Avec mes recherches sur la sorcière, c’est un peu Halloween tous les jours mais, en ce 31 octobre un peu particulier, voici une histoire d'épidémie, de sorcellerie et de vindicte populaire à la fin du Moyen Âge.
Si vous n'êtes pas à #Marmande, je vais vous faire voyager dans le Sud-Ouest du royaume de France.
Les faits se déroulent en 1453 dans cette cité située sur un territoire disputé pendant la guerre de Cent Ans entre les Français et les Anglais.
La ville, comme l'ensemble de l'Agenais, ont été repris par le roi de France, Charles VII, en 1444.
Toutefois, la Guyenne voisine est longtemps en proie aux conflits. En 1453 cependant, les Anglais ont quasiment été "boutés" hors de France, à l'exception de Calais.
Eprouvée par la guerre et les famines, Marmande est frappée brutalement cette année là par la Peste qui circule dans le Sud du royaume depuis 1450.
La rumeur d'une implication de la sorcellerie commence à se répandre dans la cité.
En effet, le peuple de la ville soupçonne que la mortalité soit le fait de "femmes sorcières" qui usent du "dyabolique art de sorceries".
C'est dans ce contexte qu'un habitant, Gaubert Chamfré, fait savoir aux Consuls de la ville (les autorités municipales) ce qu'il sait.
En effet, un homme qu'il héberge, venant de l'Armagnac, a entendu qu'une femme en prison accusée de sorcellerie connaissait une sorcière en la ville de Marmande : Jehanne Canay.
Les Consuls, accompagnés du bailli (le représentant de la justice royale dans la ville), procèdent à son arrestation.
Au passage du convoi vers la prison, les habitantes et les habitants crient à leur fenêtre qu'elle n'est pas la seule sorcière et qu'il faut toutes les arrêter.
Une foule de 200 à 300 personnes s'assemble et se sépare en deux pour partir dans la nuit à la recherche d'autres femmes soupçonnées de sorcellerie.
10 à 11 femmes sont finalement capturées et mises en prison.
Parmi elles, nous connaissons les noms de Peronne de Benville, Cachète, Franque Joffre, Languairande, Beulaigne et de Condon.
Contraints par la foule à parlementer, les Consuls acceptent de rassembler la population au son de cloche pour statuer sur leur sort.
Comme convenu, les habitantes et les habitants sont réunis le lendemain devant le prieuré de Marmande et réclament la condamnation des accusées qui sont interrogées pour établir leur culpabilité.
Elles sont torturées et certaines succombent.
Les autres reconnaissent être sorcières et, notamment, d'être responsables de la mort de plusieurs enfants.
Parmi elles, Jehanne Canay et Peronne de Benville, finissent par se rétracter et dénoncent leurs sévices.
Celles qui ont déjà avoué sont condamnées au bûcher.
Les autorités font des efforts inouïs pour arracher les deux autres au sort qui les attendait, d'autant que de Benville est la marraine de l'un des consuls.
Faute d'aveu, elles ne sont pas reconnues coupables par le bailli.
Cependant, la population en colère contraint les autorités à les déclarer coupables.
Jehanne Canay et Péronne de Benville sont donc exécutées par le feu.
Les sources ne nous disent pas si l'épidémie de peste s'est ensuite poursuivie dans la ville et si la vindicte populaire s'est apaisée.
Toutefois, l'affaire intéresse la justice royale et les autorités municipales sont inquiétées par le Sénéchal d'Agen.
La nature expéditive de leur justice, l'usage "excessif" de la torture et leur faiblesse face à la foule leur sont reprochés.
Les Consuls sont arrêtés, emprisonnées, leurs biens saisis et ils sont "travaillés" (interrogés).
Ils décident alors de solliciter le pardon du roi, ce que les usages du droit médiéval permettent au moyen d'une demande de rémission.
En 1457, Jehan de Sompère et Jehan Guinhon, consuls de Marmande, sont libérés. Ils ont reçu une lettre de rémission, acte par lequel le roi octroie son pardon et arrête le cours ordinaire de la justice, qu'elle soit royale, seigneuriale, urbaine ou ecclésiastique.
L'affaire des sorcières de Marmande de 1453 est intéressante à plusieurs titres.
Elle nous renseigne tout d'abord sur le phénomène du bouc émissaire. Face aux aléas, le corps social peut chercher un individu ou un groupe pour en endosser la responsabilité et la faute.
Ensuite, si l'accusation de sorcellerie vise autant les femmes que les hommes à la fin du Moyen Âge, la dimension misogyne n'est pas à écarter.
Elle est établie dans les sources de l'Inquisition et elle se nourrit de conceptions négatives sur la femme qui circulent à l'époque.
Il est intéressant aussi de constater, qu'à partir du XVe siècle, le roi de France, lorsqu'il est sollicité, pardonne de plus en plus les personnes responsables de violence et de meurtre à l'encontre d'individus accusés de sorcellerie.
Enfin, contrairement aux idées reçues, la justice médiévale fait l'objet d'une volonté de contrôle par le roi qui cherche à limiter les abus de justice, l'exercice d'une justice privée et populaire et l'usage "excessif" de la torture dans la recherche de la culpabilité.
Tous nos esprits sont marqués par ces images de sorcières sur des bûchers, résultat d’une justice implacable et meurtrière.
