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Bon allez, après beaucoup d'hésitations parce que #autopromo , je vais quand même vous parler un peu de ça parce que ça me rend heureux et fier 😊
C'est aussi le bon moment puisqu'on est en pleine Semaine Sainte, c.à.d. qui précède Pâques
Automne 2015, je commence à finir ma thèse. Objectif : boucler à l'été 2016. A priori, j'ai toutes les données, j'ai “plus qu'à” rassembler mes idées.
Et puis bon, en allant peaufiner des détails, je regarde d'un peu plus près le manuscrit 157 de la fac de médecine de Montpellier
Le manuscrit a été copié par un bonhomme qu'on connaît, Mannon de Saint-Oyen, qui y a mis sa marque (f.1r) et l'a décrit sur son testament dont on conserve des fragments (Besançon AD Doubs 7H9). Ça a été bien étudié par ma DT A-M Turcan-Verkerk en 1999 persee.fr/doc/rht_0373-6…
(DT = directrice de thèse)
En 1952, comparant avec un autre manuscrit, C Charlier avait conjecturé que les textes contenus dans celui-ci avaient été sélectionnés et rassemblés par Florus de Lyon. Cette conjecture a été démontrée en 2003, de nouveau par A-M Turcan-Verkerk doi.org/10.1484/M.BIB-…
Oups, encore une fois j'oublie de préciser les dates #mauvaishistorien
Florus de Lyon on connaît pas bien ses dates, il est actif à Lyon vers 825-855.
Mannon de Saint-Oyen est mort le 16 août 893. Il a copié ce manuscrit en 848, d'après certains textes du manuscrit (ici f.75v).
Donc Mannon copie, en 848, un recueil de textes conçu par Florus un peu avant. Turcan-Verkerk démontre que Florus a emprunté *et préparé* une bonne partie de ces textes dans un autre manuscrit conservé, Roma Vallicelliana E26 bvmm.irht.cnrs.fr/consult/consul… (1r, 2v, 38r, 43r)
Le recueil conçu par Florus est un manuel complet sur le calcul de la date de Pâques, qui a une histoire, hum, complexe.
Florus a puisé dans le manuscrit de la Vallicelliana des textes et instruments techniques pour faire un gros tuto “Calcule toi-même ta date de Pâques”
Avant le tuto, la moitié du manuscrit est remplie de textes plus théoriques et théologiques : le genre qui m'intéresse dans le cadre de ma thèse. Mais bon, j'arrive là, pour moi le dossier est bien balisé. Il manque juste un truc, une description complète du recueil.
Une description d'un recueil de textes médiéval, c'est fastidieux mais pas forcément compliqué : on regarde chacun des textes du manuscrit et on dit “Ah ça c'est tel texte, ça se trouve dans telle édition” ou “c'est inédit mais répertorié dans tel et tel catalogue de textes” etc.
Ça par exemple c'est un bout de ma description de ce recueil : en bleu c'est ce qu'on lit dans le manuscrit (titres, début et fin de chaque texte) et en rouge les renvois vers des éditions des mêmes textes.
Donc je m'attelle à ce travail parce qu'évidemment j'ai que ça à faire dans les derniers mois de ma thèse🙄, je prends le manuscrit au début et c'est parti pour le premier texte youpi en avant grand-maman…

Et là, gros blanc.

Ça correspond à… rien.
Donc là c'est un peu le moment où vous retournez *chaque* fiche de *chaque* base de données et où vous lisez tous les répertoires de la première à la dernière page et quand vous trouvez rien vous en déduisez logiquement que vous êtes un gros nul qui sait pas travailler.
Et que quand même au bout de trois ans et demi de thèse ça la fiche un peu mal d'être aussi incapable.
Donc là ce que j'ai fait c'est que j'ai… transcrit tout le texte. Ça détend. (Si, si.) Et puis même avec l'expérience des manuscrits ça reste plus simple de lire un texte composé, imprimé, etc. Donc je l'ai transcrit et ensuite je l'ai lu. Attentivement.
J'ai évidemment rien compris au texte, sauf que c'était visiblement *pas* un texte médiéval mais antique (tardo-antique), et du coup j'ai compris que j'étais vraiment un gros nul parce que j'avais forcément mal cherché dans les répertoires.
Les textes médiévaux non répertoriés, y'en a ; et des inédits, y'en a beaucoup. Les textes antiques, non. C'est *le* truc sur lequel tout le monde s'acharne depuis l'invention de l'imprimerie, donc on les connaît *tous*.

