C’est parti pour le #NumokLive du jour avec Olivier Ertzscheid autour de son dernier ouvrage "Portraits et préjudices. Le monde selon Zuckerberg" (éditions C&F) 💻📱
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Pascal Ferry 🎙️ : Aujourd’hui nous recevons Olivier Ertzscheid, maître de conférences et chercheur en sciences de l’information à l’Université de Nantes @Affordanceinfo2, auteur d’un blog très suivi ✏️➡️
affordance.typepad.com
Les thèmes abordés seront ceux de votre récent livre, “Le Monde selon Zuckerberg. Portraits et préjudices”, mais au fond c’est un travail que vous ne cessez jamais vraiment :
de billet de blog en tweet en passant par le podcast, vous portez votre regard aiguisé sur les évolutions du web, et surtout vous vous occupez de les faire circuler comme des objets de connaissance
et des objets de connaissance qui ont ce pouvoir quasi-magique de transformer en éléments pensables des objets informes mais omniprésents qui nous modèlent plus ou moins silencieusement.
L’intitulé de votre blog met en avant ce terme d’affordance, qu’on peut résumer en cette phrase : capacité qu’ont les objets, les technologies aussi, de suggérer ou d’imposer leur utilisation (une poignée de porte plate ou ronde impose de la tourner ou d’appuyer dessus !).
Avec cet ex vous mettez en mots ce que le monde de la technologie et not le numérique s’efforce de couvrir sous de nombreuses couches, de chiffres, 0 et 1 par milliards, mais aussi de chiffrement qui rendent de + en + opaques les effets des architectures qu’ils construisent.
O. Ertzscheid : La petite histoire de ce livre est celle d'un dialogue avec un éditeur (C&F), @hervelc, d'une volonté d'intervention avec l'idée d'essayer de retranscrire un sentiment ancien,
mais qui est chaque jour plus aïgu, celui d'une urgence sociétale et démocratique autour du rôle qu'occupent ces grandes plateformes qui sont autant d'espaces politiques.
Comment des technologies conçues pour faciliter des formes inédites d'émancipation ont fini par fabriquer des formes structurantes et massives d'aliénation ?
Et comment en sortir et retrouver des modèles plus vertueux ?
Régulièrement dans l'histoire des moteurs de recherche ou des plateformes, et ds les débats récents, on a ces interrogations quant à l'influence et l'impact qu'ont les réponses aux requêtes sur le plan psychique, social et culturel.
Les ingénieurs derrière ces plateformes doivent s'interroger sur l'impact que leur travail a sur les populations.
Exemples : polémique il y a quelques années quand on tapait "l'holocauste a-t-il vraiment existé ?" les résultats de toute la première page étaient négationnistes ou révisionnistes -> quid de l'exposition à une réalité travestie et fausse pr un jeune collégien qui fait la requêt?
"Avec le coronavirus, les gens pourraient être un peu plus reconnaissants ("grateful") envers les Big Tech et un peu moins envers leurs gouvernements." (Eric Schmidt, avril 2020) -> solutionnisme technique qui sert un projet pltq de nature libertarienne.
Tous les coups sont bons pour remettre en avant l'idée que les technologies, les plateformes sont plus efficaces et pertinentes que les Etats.
A l'intérieur de ces plateformes, on a des potentialités calculatoires qui sont infinies, on parvient à donner un cadre à la pltq et à l'orienter.
De + en + d'ingénieurs s'inquiètent, s'indignent du fait que les technologies qu'eux-mêmes ont dév depuis des années permettent surtout de fabriquer de l'aliénation -> sortent du jeu et se positionnent hors champ. Une fenêtre s'ouvre dans le discours sur la technique.
Facebook se déploie sur le mode des cité-états. Il est une cité-réseau-état, petit royaume indépendant qui exploite un territoire technologique, gouverné par un roi qui est le seul à pouvoir décider de ce qui est toléré ou pas dans son Etat.
On voit que Zuckerberg est contraint chaque jour de prendre des décisions en réponse à des pressions médiatiques.
2,7 milliards d'utilisateurs sont sur ce réseau, et il y a ce roi non élu de ce réseau -> certes on n'est pas obligé d'utiliser Facebook, mais on n'a pas forcément toujours le choix de l'éviter.
Idée que ce sont les CGU, règlements intérieurs, qui priment sur la dimension législative.
Il y a aussi des colonies : écosystèmes de services car derrière Facebook, il y a Instagram, Messenger et WhatsApp.... sortes de pieuvres qui captent et modèlent les personnes.
