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Aug 25, 2021 37 tweets 7 min read
Comme annoncé voici un thread de niche #teamphilo sur la distinction phénomène/noumène/chose en soi chez kant. Ça va être un peu technique mais ça parle d' #épistémologie, de relativisme, de faits, de métaphysique, de Dieu etc...
D'abord les précisions d'usage:

1) ça va être assez vulgarisé c'est plus compliqué en vrai

2) ça reste une certaine interprétation de la doctrine mais il y a bien sûr toujours des débats sur ces questions dans les études d'histoire de la philo
Je précise aussi ça va être long est quand même ardu je vous fais un petit sommaire pour vous repérer

1) distinction phénomènes/chose en soi
2) distinction chose en soi/noumènes tweet n°14
3) distinction phénomènes/noumènes tweet n°25

Accrochez-vous c'est parti!
Donc allons-y. D'abord la distinction phénomène/chose en soi

- le phénomène est la chose telle qu'elle nous apparait.

- la "choses en soi" est cette chose telle qu'elle est en elle-même indépendamment de la façon dont elle nous apparait.
Nous vivons dans un monde de phénomène c'est tout ce à quoi nous avons accès, les choses en soi sont par définition inaccessibles à la connaissance. Nous savons qu'elles existent car elles se manifestent dans le phénomène mais on ne peut rien en dire de plus.
Nous recevons bien un donné sensible constituant "la matière" du phénomène mais il est toujours façonné, construit par nos facultés lui donnant sa "forme"(l'espace et temps)

Un peu comme les couleurs sont une fabrication, par notre cerveau à partir d'un donné reçu de l'extérieur
Comme il n'y a pas de matière sans forme, pas de faits bruts mais que des faits construits nous ne pouvons accéder à la "réalité" au sens où on l'entend couramment. La vérité au sens classique (correspondance au réel) donc la connaissance est impossible.

A moins de la redéfinir.
Nous ne pouvons pas comparer une idée à la réalité (la chose en soi) puisqu'il faudrait pour cela qu'elle nous apparaisse mais alors ce ne serait plus la chose en soi mais seulement un phénomène.

Il faut donc faire le deuil de la chose en soi.
La connaissance va alors consister en une certaine façon d'organiser les phénomènes qui sont fatalement soumis aux conditions d'expérience possible humaines.

Ce qui fait de l'épistémologie kantienne une forme d'épistémologie située à l'échelle de l'humain.
C'est à dire qu'il n'y a pas de connaissance absolue mais une connaissance humaine, relative à la structure de son expérience sensible.

Un être avec un autre mode d'intuition que l'intuition sensible (par exemple intellectuelle) aurait une connaissance tout à fait différente.
Ça ne signifie pas que cette connaissance soit "fausse" mais qu'elle est en un sens "relative" (mais universelle pour l'humain).

Cette distinction se veut externe à l'agent: il y a des objets (chose en soi dont nous) qui entretiennent certaines relations (phénomènes)
Par exemple est-ce qu'il y a quelque chose comme une "âme" qui existe ? Pour Kant on ne peut pas le savoir car si elle existe elle ne fait pas partie des expériences sensibles possibles pour nous par définition (puisqu'elle est censée être immatérielle).
Toute la métaphysique est ainsi rejetée hors de la connaissance dans le domaine de la croyance. C'est le résultat de la démarche critique dans la fameuse critique de la raison pure.

(Littéralement méta-physique signifie qui dépasse, au-delà du physique)
2) Ce qui nous amène à la deuxième distinction chose en soi/noumènes.

D'abord c'est quoi un "noumène" ?

Pour faire simple les noumènes sont des idées. C'est un terme que Kant emprunte à Platon pour lui donner un sens un peu différent.
Chez Platon la réalité est vraiment noumenale c'est-à-dire que la nature profonde des choses est d'être idéale, les *choses en soi* sont vraiment des idées.

Et le monde dans lequel nous vivons n'est que le reflet du monde véritable qui est un monde intelligible
On peut éventuellement parvenir à accéder à ce monde des idées par la pensée. (Sortir de la caverne tout ça)

(Oui je sais ça semble un peu bizarre dit comme ça mais c'est pas le sujet)
Alors qu'en est-il chez Kant? Pourquoi dit-il que la chose en soi est un noumène ?

Kant n'est pas platonicien.

Nous l'avons dit on ne peut rien savoir de la chose en soi donc on ne peut pas non plus affirmer que sa nature profonde est d'être une idée.
Pour cela il faudrait disposer d'un moyen de percevoir directement l'intelligible comme on perçoit le sensible. Il faudrait que l'humain dispose d'une intuition intellectuelle et pas seulement d'une intuition sensible. Ce que Kant refuse (contrairement à d'autres philosophes)
(Au passage petit aparté,

Attention au terme "intuition", "intuitif" aujourd'hui il renvoie souvent à l'ésotérisme mais initialement ça veut juste dire "immédiat" souvent opposé au discursif [qui passe par l'intermédiaire d'un discours,par exemple un raisonnement]
Les sensations sont des intuitions empiriques.

