Je pense ici faire un thread que j'appellerais "petite réflexion inaudible sur le progressisme".

L'idée m'est venue d'une conversation que j'ai eue tout récemment. Certaines idées que j'ai en tête peuvent heurter mais pourquoi pas ?

#progressisme
#réflexion
Pourquoi "inaudible"?
Parce que je crois qu'il existe une distinction entre opposition aux forces réactionnaires et progressisme et que le réflexe de la posture anti-reaction ne peut éluder la réflexion sur ce qu'est vraiment le progressisme.
Bien que le progressisme aussi soit par essence un geste politique qui s'oppose à la réaction, je ne pense pas qu'il soit juste de l'appréhender comme un attelage de fortune hétéroclite traversant le champ de l'économique, du culturel, du spirituel, de la condition humaine etc.
Comme une mosaïque de hashtags
#féminisme #écologie #lgbtqia2 #décolonialisme #anticapitalisme #antiracisme #antiislamophibie etc. vaguement estompée par l'intersectionnalité.
Comme un mariage contingent par intérêt : la défaite de ce qui est perçu d'instinct comme la réaction.
Le progressisme ne peut à mon avis s'en tenir à un espace politique de répit offert aux communautés éreintées par les violences du monde, à ceux que l'on dit sans-voix, à la marge, dominés.
Il ne peut être perçu comme un refuge où se claquemurer au nom de ce que l'on entend
probablement à tort à la liberté individuelle.
À mesure que j'observe avec plus ou moins d'acuité l'évolution des clivages politiques, j'ai le sentiment que l'anti-réaction s'éloigne sensiblement du progressisme qu'elle entend embrasser lorsqu'elle tend à scientifiser une posture somme toute essentialiste.
Un autre écueil actuel selon moi est la prégnance de la fixité, la tendance à escamoter la dimension dialectique de la construction d'un être politique, éloignant en cela certaines manifestations de l'anti-réaction de ma perception du progressisme : on EST progressiste soi-disant
car on coche les bonnes cases à l'instant t où les clivages s'imposent.
Le progressisme, entendu comme dynamique politique holistique soucieuse de faire émerger les mécanismes systémiques d'aliénation mis sous le boisseau ou qui ne vont pas de soi, pour mieux les combattre
ou, pour dire les choses plus poétiquement, le progressisme comme mouvement bienheureux et immodeste du désenvoûtement du monde s'efface peu à peu au profit d'une politisation presque consumériste des communautés d'individus.
Or, s'il est selon moi une caractéristique importante de cette dynamique progressiste, c'est cette intranquillité de l'esprit qu'elle provoque face à un ordre établi qui plonge la conscience politique dans un quasi aveuglement collectif.
Aussi, je crois que les clivages qui se présentent à nos yeux contemporains comme autant d'évidences pour l'anti-réaction sont soit des combats d'arrière-garde - mais qui doivent paradoxalement être menés à terme - soit des questionnements inaboutis, immaturés, et qui portent en
eux les germes d'enjeux que nous ne parvenons pas à faire affleurir, bien que bel et bien là, aveuglés que nous sommes par le regard insistant d'une époque dont il s'agit précisément de se déprendre.
Intuitivement, j'ai tendance à penser que deux fils rouges guident le mouvement progressiste : celui de la liberté et son acception sans cesse remise en perspective, et celui de l'ordre marchand du monde.
Et c'est pourquoi les deux exemples que j'ai choisis, au sujet desquels le positionnement qualifié de progressiste aujourd'hui me laisse perplexe, sont troublants car ils sont au confluent de ces fils rouges.
Il s'agit de la libéralisation du travail sexuel d'une part et celle
des drogues d'autre part.
Ainsi, si certains points sont avec plus ou moins de succès au cœur du discours anti-réaction actuel, comme ceux liés aux représentations/appartenances communautaires ou aux conditions de genre, si la question animale retrouve une place dans l'agenda politique, d'autres champs
demeurent dans l'ombre et peinent à irriguer le débat public.
À mon avis, ces absences, bien qu'étant inévitables, doivent interpeler car il me semble que c'est précisément ce questionnement perpetuel qui est au cœur même du geste progressiste..
Me viennent en tête quelques champs où, à ma connaissance, il y a peu à entendre : la question de la production et de la diffusion des armes. Celle de la propriété intellectuelle, particulièrement dans le domaine scientifique.
Et sans doute beaucoup d'autres qui m'échappent.
L'actualité rappelle à quel point le désarmement du monde est un enjeu essentiel et j'ai du mal à comprendre pourquoi cette question échappe aux personnes qui se réclament de la pensée progressiste.
Les armes à feu ne sont pas des ignames que l'on trouve en fouillant la terre.
Ces outils de mort résultent de tout un processus scientifique, technologique et industriel que les institutions politiques démocratiques sont en droit d'interroger, de contraindre... pour peu qu'il y ait une pensée, une volonté politique qui pousse à s'atteler à l'ouvrage.
À l'évidence cette idée de faire disparaître toutes ces armes sera moquée, jugée irréaliste car utopique : c'est précisément cela qui caractérise aussi le progressisme de mon point de vue.
Après tout l'abolition de l'esclavage n'était-elle pas une utopie ?
Est-ce que les conventions de Genève ne seraient pas en quelque sorte de lointains échos au Code noir, en ce sens où ces traités prennent acte de pratiques hautement condamnables en tentant avec plus ou moins de succès de les encadrer par la loi, mais sans les remettre en cause?
C'est-à-dire sans s'attaquer au problème de fond que seraient les armes, leur production de masse (USA, Russie, France etc), leur sophistication et leur prolifération.
Cela nécessiterait un changement de paradigme total, mais qui a été amorcé avec la physique nucléaire.
L'actualité met aussi en lumière cet autre sujet crucial sur lequel la voix progressiste ne porte quasiment pas : la propriété intellectuelle scientifique.
Sans surprise, la doxa capitaliste bride considérablement la réflexion publique là-dessus.

