Thread by @AlexisMas1

1/ Twitter s'agite bcp autour de la question des films étrangers qui n'arrivent pas sur les écrans français. En cause: le sujet du prix des films, sur lequel acheteur et vendeur ne parviendraient pas à s'entendre. Mais combien ça coûte d'acquérir un film? Et pourquoi ça coince?

2/ Précision: je vais traiter du cas des films étrangers, non français. D'abord parce que ce sont des titres comme #TheGreenKnight ou #Spencer qui alimentent la controverse. Et puis le modèle de financement des films français implique le distributeur de manière assez différente.

3/ Précision#2: on parle ici de films indés, par opposition à ceux des studios. Si un film de major ne sort pas, pas de lien avec le prix (puisque ces groupes intégrés contrôlent les entités de distrib locales). Le studio estime simplement que ça ne vaut pas le coup (autre débat)

4/ Donc commençons par le début. Un film est distribué en France si un contrat d'acquisition a été négocié entre un acheteur (le distributeur français) et un vendeur (un agent de vente international, ou plus rarement directement le producteur). Sur quoi se mettent-ils d'accord ?

5/ Sur une énorme quantité de paramètres: territoires, durée des droits, langues autorisées, process de validation des éléments créatifs, dates de sortie autorisées (vous devez parfois attendre les sorties d'autres territoires). Mais bien sûr le cœur du réacteur, c'est l'argent.

6/ Le prix d'acquisition s'appelle le Minimum Garanti. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'en théorie, ce prix est censé être une anticipation du partage des recettes futures. Donc en fait, le fondement du prix, c'est cette fameuse répartition, elle aussi définie au contrat.

7/ Imaginons: vous êtes distrib. Vous vous portez acquéreur de tous les mandats pour la France, autrement dit de tous les canaux d'exploitation. Les principaux étant la Salle, la Vidéo, la VOD, la SVOD, la TV (Mais il y en a plein d'autres). On appelle ça acheter en "tous droits"

8/ Vous allez alors définir un reversement, exprimé par un pourcentage, pour l'argent qui sera généré sur chaque mandat. Ces taux sont très variables et font l'objet de grosses négos. Pour l'exemple, on va imaginer que vous avez négocié 50% de reversement sur chaque mandat.

9/ Donc concrètement, si vous touchez une recette salle de 250.000 € (ce qui équivaut à environ 100.000 entrées), vous vous engagez à en reverser la moitié à votre contractant. Et ainsi de suite pour votre vente TV ou SVOD, etc...

10/ Bon, je simplifie énormément car en réalité, avant ce partage de recette intervient un étape clé, qui consiste, sur les premières recettes, à vous rembourser de vos dépenses de sortie (technique, pub, promo), très onéreuses (on appelle cela "opposer les frais d'édition").

11/ Mais revenons-en au prix: le Minimum Garanti (ou MG pour les intimes), ce n'est ni plus moins qu'une avance que vous payez dés le départ, à valoir sur le futur partage de recettes exposé plus haut. Dans cette notion de Minimum Garanti, chaque mot compte :

12/ "Minimum", cela traduit le fait votre contractant va toucher a minima ce montant. Il peut évidemment toucher davantage plus tard, dans le cas où les reversements effectivement calculés excèdent le MG: vous lui devrez ce qui dépasse. On appelle cela les royalties ou "overages"

13/ "Garanti", cela traduit le fait que ce montant est non remboursable. Autrement dit, même si le film se plante, que les recettes sont minimes, cette somme est acquise au Contractant. Distrib, c'est un métier où vous partagez les gains mais vous prenez les pertes pour vous...

14/ Alors évidemment, comme c'est très risqué, vous allez tacher d'estimer au plus juste le potentiel de votre film, dans chacune de ses exploitations. Sauf qu'en face, vous avez un vendeur, et lui a une toute autre façon de voir les choses... La négo démarre !

15/ Dans un prochain thread, je vous propose d'appliquer ces bases à la fixation concrète d'un prix, aux interférences et facteurs exogènes qui influent sur celui-ci. Nous nous pencherons qqs exemples, dont les cas épineux de ces fameux films stars qui ne débarquent jamais.

16/ PS: je fais ce thread afin de rendre accessible ce métier de distrib que je pense passionnant et central dans la filière... en même temps, il est très chahuté en ce moment, et souvent caricaturé. Dîtes-moi si cela vous plaît/intéresse car c'est long à faire. A très vite !

Wow, ce thread a explosé ! Merci pour vos retours. Il y aura donc une suite. J'en profite pour vous partager le très beau line-up de fin d'année sur lequel bossent d'arrache-pied les personnes formidables qui m'entourent chez @CondorFilm. Big up à elles.