On n'a pas besoin de produire un raisonnement pour les ressentir on ne se dit pas: - "tiens mon bras est brisé or un bras brisé ça fait mal donc j'en déduis que j'ai mal !"
Non on douille à mort directement)

Reprenons.
Nous savons que la chose en soi dépasse les conditions de notre expérience possible mais c'est tout. On ne peut pas en déduire que c'est une idée.

Le temps et l'espace étant d'après lui les structures (interne et externe) de notre sensibilité, elle doit leur échapper.
Mais ça ne nous dit pas grand chose de plus. Par exemple si l'âme existait ce serait une entité immatérielle insaisissable dans l'espace et le temps, donc ne pouvant être l'objet d'une intuition.

Mais cela ne veut pas dire que l'âme est une idée on ne sait pas.
Et ça vaut pour tout. Quand nous voyons cette table nous l'appréhendons phenomenalement à travers l'espace et le temps mais en tant que chose en soi on ne peut rien en dire.
(au passage, la causalité étant aussi une catégorie de notre entendement à travers laquelle nous saisissons les phénomènes; ils y sont nécessairement soumis [le monde que nous percevons est déterministe] mais pour la chose en soi on ne sait pas [elle pourrait être libre])
3) donc pourquoi dit-on souvent que chez Kant les choses en soi sont des noumènes ?

Pour le comprendre il faut attaquer la 3eme et dernière distinction : phénomène/noumène

Contrairement à la distinction phénomène/chose en soi qu'on a qualifié d'externe ou d'absolue,
La distinction phénomène/noumène est une distinction située relativement à l'humain. C'est une distinction *pour nous*, de notre point de vue.

Qu'est-ce que cela signifie ? Avant de l'expliquer un petit point connaissance.
L'existence d'une chose ne peut être donnée que dans l'expérience. On ne peut jamais la déduire à partir de l'idée (même pour Dieu cf réfutation de la preuve ontologique). Si bien qu'on ne peut saisir l'existence que de ce dont l'expérience est possible à savoir les phénomènes.
Dès lors l'existence de tout ce qui dépasse les conditions de possibilité de l'expérience (par exemple l'âme) est inaccessible. On peut alors éventuellement PENSER ces objets mais jamais les CONNAÎTRE (autre distinction importante chez Kant)
Ces objets sont voués à demeurer *pour nous* de simples idées : des noumènes. C'est-à-dire des objets de pensée dépassant les limites de toute expérience possible, des idées qui ne pourront jamais être reliée à une intuition sensible par un jugement déterminant de connaissance.
Par exemple il y a des phénomènes que nous pouvons classer sous le concept de chien ce qui consiste pour nous à faire l'expérience d'un chien mais il n'y en aura jamais pour l'âme ou la liberté ou dieu ni... pour les choses en soi.
Ainsi, *pour nous* les choses en soi sont des noumènes. Et inversement penser un objet en tant que noumène c'est toujours le penser indépendamment de la façon dont il apparaît, en tant que chose en soi.
Donc cette équivalence est située, elle est vraie relativement à l'humain.
Par exemple pour la volonté : Kant considère que dans ses manifestations (phénomène) elle apparaît comme étant déterminée (car la causalité structure notre expérience) mais considérée en tant que chose en soi (noumène) on peut la penser comme libre bien qu'apparaissant déterminée
En conclusion, il y a bien une équivalence entre chose en soi et noumène chez kant qui est très complexe mais permet, à mon avis, de bien saisir l'innovation épistémologique de la critique de la raison pure, la fameuse "révolution copernicienne" dont il avait l'ambition.
Bref voilà + ou - où je voulais en venir suite à la vidéo de @GregoireSimpson (d'ailleurs c'est pas une critique juste un attrapage de perche)

Bravo à celles et ceux restés jusqu'au bout c'est pas évident, je peux essayer d'apporter des éclaircissements à ceux qui le souhaitent.
PS: pour les plus déter d'entre vous je suis tombé sur cette page qui permet de télécharger gratuitement un doc regroupant les passages où Kant parle de noumène et de chose en soi

les-philosophes.fr/kant/chose-en-…

N'hésitez pas à partager si vous connaissez des gens intéressées par ça.
Je remets le premier tweet j'ai vu beaucoup de gens faire ça je ne sais pas si c'est très utile mais bon 😅

J'en profite pour ceux qui avaient été gênés quand j'avais dit dans cette vidéo d'épistémologie de Noël sur la stigmatisation de l'irrationalité que "on n'a jamais accès directement au faits, les faits aussi sont des constructions".

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May 12
Tiens, exactement le genre d'exemple que je voulais développer pour introduire la distinction réaliste/relativiste.

En gros les questions c'est:

Qu'est-ce qui fait le point de vue?

