Thread by @VictorPereir1

15 juin 1940. Premier conseil des ministres à Bordeaux.

Dans cette ville qui accueille des milliers de réfugiés fuyant l'avancée des troupes allemandes, le consul du Portugal désobéit à son gouvernement.

Il s’appelle Aristides de Sousa Mendes

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Retour en arrière : Aristides de Sousa Mendes est né en 1885 dans une famille aisée, traditionnaliste et catholique. Le père est juge.
Aristides a un frère jumeau, César, qui deviendra également diplomate
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Pas vraiment révolutionnaires, Aristides et César font des études de droit à Coimbra, université séculaire du pays. La même université où étudie puis enseigne António de Oliveira Salazar, né dans la même région qu’Aristides de Sousa Mendes.
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ASM rejoint la carrière diplomatique en 1910 : il multipliera les postes. Zanzibar, le Brésil, les Etats-Unis, l’Espagne, la Belgique à partir de 1929.
Dans les différents postes, une chose étonne : sa famille nombreuse ! Son épouse et lui auront 14 enfants
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ASM, monarchiste, n’a pas de problème avec l’arrivée de la dictature en 1926 puis le régime de Salazar.

Son frère jumeau est même ministre des Affaires étrangères quelques mois en 1932-1933.
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En 1938, ASM est nommé consul général à Bordeaux.
Il exécute ses missions : l’activité commerciale, l’inscription et la protection des immigrés portugais, la représentation du Portugal.
Ici on l’aperçoit lors d’une commémoration de la Grande Guerre à Bordeaux
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Dans les années 1930, la dictature de Salazar – comme les autres pays d’Europe occidentale – tend à fermer ses frontières aux réfugiés, notamment ceux qui fuient l’Allemagne. On craint à la fois les concurrents sur le marché du travail mais aussi les subversifs
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Un ensemble de décrets, de circulaires, enjoignent les consuls à délivrer précautionneusement les visas de transit. Le Portugal veut évidemment que les étrangers utilisent ses ports pour se rendre en Amérique mais il craint que des réfugiés s’installent dans le pays
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Au sein de la dictature, la police politique développe un discours antisémite pour justifier les restrictions. En 1938, le directeur de la police écrit à Salazar : « le Juif étranger est, par norme, moralement et politiquement indésirable ».
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Or, la police prend de plus en plus de pouvoir au sein de la dictature, notamment à cause de la grande peur causée par la guerre civile espagnole mais aussi à la suite de l’attentat qui a failli tuer Salazar en 1937.
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Peu après le début de la Deuxième Guerre mondiale, le ministère des Affaires étrangères diffuse la célèbre circulaire n°14.
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Les consuls ne peuvent plus délivrer des visas à des populations considérées comme indésirables – les apatrides, les personnes possédant un passeport Nansen, les Russes, « les Juifs expulsés des pays de leur nationalité ou de ceux d’où ils viennent », etc. – sans avoir obtenu.
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... l’autorisation préalable du Ministère des Affaires étrangères portugais

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Et, le 14 juin 1940, alors que les troupes allemandes entrent dans Paris et que des millions de personnes se trouvent sur les routes de l’exode, c’est à la police politique que les consuls doivent demander une autorisation

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Il va sans dire que ces consultations des autorités portugaises à Lisbonne prennent des jours voire des semaines alors que les requérants veulent quitter la France au plus vite.
C'est un moyen de bloquer la concession des visas

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C’est à ces textes que ASM désobéit en juin 1940.
Il a d’ailleurs commencé à désobéir avant et à plusieurs reprises.
Par exemple, en novembre 1939 il concède un visa à la famille d’Arnold Wiznitzer, juif autrichien, sans consulter Lisbonne.

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Il a aussi concédé un visa de transit à un républicain espagnol.
Ces désobéissances lui valent un sévère avertissement de sa hiérarchie en avril 1940 qui le menace de procédure disciplinaire en cas de récidive.