Il n'est plus possible de considérer Fb uniquement comme un réseau social, mais comme un média social au service d'un projet politique, qui a vocation à se substituer à des fonctions régaliennes et dans la mesure où son chef, Zuckerberg ne s'en cache plus (depuis mars 2018).
Il acceptait dans ce post l'idée que Fb jouait un rôle dans la polarisation des débats publiques en simplifiant les débats. Et embrayait en annonçant son projet pltq : l'objectif de Fb est de se positionner comme une infrastructure sociale - clé du fondement étatique.
Ce qui est complexe, c'est que c'est un réseau multiforme, il n'y a pas d'usage systématiquement dominant : parfois récréatif, social, cathartique, informationnel...
le problème est donc qu'il n'est pas possible d'échanger avec des amis dans cette infrastructure technique sans en même temps contribuer à la dynamique de viralité et de partage -> toxicité.
Une fois ces constats dressés : partir ? quitter Facebook ? Certains le font. Oui, mais. Il y a une utilité sociale de ces plateformes. Parfois même démocratique (cf Gilets Jaunes).
Comment reconnecter tous ces gens à des espaces démocratiques, délibératifs, partagés par tout le monde hors de Facebook ?
C'est une affordance toxique : si on ne parvient pas à s'extraire de Facebook, toutes les revendications finissent par tourner vinaigre.
L'intérêt de la plateforme n'est pas que ces revendications finissent par trouver une solution pltq, mais de montrer et d'appuyer à chaque fois sur les polarités.
Facebook met en avant les interactions les plus dissensuelles et les plus crispantes. Y compris chez des gens qui partagent les mêmes valeurs.
+ Le problème de Zuckerberg : qu'est-ce que je ferais si j'étais à la place de Mark Zuckerberg et que ma plateforme avait acquis un tel poids, de telles responsabilités ?
1. Renoncer à mon modèle économique.
2. Passer d'un "jardin fermé" à une architecture de service ouverte.
Quand politiquement on administre une cité de 2,7 milliards d'utilisateurs, on ne peut légiférer par à-coups. Il faut une ligne éditorialement et techniquement claire, non soumise à la pression sociale, pression de l'image.
Est-ce si idéaliste et intenable que de vouloir passer à une architecture ouverte ?
C'est pourtant très exactement ce qu'a fait Tim Berners Lee quand il a inventé le web (1989). Et l'a placé dans le domaine public (1993).
Si l'on coupe le modèle publicitaire, on va mécaniquement retrouver des interactions plus vertueuses car on arrêtera de sur-réagir et d'alimenter les caisses des annonceurs.
Argument : cela créera du chômage ? Nb d'employés de Facebook ? 52 534 en juin 2020.
Combien d'emplois n'auraient pas pu être créés si le web était resté une technologie et un environnement propriétaire ?
C'est le débat actuel autour du démantèlement/nationalisation des plateformes, notamment porté par les démocrates aux USA.
Un grand pouvoir implique une grande responsabilité.
Le créateur dépassé par sa créature ?
Chaque fois qu'il y a eu des arbitrages politiques à faire, Zuckerberg a choisi le règlement en-deça de la loi. Il n'est pas de traduction juridique et politique de ses décisions, qui restent à l'état de règlement - tel celui d'une cour d'école.
"Nous sommes en train de bâtir une dystopie juste pour permettre à des gens de cliquer sur des publicités." (Zeynep Tufekci).
Pascal Ferry : Pourriez-vous expliciter ce que vous entendez par "la mise aux enchères des mots comme ultime rempart" ? (NDL : not sure, sorry)
O. Ertzscheid : Au début du 20e siècle, il y avait une dernière ressource non marchande, c'était le vocabulaire et la langue. La suite est absolument terrible -> ex de l'holocauste et de Google (spéculation linguistique)
La capacité de faire société était notamment déterminée par la capacité à accumuler les connaissances, à les sélectionner en fonction d'une certaine valeur de vérité, et quand on a pu enfin passer à une forme de véracité, des éléments collectivement acceptés,
on est devenus piégés par ces technologies. Nous sommes incapables de construire du collectif avec ces plateformes. C'est paradoxal.
P. Ferry : vous laissez entendre qu'on ne peut plus attendre quoi que ce soit de ces plateformes quant aux droits des individus -> y-a-t-il des plateformes qui ont envisagé des formes plus coopératives et de contrôle par les pairs ?
O. Ertzscheid : Oui, il existe des plateformes coupées de ce modèle économique toxique : un des sites qui est le plus consulté, utilisé, est Wikipédia. Wiki fait plutôt très bien son travail puisqu'il y a peu d'erreurs.
