Thread by @arnaudbontemps

Avec un pincement au cœur, j’ai quitté cette semaine le job le plus passionnant de ma (courte) vie.

Pendant un an et demi j'ai travaillé à l'organisation des soins en Seine-Saint-Denis.

Je voudrais aujourd’hui vous expliquer pourquoi il est urgent de tout changer. (1/X) ⤵️

On le sait, santé et pauvreté ne font pas bon ménage.

Une des principales manifestations sanitaires de la précarité, c'est l'explosion des maladies chroniques. C'est évidemment vrai dans le 93 : taux de diabète le + élevé de l'hexagone, dépistage des cancers en dessous de tout..

Le principe de ces maladies chroniques c'est de durer longtemps. On en guérit pas toujours. Elles nécessitent moins des "soins" qu'un accompagnement dans la "santé".
Pour notre système de santé c'est un changement majeur.

Comme je dessine fort bien je vous ai fait des dessins 👀

Avec des soignant.e.s majoritairement en libéral, isolé.e.s les un.e.s des autres, sans partage des dossiers patient, notre système de santé est tout à fait inadapté à cette croissance des pathos chroniques (1 personne sur 3 en France).

C'est là qu'interviennent nos "héros"...🧑🏻‍⚕️

En effet, partout sur le territoire, des soignant.e;s se mobilisent pour mieux travailler ensemble.

Maisons pluriprofessionnelles, centres de santé, assos locales : autant de projets qui visent à favoriser la prévention en santé et une prise en charge partagée des patients.

La conviction et la détermination de ces professionnel.le.s force l'admiration : ils n'ont pas de formation pour gérer ces structures, sont surtout payés à la tâche (pas à l'investissement collectif), ont parfois du mal à convaincre leurs collègues...
Et pourtant ils continuent.

Mais plus que tous ces obstacles, le plus décourageant c'est parfois la lourdeur des institutions qui devraient aider, ARS et Assurance maladie en premier lieu.

Je sais de quoi je parle : j'étais moi-même un de ces responsables à la @Cpam93
Et jpeux vous dire qu'on a du travail.

Attention, loin de moi l'idée de blâmer mes collègues ou de faire du fonctionnaire bashing (on n'a pas besoin de cela).
Il y a des mécanismes, des éléments structurels, qui font qu'on ne peut pas être autant à l'écoute des besoins des soignants et des habitants qu'on le devrait.

Pour le dire en bref : ce n'est ni notre culture, ni l'orientation politique actuelle.
Plutôt que de tendre l'oreille, on nous demande de serrer les boulons. Là où les professionnels nous parlent de santé, on leur répond "trou de la Sécu".

Avec des conséquences très concrètes :

1) Dans notre posture professionnelle.
Ex. Des centaines d'agents (les "délégué.e.s de l'assurance maladie") sont chargé.e.s d'aller voir les soignant.e.s et influencer les prescriptions pour principalement.. réduire les dépenses.

Pas pour écouter, ou pour parler santé publique.

2) Dans notre fonctionnement interne.
Puisqu'on constate que les projets de santé partent du terrain, cela devrait impliquer de revoir notre fonctionnement hiérarchique à base d'"application des circulaires nationales".
Il faut faire remonter les besoins. Pas imposer d'en haut.

3) Dans notre orientation stratégique.
Si notre boussole c'est "baisser les dépenses", alors oui les bonnes idées viendront du national et il faut expliquer la vie aux soignant.e.s.
Si notre priorité c'est la santé des gens, alors il faut changer de posture et de fonctionnement.

On l'a vu notamment pendant la première vague : devant l'urgence on a du, tou.te.s, se mettre au service de la santé. Administratifs, soignant.e.s, on partageait un même langage et des mêmes priorités.

Dans le 93, beaucoup d'agents m'ont dit retrouver le *sens* de leurs métiers.

En fait, ce n'est pas nous, administratifs, les héros de cette histoire, ce sont les soignant.e.s. Ce sont eux qui ont les clefs pour transformer leurs pratiques.

Ça ne veut pas dire qu'on n'a pas un rôle majeur (et loin d'être acquis) pour les accompagner.
Chacun à sa place.

Après cette année et demie en Seine-Saint-Denis, j'ai acquis deux convictions : il est nécessaire de transformer notre système de santé. Et on ne le fera pas sans transformer les services publics qui accompagnent les soignant.e.s.
Tâche énorme, mais enthousiasmante 😊
Au boulot !

Ah au fait, ce thread est une version (très) simplifiée et écourtée d'un article paru en septembre 2020 dans la revue Regards de l'@EN3S_officiel
Vous pouvez retrouver l'article en intégralité ici :
fr.calameo.com/read/004310504…