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A partir de mai 1940, Bordeaux se remplit de réfugiés – français mais aussi belges, hollandais, luxembourgeois, etc . – qui veulent échapper à l’avancée des troupes allemandes mais aussi fuir la France.
Bordeaux est un port et on espère prendre un navire

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Certains pensent partir via la péninsule ibérique.
Et pour cela il faut un visa de transit signé par le consul du Portugal. Et il faut lui prouver qu’on possède un visa du pays dans lequel on se dirige ainsi que des billets de bateau.
C’est souvent mission impossible

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Pour rajouter à la complexité de l’affaire, en vertu du règlement sur la police de la circulation en temps de guerre, tant les Français que les étrangers doivent obtenir une autorisation de sortie délivrée par une préfecture et visée par l'autorité militaire !

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Ici une demande du 22 juin et vous pouvez voir les tampons du 23 juin 1940

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Et pour aller au Portugal, il faut passer par … l’Espagne.
Il est donc nécessaire d’obtenir un visa de transit d’un consul espagnol !
on l'oublie trop souvent mais il faut rappeler le rôle du diplomate espagnol à Bordeaux : Eduardo Propper de Callejón

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en juin 1940, le consul d'Espagne à Bordeaux abandonne son poste. Callejón, diplomate à Paris, passe par Bordeaux et se rend compte de la situation.
il décide alors d'ouvrir le consulat et de donner des visas.
Yad Vashem le considère comme Juste parmi les nations en 2007

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Au moment de l’exode, il y a donc plusieurs dizaines de milliers de français et d’étrangers réfugiés à Bordeaux.

Certains veulent quitter la France et se dirigent au consulat portugais qui est Quai Louis XVIII, près de la place des Quinconces.

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Le consulat portugais – et ses abords – sont remplis de réfugiés. Parmi ces réfugiés, ASM rencontre le rabbin Kruger qui a fui la Belgique. Kruger et sa famille n'ont nulle part où aller.
Sousa Mendes les accueille chez lui, au consulat

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[Petite pause : fin du thread dans la soirée]

L’activité du consulat ne cesse de croître et il délivre de nombreux visas, sans toujours pouvoir respecter les circulaires ministérielles

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Le 17 juin 1940 : Pétain, nouveau président du Conseil, demande la cessation des combats.
Sousa Mendes décide alors de donner gratuitement des visas à tous ceux qui le demandent, sans chercher à respecter les circulaires de Lisbonne

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Il vise les passeports qu’on lui soumet et il est aidé par le personnel du consulat, sa famille et le rabbin Kruger.
Des centaines de visas sont délivrés

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Le 20 juin, ASM décide d’aller à Bayonne où se concentrent des milliers de réfugiés qui ont continué plus au sud
Le vice-consulat portugais, rue du Pilori, est également très sollicité et le vice-consul, lui, obéit aux ordres de Lisbonne

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A Bayonne ASM prend le contrôle du vice-consulat et délivre massivement des visas. Il y a tant de monde qu’on craint que les escaliers de l’immeuble où se trouve le vice-consulat, au troisième étage, ne s’écroulent

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Entre temps, à Lisbonne, via l’ambassade anglaise, on apprend que Sousa Mendes délivre massivement des visas tandis que les autorités espagnoles s’inquiètent aussi de l’entrée de milliers de réfugiés

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Le 23 juin, l’armistice a été signé la veille. ASM continue de signer des visas et se rend au plus près de la frontière, à Hendaye.
L’ambassadeur du Portugal en Espagne – un proche de Salazar – se rend également à Hendaye pour comprendre ce qu’il se passe.

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A Hendaye, de longues files de voitures attendent de passer en Espagne.
Double contrôle : français et espagnol.

Par ex, le 15/6 l'ancien premier ministre russe, Alexandre Kerenski est refoulé par la police espagnole. il doit retourner à Pau pour obtenir un visa de transit

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Certains abandonnent leur véhicule et essaient de passer clandestinement en Espagne (ils seront fréquemment arrêtés et envoyés dans le camp d'internement de Miranda de Ebro).

Après l'exode on retrouve des voitures et des vélos abandonnés près de la frontière, ici à Béhobie

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A Hendaye, ASM est retrouvé par l'ambassadeur portugais en Espagne qui estime que le consul portugais a « perdu la raison » à cause du chaos, du flot de réfugiés

Un journal basque évoque aussi la folie du consul portugais dès son édition du 25/6

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L'ambassadeur portugais à Madrid prévient les autorités espagnoles et déclare que les visas concédés par ASM doivent être considérés comme nuls.

