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J'achève, très touché, la lecture de Laëtitia (sous-titré : ou la fin des hommes) d'Ivan Jablonka, paru au Seuil en 2016.
Ce n'est pas un ouvrage qu'on lit, qu'on délaisse, qu'on reprend.
C'est une œuvre prenante, subjuguante, révoltante. #Thread
Le sujet du livre est ce que la presse nomma "L'affaire Laëtitia". Les répercussions judiciaires, politiques et sociales de l'affaire font que ce n'est pas "un simple 'fait', et [qu']il n'a rien de 'divers'". Je joins ici la première page du livre, synthèse de l'ensemble.
L’œuvre est à la fois une "enquête criminelle" et une "enquête de vie". Partant de ce qui devient une affaire d’État, l'auteur en expose les rouages judiciaires, médiatiques et politiques, tout en reconstituant parallèlement l'histoire de ces jeunes jumelles au destin tragique.
Ivan Jablonka, professeur d'histoire à l'université Paris XIII et écrivain, a été vivement critiqué par ses collègues de sciences sociales à propos de ce livre.
En effet, ses pairs ont été troublés par le caractère inhabituel de l'ouvrage, c'est un mélange des genres :
- l'auteur s'inscrit dans le paradigme indiciaire mais invente parfois des éléments de réel (e.g. : les pensées de Laëtitia). C'est donc l'aspect littéraire du rendu qui est critiqué, alors qu'il aborde une méthode historienne (sources croisées, analyse critique, etc.).
- la nature même du texte est ambivalente, entre bilan d'enquête criminelle et approche sociologique et anthropologique, mettant en lumière des thèmes forts (aide sociale à l'enfance, enquête judiciaire, mécaniques juridiques, récupération politique, domination masculine, etc.)
- enfin, certains furent surpris qu'un historien contemporanéiste renommé s'intéresse à un fait divers... d'aujourd'hui.
Cependant les thèmes mis en lumière par cette affaire sont étroitement liés aux travaux de l'historien (enfance placée, jeunesse, corps et genre), ...
... il n'est donc pas si surprenant qu'il s'en saisisse, d'autant plus que ses derniers travaux sur l'enfance s'étendent jusqu'à nos jours.
(A noter que le livre laisse deviner la circonscription progressive du prochain sujet d'étude du chercheur : le genre et la masculinité.)
Il faut rappeler que I. Jablonka s'inscrit dans un courant épistémologique particulier, rapprochant littérature et histoire. Nous ne rentrerons pas ici dans ces débats pointus, mais cela explique une partie des critiques ...
liberation.fr/debats/2016/11…
... certains considérant cet ouvrage comme la mise en pratique de son essai précédant : l'histoire est une littérature contemporaine.
Pour ma part, je considère que ce texte utilise les codes scientifiques pour tenter d'approcher le vrai, mais ne tend pas à répondre aux critères de scientificité. Ce n'est donc pas un travail de micro-histoire via la vie ou le crime de Laëtitia Perrais.
En effet j'estime que ce texte EST littéraire. Il ne prétend pas une fois être un travail d'historien. Des critiques acerbes reprochent à Jablonka le manque de contextualisation, qui donne lieu à une description des faits, d'un parcours individuel, bref qui donne lieu à un récit.
On s'éloigne en effet des Menocchio, L.-F. Pinagot ou J. Martin. Mais qui peut prétendre avoir éprouvé des sentiments pour eux à la lecture de ces archétypes de la microstoria. Il est même parfois difficile de les imaginer vivant !
Ce sont pourtant des classiques d'histoire, particulièrement réussis, qui ne répondent simplement pas aux mêmes finalités que celles portées par l'entreprise de Jablonka dans cet ouvrage.
C'est justement le récit, fluide par essence, qui est recherché, et par lui-même que s'exprime la beauté de l’œuvre.
Le projet initial de rendre sa dignité à Laëtitia, jeune fille réifiée toute sa vie (objet de chantage, objet sexuel, objet de violences, objet "placé"), est réussi du fait de la forme et du style adoptés dans le texte.
Jablonka utilise l'écrit comme vecteur sublimatoire, rendant compte de la force de caractère des jumelles face aux multiples drames vécus, et parvient non seulement à rendre (sa) grâce à Laëtitia mais également à sa sœur, Jessica.
Quelques sources :
Philippe Artières, “Ivan Jablonka, l’histoire n’est pas une littérature contemporaine !”, Libération, 6 novembre 2016
Matthieu Bonduelle, "Entretien avec Ivan Jablonka, historien et écrivain, auteur de Laëtitia [...]", Délibérée, n°1, La Découverte, 2017
Ivan Jablonka, "L’historicité de l’historien ou la place des morts", Sociétés & Représentations, n°43, Editions de la Sorbonne, 2017
Léonore Le Caisne, "Laëtitia ou la fin de l’enquête scientifique", Revue d’histoire moderne & contemporaine, n°64, Belin, 2017
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