Sauf, ben… quand on les connaît pas.
Mais moi je voulais finir ma thèse 😭
Donc dans ma thèse j'ai bafouillé une page là-dessus, et j'ai soigneusement mis le truc dans un tiroir pour plus tard.

Un an plus tard, thèse finie et soutenue youpi, on s'y remet.
(Sauf que là ma plage de travail quotidienne atteint son terme, et je vais avoir des soucis avec ma femme et ma fille si je ne libère pas rapidement le salon. Évidemment je suis plus bavard que je ne voulais. Bon, je reprendrai plus tard et j'essaierai d'être plus concis ! 👋👋)
Donc.
Automne 2016, j'ai trente ans (et demi), et j'ai dans un tiroir ce qui a de bonnes chances de rester à tout jamais la plus belle trouvaille de ma carrière.

C'est génial. Mais c'est pas complètement complètement simple.
Heureusement j'arrive sur un poste en or, à l'@ef_rome, avec trois ans devant moi pour faire presque exclusivement de la recherche. Sans ça je ne suis pas sûr que j'aurais pu relever le gant.
Pour l'instant je comprends pas grand chose à ce qui m'arrive ni au texte que j'ai trouvé, à part 2 choses : il est inédit, il est tardo-antique. Ça veut dire qu'il est pas complètement raccord avec ma spécialité (Lyon au 9e siècle), mais qu'il prend la priorité sur tout le reste
Je suis *obligé* de donner une édition du texte. Mais il suffit pas de transcrire le manuscrit : je suis bien placé pour le savoir puisque justement, c'est ce que j'ai fait en premier, transcrire le manuscrit. Et je comprends pas grand chose. Pour éditer, il faut comprendre.
Mais j'ai pas les clefs. L'auteur parle de la date de Pâques et de gens qui fixent pas la date comme il faut, d'accord. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? De qui il parle ? Qui c'est, ce type ? On est quand ? Et pourquoi son latin est aussi horrible ???
(Pardon j'essaie d'organiser mes idées au fur et à mesure pour raconter sans que ce soit non plus interminable, même si ça en prend clairement le chemin 😅)
Il faut se rendre compte que le texte et l'auteur sont *nulle part*. À part les bases de données et répertoires, j'ai aussi cherché dans les bibliographiques *antiques*. Jérôme, Gennade, Cassiodore… évoquent plein de livres qu'on a perdus depuis. *Personne* ne parle de celui-là.
Donc j'ai un texte dans un manuscrit du 9e, et j'estime (au flair, si on veut) qu'il est bien antérieur, mais j'ai rien pour me raccrocher aux branches. La seule piste disponible, c'est le texte lui-même. Il faut comprendre qui parle, de quoi, à qui et quand.
En fait c'est Florus qui m'a aidé. Plus loin dans son recueil, il a construit une “histoire par les textes” du calcul de la date de Pâques : sept siècles de disputes, retracés step-by-step. Donc il suffit de trouver à quelle étape de cette histoire “mon” texte appartient.
Donc je me suis mis à lire tout ce que je pouvais sur les controverses pascales antiques et oh boy.

Un jour dans un papier l'auteur écrivait: “An immense cloud of dust has been raised over the Pascal question…

… or rather, the Pascal questionS.”

