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Loin de moi l'idée de faire un procès en moral aux signataires, ni même de contester le risque anticoncurrentiel que fait peser Amazon, ses pratiques d'optimisation fiscale, ou sa politique de management salarial.
Je souhaite ceci-dit souligner un point.
Considérons la parole comme une forme particulière d'action politique. La voix est puissante dans la décision publique en effet. On le voit, dès lors qu'en France, le président de la République s'adresse à la Nation: avant toute acte administratif d'application ses propos
Sont immédiatement considérés comme modifiant le droit. On se souviendra également de la prépondérance orale sur les capitulaires royaux sous le règne de Charlemagne. Ou bien de la légendaire rencontre entre le patriarche Sophronios et le Calife Umar en 637.
Bref, nous savons que la parole publique, enferme une portée politique par elle même. Que cependant, elle n'a cette portée que tant qu'elle s'inscrit dans un contexte réel. La parole est située : on y lie une personne inscrite dans un espace et une temporalité.
Trop souvent, au lieu de fortifier la capacité de la puissance publique d'agir sur le réel, la parole est se fait fiction. Rarement très imaginative hélas, on aimerait au moins en profiter pour rêver. En perdant le courage, la volonté ou la capacité d'agir sur le réel
Les gouvernants opèrent par le son plutôt que par le geste. Créant un monde parallèle du discours, ils s'enferment dans le discursif, ne cherchant même plus à connaître la faisabilité de leurs propositions, es efforts pour y parvenir. Cela demanderait une réelle responsabilité
Changer le réel est un fardeau, celui du politique.
L'enfermement dans le discours, c'est exactement ce que fait cette tribune.
On y trouve des élus français formuler une proposition rachitique dont la régularité juridique reste improbable.
Une taxe exceptionnelle sur
Le CA d'Amazon pour financer les mesures de préservation de l'emploi et le fonds de solidarité pour les commerces de proximité. Rien ne va dans cette proposition. Deux points.
1. Un premier point ressort du droit constitutionnel des finances publiques. Il est structuré autour du principe d'égalité devant l'impôt. Lui même se scinde entre le principe d'égalité devant la loi fiscale (DDHC. VI) et l'égalité devant les charges publiques ( DDHC.XIII).
Le principe d'égalité devant la loi fiscale permet au législateur de régler des situations différentes de manière différente ou à déroger au principe pour une raison d'intérêt général ( C.C 87-232, 7 janvier 1988+ C.C 91-302, 30 décembre 1991).
La différence de traitement se fonde sur des critères objectifs et rationnels. Imposer une entreprise; ou plusieurs, sur la base d'une considération séparant le monde des affaires entre "les profiteurs" et les autres n'a rien d'objectif. En revanche, la VA des entreprises l'est.
( Voir: C.C 93-330, 29 décembre 1993). C'est sur cette base que se fonde l'imposition à la CVAE. Rappelons l'exigence initiale: il faut justifier d'une différence de situation pour que la loi fiscale traite différemment deux contribuables.
Il faut comprendre que le contrôle de la discrimination fiscale s'inscrit dans un contexte qui dépasse le seul objet de la loi. La discrimination ne doit pas seulement être justifiée au regard de l'objet fiscal mais au regard de l'objectif plus général visé par la discrimination
En l'occurrence, l'objectif fiscal tient dans le... financement de l'action publique. C'est une tautologie problématique, on y reviendra.
Introduisons d'abord le 2eme volet:
Le principe d'égalité devant les charges publiques. Le législateur ne doit apprécier les facultés
Contributives, là encore, en fonction de critères objectifs. Les règles d'assiette ne doivent pas revêtir un caractère confiscatoire ou faire peser une charge excessive au contribuable. On se souvient de la censure de la tranche à 75% pour les revenus >1million.
Le droit fiscal est par essence un droit inégalitaire puisque variant en fonction des inégalités patrimoniales et de revenus. Apprécier une inégalité puis la justifier est donc particulièrement difficile.
Tentons l'exercice à partir de la proposition suscitée. Tout d'abord la loi fiscale ne saurait imposer nommément une entreprise. Elle est générale et impersonnelle et non particulière et personnelle.
