L’ouverture du #RSA aux #jeunes de moins de 25 est cruciale, mais elle ne concernerait pourtant pas les étudiants: il ne faut pas confondre les minima sociaux, pour les individus sans emploi non scolarisés, et les aides aux étudiants 2/n
Pour comprendre cet enjeu, il faut s’interroger sur la façon dont on finance la poursuite d’études supérieures. Ce financement peut passer par trois canaux : le marché (activité rémunérée, prêt), la famille ou l’État (bourses notamment mais pas que) 3/n
En France, c’est la famille qui a été privilégiée, car l’enseignement supérieur est vu comme le prolongement du secondaire : études à temps plein, tout de suite après le bac, sans activité rémunérée en théorie. Je conseille ces 3 livres pour se faire une idée générale : 4/n
Ce qui est cohérent avec la familialisation des aides: les bourses dépendent du revenu des parents puisque l’objectif n’est pas de garantir l’indépendance des étudiants mais d’aider les familles qui n’en ont pas les moyens à prendre en charge leur enfant scolarisé 5/n
Cette familialisation considérant les jeunes comme des enfants fait système : on la retrouve dans la mobilisation de la politique familiale (cad une politique de l’enfance) pour soutenir les étudiants (aides fiscales aux familles) et dans la limite d’âge à 25 ans du #RSA 6/n
Ces aides sont complétées par une forme d’activité rémunérée (jobs d’été, jobs étudiants, stages, alternance), pour près de 70-80% d’entre eux. La disparition actuelle d’une grosse partie de ces activités due à la crise a donc renforcé l’importance des aides publiques 7/n
On pourrait penser que leur familialisation permet une certaine redistributivité : les bourses sont ciblées sur les jeunes venant de familles défavorisées. Elles viseraient donc à réduire les inégalités. Mais l’enjeu est plus complexe qu’il n’y paraît 8/n
Jetez un œil à ce tableau de @NicolasCharles_. Si vous comparez les colonnes entre elles, vous pouvez en déduire que le système français est plus redistributif (l’aide est concentrée sur les plus défavorisés). Mais si vous comparez les lignes, une autre image apparaît 9/n
OK en Angleterre et en Suède tous les étudiants reçoivent presque les mêmes niveaux d’aides (faible redistributivité), mais les plus défavorisés (colonne gauche) reçoivent bien plus souvent de l’aide (86% vs 65) et à des montants bien plus élevés (665€ et 533 contre 362) 10/n
Ça renvoie à ce que 2 sociologues Suédois ont appelé « le paradoxe de la redistribution ». Dans les faits, bien que ça soit contre-intuitif, la redistribution est plus forte avec des prestations universelles qu’avec des prestations ciblées. Comment expliquer ça ? 2 raisons 11/n
1)C’est le niveau global des transferts qui importe. En gros il vaut mieux dépenser beaucoup pour tout le monde que peu pour quelques-uns, même du point de vue des plus défavorisés. C’est un résultat classique de la littérature, récemment confirmé par @ZemmourMichael 12/n
2)Ce niveau de transferts est possible car les prestations universelles sont perçues par toute la population => une grosse partie de la population en faveur de ces prestations => prête à payer => pression sur les décideurs pour maintenir ces hauts niveaux de transferts 13/n
Au contraire, les prestations ciblées ne bénéficient qu’à une petite partie de la population. Le reste paie des impôts mais n’en bénéficient pas => seum => pression à la baisse aboutissant à de faibles transferts => finalement moins de redistribution « par le bas » 14/n
C’est ce qu’on voit également pour les aides aux étudiants: @garritzmannj a montré que plus elles étaient développées, et plus les citoyens étaient en leur faveur. C’est un « policy feedback » positif : des aides publiques généreuses génèrent leur propre soutien 15/n
D’où les montants élevés du tableau pour 🇬🇧 et 🇸🇪. Ces 2 pays ont individualisé leur action publique en direction de jeunes considérés comme des adultes : les aides (bourses et prêts) ne dépendent plus de revenu des parents et la grande majorité peut donc en bénéficier 16/n
Au Danemark, où les études supérieures sont gratuites, tous les étudiants peuvent bénéficier d’une bourse universelle d’environ 700€ /mois pendant 6 ans, qu’ils peuvent compléter par un prêt de l’Etat, ce qui a un effet direct sur leur niveau de vie 17/n
Sur ce graphique, plus le taux de soutien des étudiants (SSFD) est élevé (car individualisé : vers la droite des graphiques), et moins il y a de pauvreté étudiante (Eurofound), mesurée en privation matérielle (gauche) ou capacité à joindre les 2 bouts (droite) 18/n
Bref, le plus efficace pour lutter contre la précarité étudiante c’est bien d’étendre et augmenter les aides en reconnaissant le statut d’adulte des étudiants => en individualisant l’action publique = faire des aides aux étudiants qui ne dépendent plus des revenus parentaux 19/n
Pour aboutir à des niveaux significatifs sans peser trop lourdement sur les finances publiques, il faut ensuite déterminer le contenu de ces aides. Le débat reste ainsi ouvert sur le montant de la bourse, la proportion bourse/prêt, et le type de prêt 20/n
Il existe de nombreux rapports et propositions sur le sujet comme celles de @g_allegre, @PikettyLeMonde, @camillepeugny ou @damon_julien. Pour l’historique de ces projets et de l’idée d’allocation d’autonomie, voir mon livre à couverture de manuel d’anglais de 5e : 21/n
J’y ai aussi montré qu’une telle réforme systémique est compliquée du fait d’une « dépendance au sentier emprunté » en faveur de la familialisation. Mais 2 leviers de réforme immédiate existent pour lutter contre l’urgence sociale de la précarité étudiante : 22/n
1)les allocations logement, qui sont individualisées et sont devenues centrales pour les étudiants. Mais la tendance actuelle est plutôt à la baisse… 2)les aides exceptionnelles des #CROUS : en 1 an, +39% de bénéficiaires et +48% en termes de montant (#Drees) 23/n
Mais peut-être que la crise actuelle et la mise à l’agenda de l’enjeu permettront de penser à une réforme plus ambitieuse en faveur de l’autonomie des jeunes en général et des étudiants en particulier ? 🤞 THE END 24/n
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh
Hier le #RSAmoins25ans a été rejeté à l’AN, confirmant une situation quasi-unique en Europe d’un dispositif de lutte contre la #pauvreté refusé à la population qui est la plus touchée par la pauvreté : les #jeunes Petit thread de politiste pour comprendre ce paradoxe 1/n 👇
2/n D’abord, pour lutter contre la pauvreté, a fortiori en période de crise, le soutien au revenu par les prestations sociales reste très efficace : c’est un acquis de la littérature scientifique sur le sujet. @DufloEsther a eu un prix Nobel pour ce résultat
3/n Or la limite d’âge à 25 ans du RSA débouche sur un taux de remplacement pour les jeunes au chômage (en % du salaire moyen) littéralement…nul, situation unique en Europe comme le montre ce graphique de l’#OCDE pour 2019