J'oublierai jamais.
Ça m'a pris des mois où j'avançais quand même vraiment à tâtons. Et en même temps je me posais d'autres questions. Comment c'était possible que moi, un gros nul, j'aie découvert un texte antique inédit et inconnu au bataillon, le gibier préféré des savants depuis 5 siècles ?
Rétrospectivement je pense que j'étais vraiment dépassé, à ce moment-là. Mais cette question, au moins, je savais comment l'attaquer, chercher et répondre. Le texte était méchant avec moi, mais *comment les textes se transmettent (ou pas), sont lus (ou pas)*, ça c'est ma partie.
Donc au moins pendant que je pataugeais complètement dans mon travail *sur* le texte, j'ai quand même pu avoir le sentiment d'avancer grâce à l'étude que je faisais sur *son histoire* (sa non-histoire).
Il y a ce débat récurrent sur Twitter : est-ce qu'on peut vraiment dire qu'on a “découvert” un truc qui est dans un document bien connu ? Les chercheurs ont tendance à crier à la découverte, alors que le machin est gentiment répertorié dans les catalogues. Et dans mon cas ?
C'était une vraie question. En fait le texte est bien mentionné dans quelques descriptions de ce manuscrit qui sont imprimées depuis longtemps… Mais en une phrase, et comme elle ne correspond à rien de connu par ailleurs, personne n'est allé vérifier ce que c'était.
En 1949 par exemple un moine allemand écrit : “Ah oui tiens il y a ce titre, là, il est curieux”. Mais est-ce que tu vas sauter dans un train, dans les années 40, juste pour aller voir si au bout d'une phrase curieuse il y aurait pas un texte tardo-antique inédit ?
En gros, si je l'ai découvert, moi, c'est parce que d'autres gens l'ont découvert avant, mais que tous les rendez-vous avec une large diffusion ont été manqués. Florus l'a découvert, mais son recueil n'est pas sorti des cercles lyonnais.
Au 17e siècle le manuscrit a été découvert par un érudit, Pierre-François Chifflet, qui a très bien compris à quoi il avait affaire. Mais il se faisait tout le temps piquer ses trouvailles. Donc celle-là, il en a parlé à personne, pour se la garder.

Et il l'a jamais publiée.
Et par la suite peu de gens se sont intéressés à ce manuscrit, et quand ils s'y sont intéressés c'était généralement pour d'autres choses dans ce manuscrit.
Finalement si je l'ai “découvert”, moi, un bébé chercheur, c'est parce que je travaillais sur Florus, donc ça m'intéressait de voir comment il avait fichu son recueil *dans son ensemble*. Je cherchais pas des textes antiques, je cherchais des recueils médiévaux.
Donc celui qui a découvert le texte en vrai c'est Florus de Lyon.
Jérôme Gennade et Cassiodore ne le mentionnent pas. On n'en a aucun autre manuscrit. Et ça se comprend : le propos du texte est complètement obsolète au Moyen Âge, et son latin est dégoûtant. Qui va copier un truc pareil ? Sans Florus, le texte partait aux poubelles de l'histoire
Donc tout ça nous ramène au texte !

(détour entièrement, euh, calculé, hum hum)
Et en effet je vais prendre une nouvelle pause pour finir demain : je dois bientôt lâcher l'ordi, et mine de rien c'est exigeant de faire ce parcours rétrospectif dans le format de Twitter… Mais promis demain on parle enfin du texte 🤪

👋👋

Désolé d'avoir été plus sérieux aujourd'hui et d'avoir oublié d'illustrer (alors que ce que j'aime c'est justement la manière dont les textes s'incarnent dans les bouquins). Ça a été un peu introspectif, à ma grande surprise. Mais demain on parle du texte, donc on va rigoler 🤪
Bonjour !
Petits nota-bene avant de poursuivre.

