La zaouïa Rahmaniyya à El Hamel
La confrérie Rahmaniyya (en Kabyle : tareḥmanit, en Tifinagh : ⵜⴰⵔⴻⵃⵎⴰⵏⵉⵜ, en Arabe : الرحمانية) est une confrérie musulmane soufie, fondée en 1774 par Sidi M'hamed Bou Qobrine en Kabylie.
La Rahmanyia, à l'origine Khalwatiya (de Khalwa, en arabe: خلوة, qui signifie: isolement), connue une forte audience jusqu'au XIXe siècle, réussissant à fortement s'implanter et se répandre en Afrique du Nord.
Sidi M’hamed est le fondateur, vers 1774, de l’ordre confrérique de la Rahmaniyya, Il est né au village des Aït Smaïl, près de Boghni en Kabylie. Après trente ans d’absence, il revient enfin chez lui. Il s’installe d’abord dans son village des Aït Smaïl, où il fonde une zaouïa.
Il décide par la suite de s’installer à Alger pour y fonder une autre zaouïa. Il choisit de s’installer dans ce qui sera plus tard le quartier du Hamma.
Sa grande zaouïa rayonnera sur toute l'Algérie. Cette zaouïa, accueille les pauvres, les orphelins et les étrangers. Elle est aussi une université où de nombreuses sciences sont enseignées.
Elle devient le lieu privilégié de la Khalwa (retraite) de ceux qui viennent demander l'initiation. Sa Tariqa Khalwatiya (طريقة خلواتية) est devenu la Rahmaniyya (ce qui donnera à la zaouïa Lalla Rahmaniyya son nom), en référence à Abderrahmane, le nom de son père.
L’émergence et l’âge d’or de la Rahmaniyya : 1774-1871

Imprégné de la mystique soufie lors de son long séjour au Caire auprès du cheikh El-Hafnaoui, Sidi M’hamed s'était donné pour mission de propager cette philosophie religieuse en Afrique du Nord.
Recommandant la pratique du renoncement à la vie matérielle (ascétisme) et le retrait par rapport à l’agitation profane de la cité la khalwatiya, comme d’autres ordres confrériques, se caractérisait par une certaine hétérodoxie dans l’interprétation du Coran.
La Khalwatiya est d’origine perse telle que préconisée par Sidi M'hamed, ce n'est pas une transposition intégrale. Elle est fortement pénétrée d’éléments religieux locaux, notamment ceux véhiculés par l’islam maraboutique,
C’est ainsi que Sidi M’hamed avait introduit la voie, la Tariqa Khalwatiya en Algérie. Il enseignera pendant environ 25 ans, jusqu’au jour où sentant sa santé décliner, il décide de rentrer chez lui, dans son village natal. C’est là-bas qu’il décède en 1793, à l’âge de 73 ans.
Après le décès de son fondateur, la tariqa Rahmaniyya continua à prospérer à travers le pays. De nombreuses zaouïas sont fondées ici et là. La Rahmaniyya devient très vite la tariqa qui compte le plus d'adeptes en Algérie.
Cette donnée va profondément être modifiée par l'arrivée, en 1830, des troupes françaises. La seconde moitié du XIXe siècle sera une période tragique de l'histoire de l'Algérie ; elle sera marquée par la résistance farouche des autochtones à l'invasion coloniale.
En raison sans doute de cette extension géographique, la Rahmaniyya s’est scindée en deux branches : celle de Kabylie et celle du Constantinois.
Son implantation

De toutes les confréries qui l’ont précédée en Afrique du Nord (la Qadiriya, la Chadouliya, la Ammariya, la Aïssawiya, la Tidjaniya), la Rahmaniyya est la seule à s’être réellement implantée en Kabylie.
De la date de sa création, vers 1774, jusqu’à 1857, date à laquelle elle subit une dure répression en raison de sa participation à la résistance à la conquête française, elle a exercé une influence remarquable en Kabylie, grâce à la renommée de Sidi M’hamed.
Elle se propagea rapidement à l’est jusqu’en Tunisie et vers le sud de l’Algérie (Cf. Robin).
Les changements