Y a-t-il des points de vue neutre?

Et surtout les points de vue sont-ils interchangeables? 1/12
J'ai peu de temps, donc vite fait.
Il faut distinguer 2 trucs essentiels

D'un côté le point de vue qu'on porte sur l'objet. (Ici celui d'un homme cis etc)

Et de l'autre le point de vue que l'objet vous attribue ("une fille qui joue")
Bien sûr pour certains objets d'etude c'est pas ou peu pertinent. Si vous regardez une table ou des étoiles elles ne vont pas vous attribuer un point de vue et vont se présenter de la même façon dans tous les cas.
Read 13 tweets
May 10
Je relaye cette vidéo qui me semble une bonne intro aux questions de la justification en épistémologie et aux cas de Gettier en particulier.

Bien qu'à mon avis elle échoue (partiellement) sur son ambition principale (faire valoir que la connaissance est une croyance) 1/ 20
Je précise que j'enseigne bien sûr moi même à mes étudiants le principe de base de connaissances comme croyance vraie justifiée (j'avais d'ailleurs fait un thread en ce sens y a quelques temps) donc c'est pas vraiment un désaccord que j'ai personnellement. Image
L'argument de la vidéo (tel que je le comprends) consiste à montrer des cas où tout le monde est d'accord qu'il y a à la fois croyance et connaissance ce qui démontre qu'il ne s'agit pas de deux domaines séparés de façon exclusives. Un contre-exemple suffit, pas d'objection ici.
Read 24 tweets
Jun 19, 2021
Bon je reviens là dessus en mode un peu plus constructif. Pour ceux qui souhaitent intervenir régulièrement dans les classes je vous donne 4 conseils simples pour didactiser un minimum et faire progresser votre pratique.
1) Restez dans le domaine de compétence pour lequel vous êtes légitime.

Si vous êtes invité parce que vous êtes ingénieur ou médecin ou avocat ne parlez que de ça. Vous avez peut-être un hobby qui vous passionne et que vous aimeriez transmettre.
Mais utiliser l'accès que vous donne votre compétence reconnue dans un domaine pour faire autre chose c'est juste un appel à l'autorité fallacieux en fait.

Si vous vous permettez ça alors il faudrait accepter que n'importe qui peut venir parler de n'importe quoi en classe.
Read 18 tweets
May 19, 2021
Le debunk a une place importante chez les "sceptiques" mais si un médecin vient dans une classe présenter des vaccins, un dépistage ou un mode de contraception. Est-ce que vraiment l'attitude d'élève à promouvoir c'est: ne pas y croire et aller vérifier par soi-même sur le net?1/
Parce qu'avec ça vous n'allez pas former des zététiciens vous allez juste former des complotistes.

Remettre en cause la "version officielle" sur la base de son intuition personnelle et faire "ses propres recherches" c'est juste l'attitude complotiste par excellence 2/
Quand vous êtes dans un cadre officiel et que vous décrédibilisez volontairement une parole légitime vous poussez un peu plus les gens dans cette voie c'est tout ce que vous faites. Ça ne veut pas dire qu'il faut tout accepter et croire sur parole on peut poser des questions. 3/
Read 10 tweets
May 10, 2021
Voilà pourquoi il faut arrêter de faire venir des intervenants qui ne connaissent absolument rien au sujet dans des classes. Ça donne ce genre de catastrophe pédagogique. Vous pensez que c'est une bonne séance? c'est que vous êtes aussi nuls en pédagogie qu'en esprit critique 1/
Y a rien qui va c'est incroyable. D'abord comme d'hab la question de "l'appel à l'autorité" est traitée n'importe comment. ça ne veut pas dire qu'il faut absolument remettre en cause tout mais juste qu'il faut savoir hiérarchiser les légitimités. Le fameux biais du sophisme hein.
Ici on a un intervenant extérieur spécialiste d'un domaine (donc censé être encore plus calé que le prof) sélectionné par le prof, lui même dans une institution etc.. donc forcément la légitimité du discours est très élevée et c'est un très bonne chose!
Read 18 tweets
May 4, 2021
Si les dys sont une préoccupation du gouv j'en profite

Unpopular opinion: on devrait arrêter d'enseigner l'écriture cursive (attachée) aux enfants (et apprendre le scripte à la place)

Ça permettrait d'augmenter rapidement le niveau des élèves.

Quelques arguments : 1/
L'écriture cursive n'est pas plus efficace. Ni plus rapide ni plus lisible au contraire.

Beaucoup de pays l'ont abandonné depuis longtemps (certains ont même supprimé l'apprentissage de l'écriture manuscrite)
Cela ralenti l'apprentissage à la fois de l'écriture ET de la lecture puisqu'il faut apprendre un alphabet différent pour écrire de celui qui est dans tous les livres même pour enfants. Apprendre à tracer en script faciliterait la reconnaissance des caractères.
Read 12 tweets

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