D'abord, l'article de Turcan-Verkerk sur Mannon de Saint-Oyen (1999) est libre sur @PerseeFr, mais l'autre (Florus préparant son recueil, 2003) est derrière un paywall. Une version libre est téléchargeable ici ➡️ academia.edu/10971452
2. J'ai évoqué mon travail sur *l'histoire du texte* (pourquoi Florus l'a sauvé mais personne ne l'a édité jusqu'ici) mais j'ai oublié de mettre la référence. La version publiée est derrière un paywall ici dx.doi.org/10.1484/J.RB.5… et une version libre ici halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01631409
3. Ce thread est complètement improvisé, et je n'avais pas prévu de parler autant de moi. Désolé. C'est que je suis narcissique, et aussi parce qu'en travaillant sur les gens qui travaillent sur les textes j'ai appris que leur personnalité et leurs conditions de travail comptent.
Mais maintenant qu'on a bien fait le tour sur les conditions de transmission du texte aux périodes médiévales et modernes, on remonte dans le texte et son vrai contexte, l'Antiquité tardive.
En lisant l'abondante bibliographie scientifique sur les controverses pascales antiques, j'ai vu :
1° Qu'en effet les spécialistes ne connaissaient pas ce texte (toujours la crainte d'avoir mal cherché — je l'ai toujours)
2° Qu'ils tomberaient de leur chaise en le lisant
Les controverses pascales antiques c'est très compliqué pour plusieurs raisons : le sujet est technique et met en jeu plusieurs paramètres, la question a évolué dans le temps et selon les régions, mais on a somme toute peu de textes pour travailler
Leurs auteurs appartiennent à des périodes et des régions différentes, ils n'insistent pas forcément sur les mêmes aspects, et ils n'expliquent pas tout car certaines choses sont pour eux évidentes. Et certains ont pu eux-mêmes mal comprendre le problème…
En même temps, ces fortes variations dans l'espace et dans le temps permettaient de “trianguler” l'origine du nouveau texte : les problèmes qu'il aborde, la manière dont il les aborde, et les positions qu'il défend, appartiennent à un certain lieu, à une certaine époque
Par exemple, le manuscrit présente l'auteur comme “Timothée, évêque”, mais ne dit pas d'où. Par contre, le latin du texte est vraiment très mauvais, et pas seulement comme quelqu'un qui écrit mal : il y a de gros hellénismes.
Donc on a un nom grec, et un texte visiblement traduit du grec. L'auteur s'adresse à une communauté, et c'est en grec qu'il lui écrit. Donc même si le texte du manuscrit est en latin, le texte d'origine n'a pas été écrit en Occident, mais dans la partie orientale de l'Empire.
(Évidemment, j'ai aussi fouillé les répertoires et sources de littérature grecque pour voir si l'original est conservé. Apparemment pas, enfin, jusqu'à ce qu'on le retrouve 😉)
Ensuite, l'auteur parle de problèmes liés à la définition de la date de Pâques, et pour lui ce n'est ni un problème lointain, ni un problème ancien. Il est en plein dedans, il est directement concerné et sa communauté aussi. Il stresse et ça l'énerve.
Primo, ça fait une différence avec un certain nombre de nos sources conservées (historiens, théoriciens de l'hérésie), et secundo ça veut dire (triangulation encore) que si on arrive à dater et localiser les problèmes dont il parle on sait que notre bonhomme traîne dans le coin.
Et ces problèmes, d'après ce qu'on peut reconstituer par les autres sources, ils n'ont vraiment été d'actualité qu'au 4e siècle (probablement déjà dans la seconde moitié du 3e), dans cette région :

(d'après la carte que B. Sauvlet a dessinée pour l'édition, p. 199)
Donc là encore ça colle assez bien avec le nom grec de l'auteur et la langue originale du texte.
Bon tout ça, ça m'a beaucoup aidé à comprendre ce que racontait Timothée, mais c'était pas assez pour éditer. Il y avait plein d'endroits où le texte restait vraiment obscur. Or on publie pas un texte incompréhensible, même par endroits : ça rend pas service.
De nouveau, je pataugeais. Le coup de chance extraordinaire, ça a été d'avoir demandé de l'aide à Camille Gerzaguet.
Camille, c'est une amie, on avait déjà collaboré sur quelques trucs, et j'ai énormément d'admiration pour son travail. Ma chance, ça a été de l'avoir ; pour elle, c'était pas de la chance, c'est juste qu'elle est balèze.
Je lui ai envoyé le texte pour lui demander de l'aide sur les grumeaux qui me résistaient. Et en lisant un passage elle m'a dit : “Attends attends ça me dit quelque chose, ça”

Et elle m'a sorti un texte de saint Augustin qui correspondait pile.
Elle : “Ah je savais bien que j'avais déjà lu ça quelque part”
Moi : 🤯

Je sais pas si vous situez bien le niveau de balèzitude, là : il est très très haut.
Donc il se trouve qu'un passage du texte est cité, texto, par saint Augustin.