lecho.be/economie-polit…
Il existe peu d'ouvrages là-dessus en français (un essai de Mireille Buydens notamment), tant c'est devenu un impensé de notre époque.
En somme le progressisme ne peut se réduire à une sorte de sensibilité à la Miranda Wayland. Il engage à bien davantage.
Je déterre ce thread car la question de la vaccination obligatoire se prête au jeu de la réflexion sur le progressisme.
Je pense, à rebours de la sensibilité libérale que j'ai toujours exprimée sur ce sujet ces mois-ci, qu'une politique d'obligation vaccinale est bel et bien une mesure progressiste typique, dans le sens où elle vise à l'intégrité des individus, au mépris parfois de leur volonté.
Mais elle ne saurait l'être pleinement que si elle est guidée par la connaissance scientifique. Et c'est en cela que le cas des vaccins à ARNm contre la covid est singulier et passionnant car il soulève de vraies questions dont les réponses sont plus confuses qu'il n'y paraît.
En cela l'insistance des personnes parmi les plus réticentes à l'égard de cette campagne de vaccination est aussi une opportunité formidable car elle permet d'interroger, d'apporter des éléments essentiels à la culture scientifique là où il n'y avait qu'indifférence et ignorance.
Voilà ce que je perçois du choc des discours en cette période, extensible à d'autres domaines.

Proposition progressiste A : il est nécessaire d'œuvrer à la mise en place des meilleures conditions de la recherche médicale en vue d'améliorer la santé dans le monde.
Proposition progressiste B : c'est mon corps, mon âme et seuls moi et mes semblables dans les représentations sociales dominantes du moment sont à même d'évoquer ma santé physiologique et psychologique.
Il doit y avoir la possibilité de dépasser par le haut cet antagonisme apparent sans balayer trivialement la proposition B, qui d'ailleurs m'évoque ce podcast.

franceculture.fr/emissions/la-c…

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31 Aug
C'était la semaine dernière.
Très tôt.
Dans un bois de Boulogne déserté par la foule.
Mon jogging dominical m'a amené à croiser la route de ce qui devait être un jeune homme. En tout cas plus jeune que moi.
Un Noir. Foncé de peau il m'a semblé. En tout cas plus foncé que moi.
Il était venu à vélo. Peut-être un vélib' ? À moins qu'était-ce le sien ? Il s'est posé sous le petit abri derrière la buvette, près des sacs poubelles qui battaient la mesure sous l'impulsion du vent. Et j'avançais. Alors il a tenté une note.
C'était peut-être un si. Ou un la je ne sais pas. En tout cas une note fragile, tout intimidée.
Il était dimanche matin et il était là, seul parmi les autres incarnés là par moi. Une flûte traversière en plein désert.
À mesure que j'avançais, mon esprit reculait.
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