Mon "autopsie" du délit de #diffamation, de son usage par les hommes accusés de violences pour silencier les femmes et des logiques judiciaires à l'oeuvre dans ces situations
Un exemple ? Le mouvement #Iwascorsica, déjà objet de 48 plaintes en diffamation.
causette.fr/societe/en-fra…
[Thread] Le délit de diffamation, l'arme fatale des hommes accusés de violence.
Article sur le site de @CausetteLeMag 🔼🔼🔼
1/
2 appels à témoins ont été publiés sur le compte Instagram du collectif féministe corse @ZitelleInZerga le 23 juillet dernier.
instagram.com/p/CC_47L2Kv-I/…
2/ Les militantes ont retenu la leçon. Convoquées à la gendarmerie de Borgo le 15/06, suite au dépôt de 48 plaintes en diffamation par des hommes accusés de violences sexuelles via #IWasCorsica, elles y décrivent les hommes sans dévoiler leurs noms.
#TipsFéministes #Contournement
3/ Défini par la loi sur la presse du 29 juillet 1881, "à l’origine, le délit de diffamation est pensé comme une arme contre les puissants", explique @LarrereMathilde. Pour les législateurs d'alors, l’enjeu était de mettre fin à la censure a priori, "vestige de la censure royale"
4/ Saisi, le juge d’instruction n’a pas à déterminer si l’atteinte à l’honneur est caractérisée : si les propos sont vérifiés, qu’ils portent sur un fait précis et que leur auteur est identifié, un procès aura lieu pour que les deux parties plaident leur cause devant une cour.
5/ Seule « l’exception de vérité » peut mettre fin à une procédure (=empêcher un procès).
L'accusé·e peut l’obtenir en fournissant la preuve ABSOLUE que le fait imputé est vrai.
Mais, en matière de violences sexuelles, cette option est fortement improbable.
Pourquoi ?
6/ Parce qu'en cas d’imputation d’un crime ou d’un délit, cette "preuve absolue" ne peut être qu’un verdict déclarant la culpabilité de celui à qui le fait est imputé.

Et plus de 7 plaintes pour violences sexuelles sur 10 sont classées sans suite, aujourd’hui, en France.
7/ Derrière ce chiffre, autant de procès qui ne se tiennent pas et de verdicts qui ne se rendent pas. Et de "preuves absolues" qui ne se fourniront pas.

