
La gendarmerie qui fait appelle aux chasseurs (dont les représentants ne sont pas avares de préjugés racistes dans l'article) pour surveiller les "tsiganes".
On reste dans la tradition depuis avril 1940 visiblement.
Non en fait on reste dans la tradition depuis la fin du XIX siècle lors des premiers grands recensements de "bohémiens et romanichels" où les autorités faisaient appel aux civils pour participer à la chasse à l'homme.