Thread by @pierrealchaize

Je suis très dubitatif. Les voix/sons, c'est un sacré problème en histoire, vu que nous vivons pour la plupart environnés de sons, souvent parasites, beaucoup inaudibles tant ils sont assourdissants. Mais le pire c'est que cela dessert bcp le processus de reconstitution sérieuse.

https://twitter.com/secretshistoire/status/1261947680579870723

Évacuons tout de suite une idée reçue : on ne peut PAS reconstituer le passé, dans le sens où on ne peut pas recréer le réel du passé. Dans son entièreté, mais aussi dans sa perception contextuelle (et ça, c'est important).

Quand quelqu'un vous vend le "passé", la cuisine "comme à l'époque", la musique "comme à l'époque", le "combat comme à l'époque" c'est un menteur. Point. C'est un rasoir d'une efficacité redoutable, usez-en avec prodigalité.

Pourquoi ? Parce que vous n'avez aucun moyen de le vérifier. Quelque soit le nombre de sources historiques que vous aurez entre les mains, elles seront parcellaires, incomplètes, orientées, voire fausses.

Attention, cela ne veut pas dire, pour autant, que la proposition n'est pas dénuée de véracité, si le travail est réalisé avec méthode, sérieux, et en échange permanent avec d'autres chercheurs.

Dans ma branche, à savoir l'étude des arts martiaux anciens, la reconstitution des gestes occupe une place de plus en plus importante.
Nous avons la chance, du moins pour le bas moyen age, d'avoir un corpus de sources directes assez riche pour affirmer plusieurs choses :

1 - il existe des pratiques corporelles qu'on ne peut pas désigner autrement que comme "arts martiaux".
2- des pratiques sont fixées sur papier, avec des objectifs mémoriels et explicatifs.
3- on a assez d'éléments pour essayer de reproduire et voir des trucs.
4- c'est fun.

Bon, le dernier élément n'est pas super scientifique, merci à la team zet de ne pas venir faire le show.

Bref, on peut lire les textes anciens, analyser les images et tenter de reproduire, pour voir ce que ça fait en vrai.

Et ça fait des trucs. J'en parle assez sur ce compte twitter pour ceux qui me suivent.

Mais soyons très clair : quand vous voyez ça, vous ne voyez pas du "combat médiéval". Vous voyez une interprétation d'un manuel du XVe siècle, un seul manuel, qui ne décrit pas vraiment ses déplacements, ne parle pas de la gestion de la respiration ou de l'effort musculaire.

Pour faire simple, ce que vous voyez, c'est une proposition, une hypothèse, si on voulait utiliser des mots un peu en dehors de leur sens premier.

Alors, à quoi ça sert de faire de la reconstitution, si on a pas de moyen, de vérifier si c'est "vrai" ?
Pour plusieurs raisons : d'abord, sans être "vrai", on peut appliquer avec méthode la lecture d'une source, en argumentant cette lecture.
Ensuite, ben ça crée de la donnée.

Et créer de la donnée correcte, basée sur des sources correctement lues, ça peut donner des résultats.

Je passe sur le fait que les manuels d'arts martiaux prouvent un pan d'écriture ignoré ou du moins tourné en ridicule depuis des siècles, voulant que la culture martiale médiévale serait grossière, si inférieure aux escrimes modernes et contemporaines.

Incidemment, cela montre aussi qu'il existe un savoir corporel qui touche aussi bien à la représentation qu'à l'efficience, qu'il croise avec la danse, et globalement toutes les cultures du corps. Croyez moi, c'est pas rien.

Mais parfois, cela donne une autre image et permet de battre en brèche les idées reçues. Voire des choses inscrites dans l’inconscient collectif. Comme le poids des épées, contre lequel je me bats régulièrement. Mais d'autres choses, aussi, plus diffuses.

Prenons par exemple le pugilat romain : Virgile, dans l'Eneide, parle du pugilat. Une des précisions d'ordre technique et corporel les plus précises dit que "leurs mains passent et repassent sans cesse autour de leurs tempes et de leurs oreilles"

Croyez le ou non, mais beaucoup on vu, lu et cru qu'ici, le texte décrit des combattants qui exécutent une sorte de geste rituel, voire religieux, consistant à se frotter mutuellement les oreilles avant un combat.

Pourtant, quand on prend le conséquent corpus iconographique représentant les pugilistes antiques, et qu'on commence à produire des hypothèses avec nos propres corps, on voit qu'une autre possibilité fait jour.

Les combattants antiques sont équipés de gants peu volumineux, qu'on appelle prosaïquement des cestes, des protections métacarpiennes qui évitent les fractures du boxeur.

Pour le fun, ce bronze est reproduit dans les palestres du jeu Assassins Creed Odyssey. J'ai apprécié.

Philoscrate écrit à ce sujet que " le pouce ne doit pas agir conjointement avec les doigts quand on porte les coups".
En gros, les gants antiques permettent une liberté du pouce et autorisent l'ouverture de la main en combat.

Une fois en main, la reconstitution des gestes montre alors quelque chose : les outils modifient totalement les gestes.

Dans la boxe moderne, le combattant a les coudes collés au corps, les deux poings protégeant le menton, collés aux maxillaires. Pour cogner, il développe son poing vers l'avant et revient en garde.

A l'inverse, et c'est montré par l'iconographie antique, le pugiliste a les mains tendues en avant, coudes légèrement fléchis, mains dans l'alignement du menton.

Pour outrepasser la garde adverse et revenir en garde, une seule solution : armer ses coups vers l'arrière.

Et soudain, le texte de Virgile prend un autre sens : ce sont peut être les armements de coups qui passent autour des tempes et des oreilles. Les coudes pliés permettant d'offrir une garde pendant ces transitions. Tel mon camarade Brice Lopez sur cette photo.

Alors attention : rien ne permet de dire que le pugilat antique, c'est forcément ça, dans le détail ou dans l'idée générale. On a pas d'élément de comparaison de type "témoignage immédiat d'un combat".

Mais ça colle avec les sources.

Voilà un exemple de ce que permet la reconstitution.

Et on en revient à l'exercice de reconstruction de la voix de Louis, roi de France du 14 mai 1643 au 1er septembre 1715.

RIEN ne permet réellement de dire que c'est la voix du Roi.

Et pire, les sources, éléments permettant de proposer l'hypothèse sont très éloignés de la personne du Roi. Au pire, on a un embryon de voix possible par un homme de la même taille, du même poids, avec possiblement les mêmes déformations physiques.

Les tics de langage ? On sait pas. L'accent ? On sait pas. Un zozottement psychosomatique ? On sait pas. Des mots tabou ? On sait pas.

Ce n'est pas la voix du roi. Ce pourrait être un intéressant travail intermédiaire de reconstruction d'une voix, base, et je souligne, la BASE d'un travail d'analyse des voix de l'aristocratie au XVIIe siècle. L'histoire des sons existe, en plus. Donc c'est un sujet à creuser.

Mais Secrets d'Histoire ne vend pas la voix du roi. Ils vendent un produit, aussi désincarné et inexact qu'une copie plastique du glaive d'Astérix au parc éponyme.

J'adore Astérix. C'est ma première BD. Pas mon 1er livre d'histoire des guerriers gaulois.

Si vous voulez en lire plus sur les expérimentations menées sur le pugilat, commencez ici