Donc j'avais effectivement mal cherché 🤪
En fait, il se trouve dans un dossier de trucs machins qui gravite autour d'œuvres d'Augustin. François Dolbeau l'a étudié en 1997 : il établit que ce sont des notes prises par Augustin, dans les années 380, tantôt pour préparer ses œuvres tantôt à partir de ses livres.
Le papier est là : doi.org/10.1484/J.RA.5…
À propos du passage qui nous intéresse (“Sent. 2” pour lui), Dolbeau conjecture que ce n'est pas quelque chose qu'Augustin a écrit, mais quelque chose qu'il a emprunté à un autre texte, perdu : (p.125)
Ça, c'était majeur. En essayant de raccrocher l'auteur à l'histoire du calcul de Pâques, j'avais estimé qu'il datait du 4e, plutôt du début. Mais mon manuscrit était du 9e siècle. Là, on avait la preuve qu'Augustin pouvait déjà lire ce texte dans les années 380.
Évidemment c'était génial de voir mon analyse confirmée. En même temps, ce qu'avait trouvé Camille était capital, et j'étais passé à côté. Je pouvais pas dire que c'était de moi, ni me contenter de la remercier en note de bas de page.
En plus, je pataugeais déjà auparavant avec mon texte, et d'un seul coup s'ajoutait une énorme couche de travail supplémentaire. Camille, c'est une vraie spécialiste du 4e siècle (pas moi), et une éditrice chevronnée (pas moi). Je lui ai demandé de faire l'édition avec moi.
Et heureusement, elle a accepté. Quelle chance j'ai eue. Elle est arrivée avec plein de questions auxquelles j'avais pas pensé.
Elle a établi que le traducteur de Timothée n'utilise aucune des versions latines de la Bible existant alors : il traduit chaque citation coup par coup. Ça confirmait que le traducteur était pas occidental, mais un hellénophone lui-même, et qu'il a travaillé un peu à l'arrache.
Elle a aussi trouvé un autre auteur latin qui s'est inspiré de Timothée : donc qui connaissait ce texte, vers la même époque qu'Augustin, mais en Espagne.
On s'est esquintés ensemble sur les difficultés du latin et sur la traduction française, et on n'était pas trop de deux.
J'ai aussi longtemps cru, à cause de Florus, que Timothée attaquait *un* groupe de gens dans l'erreur. C'est grâce à Camille que j'ai finalement vu qu'en fait il en attaque *plusieurs* successivement.

Bref. J'y serais jamais arrivé sans elle. Complémentarité parfaite.
Mais dans un premier temps on a écrit à François Dolbeau. Vous imaginez : “Cher Monsieur, en 1997 vous avez postulé l'existence d'un texte lu par Augustin. On l'a retrouvé.” 🤪
Mais du coup c'est intéressant de voir ce qu'Augustin et l'autre auteur ont gardé de Timothée : les passages “abstraits”. Une exégèse des rites juifs de la Pâque tels qu'ils sont prescrits dans l'Exode, et une envolée lyrique sur le Jour du Salut (= la Pâque chrétienne).
Le reste, ça les a pas intéressés. C'était le vrai sujet dont Timothée voulait parler, mais ça ne pouvait pas vraiment intéresser en dehors de la zone concernée par les problèmes qu'il visait. C'est aussi pour ça que le texte n'a pas été copié au Moyen Âge et a failli disparaître
Timothée, il est vraiment embêté parce qu'autour de sa communauté il y en a *plein* qui font n'importe quoi avec la date de Pâques. Il a peur de la contagion. Or la date JUSTE, c'est CRUCIAL.