D'arme contre les puissants, le délit de diffamation est-il devenu un atout dans le jeu de certains ?
justice.gouv.fr/art_pix/stat_i…
8/ De fait, la justice est organisée de telle manière qu'une femme attaquée en diffamation par un homme qu’elle accuse de violences sexuelles a bien plus de chances de comparaître devant un tribunal en tant qu’accusée que l’homme qu’elle désigne comme l’auteur de ces violences
9/ Une des revendications phares apparues lors des manifestations organisées en Corse en juin et juillet dernier consiste à exiger que les plaintes des personnes victimes de violences sexuelles soient "enregistrées" et "considérées". Hasard ou coïncidence?
10/ D'ailleurs, les militantes de Zitelle in Zerga ont fait du dépôt de plainte un enjeu stratégique de leur mobilisation. Elles récoltent des témoignages, exhument les plaintes classées sans suite et procèdent à des dépôts de plaintes collectifs.
11/ Elen Thoumine rappelle que "la loi de 1881 n’a pas été réfléchie pour traiter des accusations de violences sexuelles portées par des femmes dans un contexte où la majorité de leurs plaintes n’ont aucune garantie d’aboutir, si ce n’est à une condamnation, au moins à un procès"
12/ Pour l'avocate, qui assistait l’une des accusées du procès Baupin, penser ces 2 réalités judiciaires (d'un côté les plaintes classées sans suite et de l'autre la fluidité des procédures en diffamation) séparément est "juridiquement compréhensible, mais socialement impossible"
13/ Ceci étant dit : puisque le droit offre la possibilité aux agresseurs de provoquer des procès en diffamation, les femmes qu’ils assignent en justice peuvent-elles les gagner ?
14/ Seule solution : la relaxe prononcée au regard de "la bonne foi" de l'accusée.
Celle-ci est définie, dans notre cas de figure, selon 3 critères cumulatifs : la recherche d’un "but légitime", l’"absence d’animosité personnelle antérieure" et la "prudence dans l’expression".
15/ C svt "la prudence" dans l'expression qui "pêche". Les magistrats ont tendance à considérer que "prudence" = "qualificat° juridique valide"
Sandra Muller a été condamnée en 2019 car le juge a considéré qu'elle n'avait pas été victime de "harcèlement sexuel" au sens de la loi.
16/ Lors du "procès Baupin", la procureure Florence Gilbert a eu une interprétation différente de la "prudence dans l’expression". Dans son réquisitoire, elle avait martelé que "la justice n’[était] pas la seule à pouvoir s’interroger sur la question des qualifications pénales".
17/ La magistrate a, ainsi, rappelé que les femmes avaient le droit de définir les actes qu’elles ont subis en utilisant les mots qu’elles considèrent appropriés.
Ce faisant, elle a réaffirmé que la liberté d'expression - garantie par la loi de 1881 - s'applique aussi aux femmes.
18/ Le double verdict du procès Baupin – la relaxe des accusées et la condamnation du plaignant pour procédure abusive – ouvre la voie aux magistrat·e·s pour faire jurisprudence quant à ce qui peut être considéré comme de la « prudence dans l’expression » dans ces affaires.
19/ Impossible de ne pas penser, ici, à #GiseleHalimi, qui racontait, dans sa longue interview sur @franceculture en 2011, qu'"aux magistrats qui nous répondaient d’aller voir le législateur, je répondais que la jurisprudence est l’œuvre des juges".
franceculture.fr/emissions/voix…
20/ L'association @AVFT_ (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) qualifie ces procédures en diffamation de "représailles judiciaires" et les rapproche des poursuites-bâillons, dénoncées par des ONG depuis des années.
justicepenale.net/post/2017/11/2…
21/ @valenceborgia, avocate de la @Fondationfemmes, revendique une approche politique : "Lorsqu’ils mobilisent la justice de cette manière, les hommes veulent réduire les luttes féministes à des problèmes personnels", soulignant que "dépolitiser peut être un acte politique".
22/ Pour Maître Borgia, le procès intenté par Denis Baupin a finalement été "l’occasion que se tienne le procès qui n’a pas eu lieu [pour violences sexuelles, ndlr]". Elle ajoute : "Ils vont peut-être y réfléchir à deux fois, désormais, avant de déposer leurs plaintes."
23/ L'AVFT a proposé un jugement alternatif de l’affaire Sandra Muller où elles proposent un argumentaire juridique qui permettrait aux magistrat·es de relaxer les femmes lors de ces procédures en diffamation.
avft.org/2019/10/01/dif…
24/ L’association s’est inspiré de la relaxe, en première instance, des "décrocheurs [de portraits présidentiels]" de Lyon, plaidant "l’état de nécessité" et proposant de considérer ces femmes comme des lanceuses d’alerte.
reporterre.net/IMG/pdf/de_cro…
25/ Derrière ce statut, un renversement de perspective : les femmes qui nommeraient publiquement leurs agresseurs sexuels seraient considérées comme signalant "un crime ou un délit, une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général".
J'ai écrit cet article en pensant à cette phrase de #GiseleHalimi dans #AVoixNue : "La justice ne dit pas la vérité, elle dit le droit. Celui-ci, parfois, coïncide avec la vérité".
📸 Horace
Un autre cas d'ecole à la France Insoumise. Des militantes se mobilisent derriere @Simonnet2
"Nous serons toujours soudées contre les tentatives de renversement des plaintes : les femmes doivent pouvoir s’exprimer sans crainte d’être attaquées en justice!"

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