Le journal ABC en rend compte dans son édition du 26 juin

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néanmoins, ASM ne rentre pas à Bordeaux. Le 25 juin, il accompagne des réfugiés au poste de Biriatou. Le poste espagnol n’a pas de téléphone et les agents ne semblent pas au courant de la nullité des visas portugais.
Les réfugiés réussissent donc à passer.

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Le 27 juin, les Allemands sont à Hendaye comme le montre cet extrait le registre des délibérations du conseil municipal.

Plusieurs centaines de réfugiés n'ont pas pu passer en Espagne

La presse espagnole publie des photos sur les alliés allemands arrivés à Hendaye

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Au final, il est très difficile de savoir combien de visas ASM à signer. Les registres n’ont pas été tenus jusqu’à la fin et comme les visas étaient donnés gratuitement, il n'y a pas de trace comptable.

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un chiffre est souvent évoqué : 30 000 personnes. Mais il semble exagéré car sur toute l’année 1940, selon la police politique, il y aurait eu 30 000 entrées au Portugal par voie terrestre... or tout le monde n'est pas entré en juin 1940...

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Mais ce chiffre est une question plutôt secondaire : c’est la volonté inébranlable de concéder des visas à des personnes menacées de mort par les nazis qui compte

ASM sait que les nazis arrêteront et interneront certaines personnes traquées

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Le 4 juillet, Salazar – qui est aussi ministre des Affaires étrangères – ordonne un procès disciplinaire à l’encontre d’ASM.
Ce dernier se défend. Selon lui, il a sauvé des personnes menacées, affolées, désespérées. Il a suivi ce que lui dictait sa conscience

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Selon lui, il a défendu le nom et le prestige du Portugal.

Son plaidoyer n’émeut pas Salazar qui, pourtant, plus tard, se vantera publiquement de l’hospitalité du Portugal et du sauvetage des réfugiés

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Le diplomate qui instruit le dossier propose une suspension d’exercice et de traitement de 30 à 180 jours.
Salazar n’est pas d’accord : il impose la suspension d’un an avec un traitement réduit de moitié puis la mise à la retraite.
ASM aura une pension de retraite réduite

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A partir de là, ASM ne cesse de vouloir se défendre de ce qu’il juge être une injustice.
il écrit plusieurs fois à Salazar : aucune réponse.
En 1945, il écrit aux députés portugais.
Il répète son geste humanitaire, le prestige donné au Portugal. Mais rien

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Plusieurs personnes lui ont écrit pour le remercier, pour lui témoigner de leur gratitude.
en 1945, même l’ambassade anglaise propose une réhabilitation.
Rien n’y fait : Salazar refusera de revenir sur sa décision.

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ASM est condamné à la pauvreté mais ne regrette pas son geste. Il meurt en 1954. Ses enfants se dispersent à travers le monde.

En 1967, Yad Vashem le déclare « Juste parmi les nations ».

Au Portugal la réhabilitation est plus lente et commence après la révolution en 1974

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En 1988, il est réhabilité par le Parlement portugais.

En 2020, la député Joacine Katar Moreira propose qu'il repose au Panthéon de Lisbonne. Par humanité, ASM a eu le courage de désobéir

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publico.pt/2020/06/09/pol…

Pour aller plus loin, il y a de nombreux sites dont celui réalisé par le ministère des Affaires étrangères portugais avec de nombreux documents

Fin

vidaspoupadas.idiplomatico.pt

Si vous voulez entendre des témoignages de personnes ayant obtenu des visas en juin 1940, un documentaire du début des années 1990 a été réalisé sur Sousa Mendes (en portugais mais la plupart des témoignages sont en anglais et en français)

arquivos.rtp.pt/conteudos/aris…

A la fin du documentaire, Jacques Chaban-Delmas dresse le parallèle entre Sousa Mendes et de Gaulle : deux rebelles qui, à Bordeaux, le 17 juin 1940, ont désobéi aux ordres.

A Bordeaux, le 17 juin 1940, de Gaulle part pour Londres et Pétain demande la cessation des combats.
Aristides de Sousa Mendes, lui, donne des visas à tous ceux qui se présentent au consulat.
Voici un extrait du registre du consulat pour cette journée historique