Si tu fêtes pas Pâques le VRAI JOUR, tu fêtes pas le VRAI CHRIST. ➡️🔥🔥🔥
Y'a des gens ils font Pâques comme les Juifs, le 14 Nisan, sans faire gaffe si ça tombe un dimanche. ALORS QUE ÉVIDEMMENT IL FAUT QUE ÇA SOIT UN DIMANCHE ÉVIDEMMENT TOUT LE MONDE SAIT ÇA VOYONS. [Je lui laisse l'entière responsabilité de ses propos.]
Pour Timothée, la *fête annuelle* de la Résurrection (= Pâques) doit coïncider avec le *jour hebdomadaire* de la Résurrection (= le dimanche). Ce parti-pris, qui l'a emporté historiquement, prévaut déjà dans la quasi totalité de l'Église à son époque.
Mais la coutume qu'il attaque est bien attestée depuis le 2e jusqu'au début du 5e siècle, et c'était pas trois clampins égarés au fond d'un taillis : c'était la tradition officielle d'Éphèse, un siège apostolique (et toute sa région avec elle) !
Y'en a d'autres, ils veulent supprimer les embolismes. Donc là Timothée il est
12 mois lunaires, ça fait 11 à 12 jours de moins qu'une année solaire. Donc tous les trois ans environs, le calendrier juif ajoute un mois entier pour compenser le retard (comme un 29 février, mais un mois entier). C'est l'embolisme.
Selon Timothée, ceux-là croient que si t'ajoutes un mois après le dernier de l'année, alors tu fêtes Pâques au 2e mois de l'année nouvelle, mais il faut la fêter au 1er mois de l'année, et si tu la fêtes au 2e tu fais la Pâque des impurs, donc il faut pas d'embolisme 😱😱😱
Donc là Timothée il explique que l'embolisme c'est juste l'ordre naturel des choses.

En réalité on peut très bien imaginer un calendrier lunaire strict, sans correction périodique : p.ex. celui de l'Islam. Mais dans le christianisme cette idée n'est pas envisagée.
Tellement pas envisagée qu'a priori cette manière de fixer la date de Pâque n'était pas attestée avant la découverte de Timothée, sauf erreur. En fait elle n'a probablement pas été très répandue, parce qu'en effet c'était une erreur technique, qui a dû être rapidement corrigée.
Ce qui est très intéressant (quoique pas nouveau) avec ces deux coutumes, c'est qu'on entrevoit des communautés chrétiennes très très attachées à la Loi juive. Elles cherchent à en respecter scrupuleusement les commandements, dans le christianisme.
D'un autre côté, Timothée attaque des gens qui, se fiant aux “Actes de Pilate”, veulent fixer Pâques “dans les mois romains”, c-à-d à une date fixe *dans le calendrier solaire* (au lieu du calendrier lunaire juif). MAIS ÉVIDEMMENT QU'ILS ONT TORT [chut, chut, Timothée, calme, là]
ÉVIDEMMENT QU'ILS ONT TORT [mais arrête tu vas réveiller tout le quartier] PUISQUE CES ACTES DE PILATE C'EST UN TISSU DE MENSONGES ET EN PLUS LA PÂQUE C'EST UNE FÊTE JUIVE DONC QU'EST-CE QU'ILS VIENNENT FAIRE LÀ TES MOIS ROMAINS

(J'exagère à peine. Ça l'énerve vraiment ce truc.)
(Y'a encore des gens qui lisent ? Désolé j'aurais dû couper pour faire un quatrième épisode. Ou rien faire du tout. Désolé. Ce thread est hors de contrôle.)
Par d'autres sources, on sait que ces Actes de Pilate se présentaient comme les minutes officielles du procès de Jésus, et, comme tels, ils commençaient par… une date ! Une date romaine ! (Généralement le 25 mars.)
Donc certains chrétiens y voyaient ce qu'on appellerait la “date historique” de la Passion, et, ben, y'avait qu'à commémorer à la date anniversaire 🤷‍♂️ genre Noël aujourd'hui