Il faut donc trouver un dispositif général dans cette proposition.
De prime abord il s'agit d'un impôt ( pas d'une taxe) pesant sur le CA "des profiteurs de la crise". Mais aussi ceux qui nous poussent à un "monde de surconsommation prédateur". Mais aussi d'une entreprise en voie de monopole. Mais aussi qui favorise la précarité
Mais aussi qui substitue le capital au travail. Mais aussi qui est émettrice de CO2.
Enfin beaucoup de justifications extra-fiscales et qui sont les causes véritables de cet "appel à l'impôt".
Ce dispositif est-il discriminant ? Probablement. C'est ici que cela devient ardu.
Retenons le dispositif sur les profiteurs. Il est d'abord complexe d'imaginer un dispositif fiscal susceptible de finir sur le bureau de l'AN. Que signifie, en termes fiscal, une entreprise qui "profite de la crise"? Notons d'abord que le dispositif retient le CA.
Non la marge ou le bénéfice de l'entreprise. Il s'agirait donc d'une imposition sur le CA. Production de l'exercice+ marge commerciale. Sauf qu'il ne s'agit pas d'imposer toutes les entreprises. Seulement celles qui ont profité de la crise!
Ce qui veut dire ? Mystère. Il pourrait s'agir des entreprises dont le CA à augmenté durant l'épidémie. Donc une augmentation sur l'exercice 2021. Ce ne serait pas suffisant puisqu'il y a à l'évidence un caractère moral derrière le dispositif.
Il s'agit des entreprises dont le CA à augmenté sur la ruine des autres en s'emparant des parts de marchés laissées vacantes par les faillites. Hausse du CA+ Hausse des parts de marchés.
On n'en fini plus. Le dispositif initial pose déjà de lourdes questions.
Admettons. La différence de traitement peut-elle être justifiée par une différence de situation ? Peut-on justifier une imposition supplémentaire sur le fondement d'une hausse du CA en situation de crise sanitaire ? Ou bien, l'intérêt général commande-t-il une telle imposition?
Ensuite: les critères de discrimination sont-ils objectifs et rationnels? Rien n'est plus subjectif que l'appréciation de ce qu'est un profiteur et de ce qui n'en est pas un.
Il y a fort à parier que cela constitue une rupture manifeste d'égalité devant les charges publiques.
2. Un autre point doit être soulevé quant aux principes généraux des finances publiques. Le principe d'universalité, introduit sous la Restauration, implique que les recettes de l'Etat soient versées dans un budget unique, qu'on appelle le budget général.
Elles ne peuvent donc pas, sauf exceptions des comptes spéciaux et des budgets annexes, être affectées à une dépense. Il serait donc inconstitutionnel de prévoir un impôt spécifiquement pour financer une politique publique comme visé dans la tribune. La justification politique
Est tentante et cela passe bien dans le discours. Mais on ne flèche pas les recettes vers des dépenses.
3. Le principal d'un impôt diffère de la sanction fiscale/administrative et de la sanction pénale. En clair: un impôt ne punit pas un comportement.
Il ne vient pas non plus réparer un dommage. L'impôt a pour but principal le financement de l'action publique. De manière accessoire, il peut inciter ou dissuader certains comportements.
Or cette proposition mêle, en vertu de son contenu moral, une portée fiscale et une portée pénale, l'imposition venant punir le caractère de "profiteur".
Merveilleuse manière que de présenter l'impôt comme une peine.
Nul doute que nos concitoyens consentiront encore un peu plus aux impositions qu'ils supportent collectivement.
Pour résumer : proposition politiquement hasardeuse, en l'état, juridiquement impraticable.
Bien sûr, on peut considérer qu'il soit légitime de prévoir une imposition supplémentaire sur les grandes sociétés des TIC. Il est tout à fait possible
D'en faire de véritables propositions. Qui tiennent juridiquement la route. Une nouvelle fois cependant, on constate sans plus aucune stupéfaction à quel point certains gouvernants peuvent enchaîner les mots sur du vide.
Cette tribune constate sans rien proposer de solide. Une nouvelle fois, a pour mantra la déception électorale. Comme il est affaire de résident fiscal, qu'ils déménagent enfin dans le réel !
*morale

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