Grâce à son charisme, Sidi M'hamed a introduit, des changements substantiels qui ont fait bouger la tradition maraboutique en vigueur jusque-là en Kabylie.
Le premier facteur de cette évolution a porté sur la règle tacite selon laquelle la transmission du savoir religieux, comme celle du pouvoir et des privilèges qui lui sont consubstantiels, ne pouvait se faire que sur des bases héréditaires :
il fallait être né marabout pour y accéder. Le deuxième facteur d’innovation est l’élargissement du cadre confrérique : « N’importe quel laïc peut s’affilier […], pourvu qu’il en reconnaisse et applique les règles. »
Et enfin, le troisième facteur de changement fut la structuration de la zaouïa en un système de religiosité hiérarchisé : Au sommet se trouve le Cheikh de la Tariqa siégeant dans la zaouïa-mère, viennent ensuite les moqaddems (représentants) qui officient à la tête des branches,
autour desquelles se regroupent les khouans, les "frères" serviteurs et adeptes de la confrérie.
La vie de la Rahmaniyya et son implantation géographique

La branche kabyle vit son centre de gravité passer, au début des années 1860, des Aït Smail à Seddouk, dans la vallée de la Soummam.
En effet, à la suite de la fermeture de la maison-mère des Aït Smaïl et la mise sous séquestre de ses biens par l’administration coloniale en 1857,
la direction de la Rahmaniyya se déplaça à Seddouk où officiait la famille Iheddaden (Haddad), rivale des Ben Ali Chérif des Ichelladen (Chellata).
À partir de 1843, pour la branche constantinoise, et de 1871 pour la branche kabyle, la Rahmaniyya se subdivisa en plusieurs sous-branches, isolées les unes des autres, qui devinrent peu à peu autonomes.
Très vite apparaîtra le nom de l'Emir Abdelkader comme le porteur de la bannière du Djihad. Il s'aménage des bases arrière, notamment dans la zaouïa d'un jeune guerrier lettré et rompu aux sciences religieuses.
Le cheikh Sidi Mohammed Ibn Abi Al Kacim, vient rendre visite un jour de l'année 1844 pour prêter allégeance a l’émir et se mettre sous ses ordres.
Ce dernier lui donne l'ordre de revenir dans son village et de fonder une zaouïa pour former des musulmans conscients de leur devoir de djihad contre l'envahisseur.
Il était originaire de la petite bourgade d'El Hamel dont la création, remontant au XIe siècle, revient aux pèlerins chorfa de Djebel Rached, descendants de Sidi Bouzid.
Cependant et en raison de son savoir et de ses connaissances en théologie, le qotb Sidi El Mokhtar Ibn Abderrahmane Ibn Khalifa fondateur de la zaouïa des Ouled Djellel, lui demande de venir enseigner dans sa zaouïa un public de tolba (étudiants) de haut niveau.
Cheikh El Mokhtar finit par lui confier la direction de la zaouïa comme principal moqadem. C'est dans cette prestigieuse zaouïa que Sidi El Mohktar fait entrer le cheikh en Khalwa. Sidi El Mokhtar a été initié par Sidi Ali ben Amar, fondateur de la Zaouïa de Tolga.
Lui-même initié par Sidi Ben Azzouz El Bordji disciple de Sidi M’hamed puis à la mort de celui-ci, du Cheikh Bacha Tarzi El Kosantini.
La prééminence de Cheikh Aheddad sur la Rahmaniyya ne dure qu’une dizaine d’années (1860-1871) ; sa participation à la tête de l’insurrection de 1871 lui valut d’être arrêté et déporté et sa zaouïa fut fermée.
La grande révolte des Mokrani va être à l'origine d'une mise en avant du cheikh khalwati qui, fidèle aux ordres de L'Emir Abdelkader, alors en déportation, continue modestement son enseignement.
Cheikh El Haddad, chef spirituel de l'insurrection d'El Mokrani, rédige, avant son arrestation, un testament dans lequel il recommande à ses fils et à ses disciples de rallier le Cheikh d'El Hamel qu'il nomme le soufre rouge : "Alaïkoum bil Kibrit El Ahmer".
El Haddad mourra en captivité quelques mois après son arrestation en 1871. Les mokrani et les nombreux disciples de la Rahmaniyya, qui ont échappé à la déportation, mais non moins dépossédés de leurs terres et de leurs biens regagnent El Hamel,
où ils se placent sous la protection du cheikh. L'administration coloniale lui fera payer très cher ses prises de position, mais évitera soigneusement de l'atteindre directement en raison de sa notoriété.
Il sera assigné à résidence et ne se déplacera que muni d'une autorisation spéciale jusqu'à sa mort en 1896.
La chefferie de la zaouïa sera assurée après lui, par sa fille Lalla Zineb qui continuera jusqu'à sa mort, huit ans plus tard, à assurer l'enseignement. Isabelle Eberhardt écrira dans ses notes de voyages de très belles lignes relatant sa rencontre avec la sainte femme.
Plus tard, un événement majeur fera de la zaouïa d'El Hamel le pôle de la tariqa Rahmanya. L'administration coloniale, pour des raisons prétendument sécuritaires, interdit aux autochtones l'accès à la zaouïa de Sidi M'hamed ben Abderrahmane à Alger.
Se souvenant de la recommandation du Cheikh El Haddad, les moqadem des zaouïas Rahmanya se dirigèrent vers le Cheikh d'El Hamel qui est alors Sidi Mustapha père de Sidi Mohammed Al Maamoun actuel Cheikh de la zaouïa.
Le cheikh Mustapha imposa au gouverneur d'Alger dans une entrevue restée célèbre, la réouverture de la zaouïa du Hamma.
Depuis lors, toutes les zaouïas Rahamniya de Kabylie commémorent cet événement une fois par an, par une zyara (une visitation) à El Hamel où le dhikr rahmani récité par les Khouanes (frères) fait écho aux chants mystiques clamés en berbère par les femmes.
La fin du XIXe siècle marque le déclin de la Rahmaniyya. Au début du XXe siècle, surtout depuis 1930, elle allait devenir comme les autres confréries d’ailleurs, la cible des Oulémas.
Les dirigeants de la confrérie jusqu'à 1871

