Il y a 20 ans, j'ai eu (pendant trois ans) l'un des profs au cœur de la polémique sur l'islamophobie à l'IEP de Grenoble.
Polémique dans laquelle certains s'engouffrent pour demander la #dissolutionUnef.
Cet enseignant était assez unique. J'adorais l'allemand, et ses cours étaient géniaux : rigueur bien sûr, mais grande liberté de parole et de discussion.
Il m'a souvent dit que s'il notait mes idées, il me mettrait 0, mais qu'il n'était là que pour noter mon allemand.
On discutait, on s'engueulait en classe. Ça passait avec certains élèves, qui parlaient bien l'allemand et pouvaient prendre part aux discussions.
Ça passait mal avec d'autres, qui ne pouvaient pas répondre à ses outrances verbales et ne savaient du coup pas comment se situer.
Eux se faisaient rembarrer tant pour leurs idées que pour leur allemand et le prof ne voyait pas le malaise que ça créait.
Il était sans filtre, jamais avare d'une exagération ou d'une provocation, parfois franchement borderline.
Mais en même temps très proche des étudiant.e.s : on dînait chez lui, chaque année pour clore les cours, et les échanges se poursuivaient jusqu'au petit matin. Mais c'était pareil : tout le monde n'était de fait pas à l'aise.
Par ailleurs quand on cherche à abolir la distance entre enseignant et étudiant.e.s, on n'abolit en fait pas la relation de subordination. D’ailleurs, certain.e.s le craignaient vraiment.
En outre, même dans un cadre censément informel, il y a des choses qu'on ne peut pas dire sans y mettre les... formes, justement, puisqu'on est enseignant face à des étudiant.e.s.
Il s'en fichait, jouait même de son côté provoc, mais nous étions nombreuses et nombreux à penser que ses outrances finiraient par le dépasser.
20 ans après, ça semble être le cas.
Est-ce une raison pour le jeter en pâture ? Assurément pas.
Mais on ne peut pas non plus faire de cette histoire un avatar de la 'cancel culture', d'autant qu'il tenait souvent des propos démesurés, pas moins outranciers que ceux qui sont utilisés aujourd'hui contre lui.
Le problème est là. Il aurait dû être rappelé à l'ordre avant par sa hiérarchie, pour lui signifier qu'un enseignant, aussi brillant soit-il ne peut pas tout dire & ne peut pas publiquement dénigrer sans argument les travaux de ses collègues.
Qu'il n'est pas possible de provoquer autant ses propres étudiants, sans tenir compte de ce que ça... provoque chez elles et eux. Pour moi, le vrai problème est là.
Et parmi ses provocations régulières, il s'en prenait effectivement vertement à l'islam, en particulier après le 11 septembre 2001 (je l'ai eu en 98, 99 et 2001).
Ça n'a pas eu de conséquences à l'époque, ça ne passe plus aujourd'hui - tant mieux.
Il ne s'en est pas rendu compte, et personne visiblement dans la hiérarchie de l'IEP ne lui a jamais rien dit.
L'UNEF n'y est pour rien, strictement rien et appeler à sa dissolution (a fortiori dans le contexte actuel pour les étudiant.e.s) est totalement à côté de la plaque.
Mais c'est ce à quoi le gouvernement a ouvert la porte, en mettant sur un même plan le CCIF et génération identitaire et en fantasmant sur l'islamogauchisme à l'université.
Dans l'affaire de Grenoble, on a un prof qui provoque, franchit les lignes rouges.
Cette affaire devrait se régler en interne, et la direction aurait dû réagir bien avant.
Evidemment, ça ne signifie pas qu'il soit acceptable de s'en prendre à lui & de le jeter ainsi en pâture. Mais là encore : la responsabilité n'est pas celle pointée par Marianne et cie.
Bon et moi ça me tiraille, évidemment : j'avais beaucoup d'affection pour ce prof, malgré tout.
Sans doute car à l'époque, je n'avais pas conscience que derrière les outrances et la provoc il n'y a pas que des idées sans conséquences mais des formes d'oppression et de domination.
Je doute que s'il était mon prof aujourd'hui, j'aurais pu ressentir la même affection pour lui. Et oui, les temps changent et certains choses qui pouvaient "passer" il y a 20 ans ne "passent" plus aujourd'hui.
Ça n'est pas la "cancel culture".
C'est simplement que certains mécanismes par lesquels s'exercent cette domination et cette oppression sont remis en cause. Tant mieux.
La question, c'est : que fait-on de celles et ceux qui ne savent pas, ne veulent pas, ne peuvent pas en tenir compte ?
Et la réponse ne peut pas être et ne pourra plus jamais être "on se tait, on les laisse dire et faire" - même s'il faut, évidemment, que chacun.e puisse continuer à exprimer ses opinions.
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Un petit thread sur la gestion catastrophique de la pandémie par les autorités sanitaires.
Spoiler alert : je suis en colère, tant le grand n'importe quoi gouvernemental est confirmé.
1/9
Tout commence dans une école d'une petite ville de la Drôme. Le virus circule notamment parmi les instituteurs.
Qui ne préviennent pas les familles - ce sont les instructions, qu'ils ont suivies.
Mais le virus circule, donc, et se propage.
2/9
Au moins 4 instituteurs sont touchés, et, à la veille des vacances, au moins un élève est testé positif. Ce qui pousse enfin l'école à nous tenir informés de la situation. À la veille des vacances, quand nombre d'enfants s'apprêtent à rendre visite à leurs grands-parents.
3/9
Allez, je vous fait un thread-résumé aussi rapide que subjectif de l’essai que @davidgraeber et David Wengrow viennent de publier :
"How to change the course of human history
(at least, the part that's already happened)" eurozine.com/change-course-…
1/ Il n'y a pas un état de nature égalitaire, fait de petits groupes de chasseurs cueilleurs, et qui constituerait l’unique exemple historique de forme de (proto-)société égalitaire. Rousseau, Jared Diamond et cie ont tout faux.
2/ la "révolution agricole", et l'accroissement de la population qu'elle a permis, ainsi que sa concentration dans des villes, ne marque pas l'avènement des inégalités (par l’accumulation de terre, puis de capital), un mal - nécessaire mais inévitable.