Timothée :
Bon en réalité c'est une question de point de vue, hein. Ceux qui fêtaient la Pâque au 14 Nisan comme les Juifs ils fêtaient à date fixe, mais fixe… dans le calendrier lunaire. Vouloir qu'une “date historique” soit la date dans le calendrier solaire, c'est un parti-pris.
De toute façon Timothée il veut un dimanche, donc forcément ça sera pas fixe, quel que soit le calendrier. Mais le calendrier qu'il veut, c'est pas le solaire des Romains, ça reste le lunaire des Juifs. Avec l'embolisme.
Avant, il a attaqué des communautés chrétiennes qui suivent scrupuleusement la Loi juive. Maintenant, il reproche à une autre de vouloir jeter à la poubelle l'héritage juif de Pessah. Donc il est sur une espèce de position moyenne.
J'aime autant vous prévenir tout de suite #spoileralert qu'avoir une position moyenne ça fait pas de lui un “good guy” dans l'histoire… compliquée des relations entre Juifs et chrétiens dans l'Antiquité tardive.
Son système, respecter le calendrier juif mais fêter la Pâque du Christ le *dimanche après le 14 Nisan*, ça présente l'avantage à ses yeux de vraiment marquer la rupture avec les Juifs. Car comme ça la Pâque juive tombe systématiquement pendant la Semaine Sainte…
Son opinion lui appartient.

Ce qui est intéressant, c'est que ce n'est *pas* cette coutume qui l'a emporté.

À partir de la 2de moitié du 3e siècle, des penseurs chrétiens se mettent à critiquer le système de l'embolisme. Pas du tout pour les mêmes raisons que plus haut.
Avec l'embolisme, certaines années le décalage entre année solaire et lunaire est supérieur à 15 jours, mais pas suffisant pour qu'on ajoute un mois. Du coup, la Pâque de la nouvelle année tombe avant que l'année solaire soit finie.

C'est pas forcément gênant, mais ça a gêné.
Donc les théoriciens chrétiens du calendrier (surtout des Alexandrins) affirment qu'autrefois les Juifs avaient une “borne” solaire : l'équinoxe. Que les Juifs d'aujourd'hui le font plus, mais c'est parce qu'ils se sont égarés, et qu'à l'époque du Christ encore c'était respecté.
Déjà au début du 4e siècle Alexandrie a adopté ce mode de calcul, qui triomphera partout en quelques siècles : Pâques c'est le dimanche après le premier 14-de-la-lune (= la première pleine lune) *après l'équinoxe*.
Mais Timothée il est pas au courant.
En fait, il a l'air d'appartenir à un courant qui a perdu la bataille des coutumes pascales à une date qu'on connaît : le concile de Nicée en 325.
Une des questions abordées par le concile était la manière de fixer la date de Pâques, pour résorber certaines divergences.
On n'a pas de document de Nicée édictant *une* manière précise de faire, et en fait ils n'en ont probablement pas élaboré, parce que Alexandrie et Rome (en particulier) ont conservé quelques divergences de détail pendant deux siècles.
Mais les documents conciliaires annoncent triomphalement que l'unité a été faite (*tousse*) puisque certaines Églises ont renoncé à leur coutume divergente : celle qui leur faisait fêter Pâques parfois deux fois dans l’année, parfois zéro.

C’est le problème de l’embolisme.
Cette coutume, cette manière de fixer la Pâque avec l'embolisme, n'est attestée je crois qu'à partir de Nicée. On la retrouve ensuite dans plusieurs textes du 4e siècle, toujours pour l'attaquer.
Nicée a fourni des armes à l'apologétique : le consensus permet de repousser les coutumes minoritaires dans les marges de l'Église. L'argument du consensus de l'Église est largement utilisé au cours du 4e siècle pour attaquer ces hérésies auxquels on donne désormais des noms.
La coutume de Timothée, si nous ne nous sommes pas trompés, est celle qu'on a appelée “protopaschite” (parce qu'ils fêtaient, parfois, “Pâque avant” l'équinoxe). Mais Timothée ne défend pas sa coutume contre le règlement de Nicée : il l'ignore.
Donc si nous ne nous sommes pas trompés dans notre analyse de Timothée, c'est un auteur antérieur à Nicée, un représentant des Églises plus tard qualifiées de “protopaschites”, dont on ne conservait jusqu'à présent… aucune source.
Mais il appartiendra aux vrais spécialistes de l'histoire du calcul de la date de Pâques de déterminer si nous avons vu juste. C'est à cela que sert une édition…
Avec toutes mes plus plates excuses pour un thread qui a complètement toutes mes prévisions.

Et mes remerciements pour tous vos commentaires, que je regardais défiler d'un œil, et qui m'ont bien soutenu dans cette longue course !
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