« La sorcière » peut-elle pour autant se défendre ?
Cette affaire nous rappelle que les aveux sont fondamentaux pour condamner les faits de sorcellerie.
Jehanne, Péronne et les autorités ont tenté de résister face à la logique d'accusation de sorcellerie.
L'année dernière, j'étais aussi revenu sur le cas en 1407 de Casine la Mâtine qui présente un autre exemple de résistance ⤵️
Par ailleurs, je ne crois pas au déterminisme historique. 1453 n'est pas 2020.
Je pense toutefois que la gestion de notre propre crise sanitaire doit être débattue de manière transparente et démocratique pour ne pas tomber dans les logiques de la société de persécution.
Joyeux Halloween 2020 à toutes et à tous (dans le respect des gestes barrières 😉) !
(N'oubliez pas de contempler la Lune ce soir : octobre 2020 compte deux pleines lunes, phénomène connue sous le nom de "Lune bleue". Elle pourra être observée ce soir ! sciencesetavenir.fr/espace/systeme…)
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Avec mes recherches sur les sorcières, c’est un peu Halloween toute l'année mais, en ce 31 octobre, je vous emmène en 1452 à Provins où une femme est accusée de sorcellerie.
👉 Cette année encore, un petit thread à dérouler ⤵️
Cette femme est restée anonyme.
On ne connaît ni son nom ni son origine.
On sait seulement qu’elle est désignée comme « étrangère », de passage à Provins, vers la fin du mois de juin 1452, dans le but de mendier et de trouver un logis dans son errance.
À son arrivée, elle se serait rendue à l’Hôtel-Dieu dans l'espoir d'y être hébergée. La gardienne lui aurait offert l’hospitalité mais au moment de franchir le seuil, l’étrangère aurait été attaquée par le chien de la maison et mordue au visage.
Avec mes recherches sur la sorcière, c’est un peu Halloween toute l'année mais, en ce 31 octobre, je vous emmène en 1475 près de Poitiers où une femme est accusée de sorcellerie : Andrée Garaude.
👉 C’est à dérouler.
#thread ⤵️
« Veuve et femme seule », Andrée Garaude a 56 ans (ce qui commence à être âgée pour l’époque).
Habitante de Noirlieu, c’est une simple bergère qui, après la mort de son mari Jean Brandeau, a été domestique 18 années durant, tantôt à Noirlieu, tantôt à Poitiers.
Suite à des accusations de sorcellerie contre elle, la justice est saisie.
Elle est emprisonnée, interrogée et "mise à la question" (torturée) du 7 août au 5 septembre 1475 à Bressuire, siège de la justice locale.
Dans le cadre de cette procédure, elle fait des aveux étonnants.
👉 With my research on witches, it's a bit like Halloween every day, but on this 2023 edition, here's a story of an epidemic, witchcraft, and public vengeance in the late Middle Ages 🧙♀️🏰.
Here's a #Thread (in English) ⤵️
If you are not in Marmande, I’ll take you on a journey to the Southwest of France 🇫🇷.
The events take place in 1453 in this city located in a disputed territory during the Hundred Years' War between the French and the English kingdoms.
The city, like the whole of the Agenais province, had been recaptured in 1444 by the King of France, Charles VII, while the neighboring Guyenne remained in the grip of conflict.
However, in 1453, the English had almost been expelled of France, with the exception of Calais.
Avec mes recherches sur la sorcière, c’est un peu Halloween toute l'année mais, en ce 31 octobre, je vous emmène en 1349 à Arleux-en-Gohelle, près d’Arras, où une femme est accusée de sorcellerie : Marie de Saint-Martin.
Marie de Saint-Martin est une jeune femme mariée de 21 ans que plusieurs habitants accusent de sorcellerie.
Par vengeance, elle aurait envoûté un voisin, un certain Jacques d’Arleux, en utilisant un crapaud enfermé dans un pot en terre et nourri de pain béni et de graines.
Elle se serait faite aidée par un parent, Amaury, avec lequel elle aurait confectionné des vêtements miniatures, notamment une veste de couleur jaune, pour habiller le crapaud de la même manière que la "victime".
L'objet de ce sortilège aurait été de lui donner la mort.
Pauline Meylan présente une enquête inédite sur la répression de la sorcellerie en Savoie à partir des registres des châtellenies bressanes conservés à l’@ADCO_Archivist ! Au programme une histoire matérielle de la répression: inventaires, salaire des bourreaux, prix des chaînes.
Et c’est parti pour la deuxième journée du colloque «Le crime de sorcellerie en débat» 📢🧙♀️🧙♂️
Alessia Belli de l’@unil nous parle de la construction du crime de sorcellerie en Italie du nord au début du XVIe siècle.
Joyeux #Halloween !
Avec mes recherches sur la sorcière, c’est un peu Halloween tous les jours, mais ce matin je vais partager avec vous une histoire vraie de #sorcières au Moyen Âge.
Torture, poison, balais et soupe d’araignées au menu du jour !
Tous nos esprits sont marqués par ces images de sorcières sur des bûchers, résultat d’une justice implacable et meurtrière.
Dernière cette réalité cruelle et violente de la répression de la sorcellerie, les coulisses du Moyen Âge et le secret des archives nous livrent parfois quelques témoignages d’une réalité plus contrastée.