À la mort du maître fondateur (Sidi M’hamed), en 1793, ce fut Cheikh Ben Aïssa qui prit la tête de la Tariqa.
Sidi Abderrahmane l’avait recommandé aux khouans avant de mourir : « Je donne tout mon pouvoir à Sidi Ali Benaïssa, il sera mon suppléant. J’ai déposé dans son sein tous mes secrets. » Son magistère a duré quarante-trois ans jusqu'en 1836.
Sa succession fut assez houleuse en raison, notamment, du grand nombre de prétendants. De 1836 à 1844, Belkacem ouLhafid (de Maatka), Lalla Khlidja (veuve de cheikh Benaïssa), Mohammed Ben Belkacem (des Aït Annan), et Hadj Bachir, un marocain recommandé par l'Emir Abdelkader,
se succédèrent sans qu’aucun d’eux ne s’imposât durablement. L’arrivée, à la tête de Rahmaniyya de Hadj Amar à partir de 1844, un ancien moqadem kabyle, donne un peu plus de stabilité à la zaouïa jusqu’à 1857. À cette date,
Hadj Amar prit part à l’insurrection dont il devint un des chefs ; après la défaite, il s’exila en Tunisie et laissa l’ordre sans chef reconnu jusqu’à l’avènement de Cheikh Haddad en 1860.
“La misère unit tout aussi bien que le sang.”

De Louis Caron 

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