La raison qui fait qu'il est le dernier écosystème non marchand à subsister à ce niveau là vient notamment du fait qu'il est indépendant et ne vit que grâce à des dons individuels,& surtout car derrière Wiki il y a un collectif d'individus qui discutent et s'affrontent sainement.
La démocratie est avant tout un espace de rendu public -> sur Wikipédia, cet espace est sans cesse activable, on peut interroger via un onglet la raison pour laquelle telle ou telle version s'affiche.
Ce n'est pas le cas pour d'autres plateformes -> opacité. Dès lors qu'on se coupe de cela, on entre dans le régime de l'arbitraire.
Pensons aussi à Framasoft qui s'efforce de développer des outils similaires libres.
Pascal Ferry : est-ce qu'après les grands scandales et procès auxquels Fb a du faire face, y-a-t-il eu une perte d'usagers notoire ?
Olivier Ertzscheid : Des petites initiatives indiv n'ont pas la capacité de perdurer dans le temps face aux GAFA.
Seul Twitter s'est développé pendant quelques années avec un modèle éco bancal, il est resté à l'abri et a dév une pratique intéressante dans sa manière de traiter les discours de haine, à l'opposé de Fb : on va fact-checker Trump au même titre que tous les autres utilisateurs.
Ces plateformes se sont dév et ont prospéré sur des infrastructures publiques (le web). On pouvait à l'époque adresser les problèmes de ces écosystèmes, mais auj on atteint un point de bascule, et bcp de ces sociétés sont en train de dév leur réseau de connexions.
Paradoxalement non, les gens ne quittent pas les réseaux sociaux après les scandales, ou à la marge. Ou migrent vers Instagram, ou autres. Ce ne sont pas des motifs suffisants pour s'exiler sauf si vous êtes déjà convaincu.
P. Ferry : compte tenu de l'aspect tentaculaire on a eu des Etats qui prenaient des mesures drastiques pour éviter des formes de concentration excessive. Ces voies vous semblent-elles obsolètes ? Inefficaces ?
O. Ertzscheid : commence à venir à l'idée de faire ce qui avait permis de casser certains effets de position dominante de Microsoft, MAIS il faut faire évoluer les choses car l'éventail de services et de métiers est bcp plus vaste.
Il faut produire une nouvelle doctrine antitrust qui permettrait de répondre aux problèmes posés par ces plateformes.
Pendant des années, Google a été le principal financeur de Firefox, la fondation Mozilla dév dans l'esprit du logiciel libre pour concurrencer Internet Explorer, et puis un jour Google a lancé son propre navigateur une fois que le grignotage de Internet Explorer avait été fait.
P. Ferry : est-il possible de réduire l'e-pollution ? Y-a-t-il
des moteurs de recherche par exemple plus respectueux ?
O. Ertzscheid : De vrais enjeux écologiques existent derrière ces enjeux pltq et économiques.
La clef est bien sûr du côté de la régulation, des acteurs éco eux-mêmes (ont-ils intérêt ou pas à limiter leur bulle énergétique) et du côté des utilisateurs (il faut que nous nous éduquions à ces questions).
Pr limiter la viralité des discours de haine, les plateformes doivent limiter leur visibilité. Certes cela ajoute de la friction, car la plateforme joue sur la fluidité, mais c'est là un mal nécessaire de l'interface utilisateur.
Et cela coupe leur modèle économique. Ce qui fait que peu d'entre elles le font (à part Twitter par exemple).
P. Ferry : Comment se mélangent les intérêts des grandes plateformes avec la réflexion sur la 5G ?
O. Ertzscheid : Ce qu'on sait, c'est que la 5G est en elle-même une technologie paradoxale, utilisant une certaine gamme de fréquence avec une certaine frugalité numérique,
mais en même temps, dans le projet pltq qui la sous-tend, ça consiste à déployer des fréquences à très large bande qui vont faire atteindre des pics de consommation énergétique...
Auj on nous vend des applications pour s'affranchir de formes d'addiction à l'écran, c'est le côté ubuesque de la situation. Mais le rôle des ingénieurs (leur vision éthique) est essentiel afin de maintenir l'humain au centre, face aux IA qui sinon feront les choix à notre place.
Ce LiveTweet est terminé ! Merci de nous avoir suivi, on se retrouve mardi prochain à 18h45 pour le #NumokLive suivant avec Stéphane Bortzmeyer 👋
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20 Nov
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